L’opération Serval au Mali en chiffres, c’est 4 000 soldats français mobilisés et 70 millions d’euros dépensés à ce jour. Un chiffre révélé ce matin, jeudi 7 février, par le quotidien Le Parisien, et qui a été confirmé par le gouvernement français. Peer de Jong est un ancien colonel des troupes de marine, professeur à l’Ecole de guerre économique (EGE) à Paris. Il a fondé Strike Global Services, qui forme des forces africaines. Il répond aux questions de RFI.
RFI : Ces 70 millions d’euros, cela couvre quelles dépenses exactement ?
Peer de Jong : Cela couvre les dépenses exceptionnelles, c’est-à-dire en dehors des rémunérations des militaires qui sont projetées. Ca concerne la logistique, les carburants et tout le surcoût qui est lié à cette opération.
On s’aperçoit qu’il y en a pour 50 millions de frais de transport ? Ca paraît beaucoup par rapport à ces 70 millions…
Il faut voir le détail, parce que dans les frais de transport, vous avez bien sûr toute la partie maritime, et tout ce que coûte le carburant des bateaux, etc. C’est assez cher, avec bien sûr l’ensemble de la prestation. Puis il y a un deuxième volet qui est la location des avions de transport. Les Français ont très peu d’avions de transport – on a encore des Transall et quelques avions américains. Et aujourd’hui, dès qu’il y a une très grosse opération, il faut impérativement avoir l’assistance logistique d’autres pays. Ce sont souvent des avions russes d’ailleurs qui nous aident pour transporter les matériels et les personnels. C’est cela que représente cette somme, en gros, de 50 millions d’euros.
L’avantage du Mali par rapport à un autre théâtre de conflit comme l’Afghanistan, c’est que c’est relativement proche de la France. C’est un avantage décisif pour les forces françaises ?
Il y a deux avantages. Le premier, c’est que les distances ne sont pas très éloignées. Et elles sont en même temps sur le même fuseau horaire. Globalement, on travaille en temps réel. La deuxième chose, c’est l’ensemble des forces prépositionnées qui se trouvent autour du Mali. Avant le début de l’opération, on avait des forces même de niveau faible au Tchad. On en avait un petit peu au Burkina Faso, en RCA, en Côte d’Ivoire et on en a encore un petit peu au Sénégal, des formateurs. En fait, on avait autour du Mali un ensemble de forces disponibles, rapides, instantanément. Donc on a pu les utiliser et bien évidemment, le fait d’avoir des forces prépositionnées autour du théâtre d’opération, ça limite les coûts.
Grâce au retrait d’Afghanistan, la France a pu se lancer au Mali. Est-ce qu’on avait suffisamment de soldats, suffisamment de moyens pour être sur plusieurs théâtres d’opérations en même temps ?
Oui. 4 000 hommes, ça représente globalement 8 000 hommes. Ca veut dire que vous avez 4 000 hommes sur le terrain, et que vous en avez 4 000 qui se préparent à des relèves. Aujourd’hui, l’armée française est quand même capable d’avoir, même dans le court terme, deux opérations simultanées. En Afghanistan, on avait en gros 4 000 hommes. Mais on aurait pu faire les deux en même temps. Encore une fois, aujourd’hui, le fait qu’on se désengage d’Afghanistan fait qu’on a des forces disponibles, donc ça permet de mettre en place des forces disponibles, préparées, entraînées, sur le Mali. Mais la France est capable d’avoir deux têtes d’opérations à 5 000 hommes dans le monde. C’est quand même une armée de terre qui fait en gros 100 000 hommes. Il y a encore l’armée de l’air et la marine. Encore une fois, deux fois 5 000 hommes, ce n’est pas du tout impensable. D’ailleurs, on verra les conclusions du Livre blanc qui va sortir dans les semaines qui viennent. La demande qui sera faite aux armées dépasse bien évidemment plus de 10 000 hommes instantanément.
L’économie française n’est pas au mieux de sa forme. Le ministre du Travail Michel Sapin a parlé le mois dernier d’un « Etat en faillite ». Un avis qui est partagé par 63% des Français, selon un sondage. Mais pour vous, c’était quand même le bon timing pour monter cette opération Serval ?
Le timing, ce sont les contraintes politiques et militaires locales qui l’ont imposé. Les Français n’ont pas eu le choix. C’est un choix politique. Et le choix politique est d’engager les troupes françaises. Je rentre d’Afrique où je passe beaucoup de temps. Aujourd’hui, l’impact de la décision de François Hollande d’intervenir en Afrique est très important. Dans tous les pays africains aujourd’hui, on loue le courage, la décision de l’Etat français. Et ça, c’est bon pour nous tous. Quelque part en même temps, ça recrée des liens, ça rassure nos partenaires africains. Et globalement, à la limite, je dirais, c’est un investissement pour le moyen et long terme.
Vous dites que c’est bon pour nous tous, que c’est un investissement pour le moyen et long terme. Mais pour l’instant, la communauté internationale ne donne pas trop d’argent. Il y a des promesses mais pour l’instant, c’est la France qui assume l’essentiel des dépenses.
Encore un fois, cela reflète le rapport que les autres pays ont à l’Afrique. Nous les Français, on a un rapport à l’Afrique qui est très ancien, qui est historique. On a des relations partenariales avec les Africains, très anciennes. Donc aujourd’hui, on est obligé de le faire. Bien évidemment, on voit bien que pour régler le problème des Maliens, il faut que la communauté internationale prenne en compte ce problème là, qui est le problème de la stabilisation du Sahel et qui dépasse le cadre français et le cadre malien. Mais il faut bien sûr trouver un système international qui stabilise cette région et permette enfin de mettre la paix en place. Aujourd’hui, la France ne peut gérer à elle seule l’ensemble du problème terroriste qui est positionné sur le Sahel. Il faut que la communauté internationale s’intéresse à cela. Et aujourd’hui, l’objectif des Français, c’est d’impliquer davantage de pays, de grands pays, pour financer et pour mettre en place un système qu durera un certain nombre d’années. D’où le besoin qu’ont les Français de demander aux Nations unies d’intervenir. C’est qu’aujourd’hui, vous avez globalement le système purement français, avec la Cédéao [Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest, ndlr] qui ne suffit pas en tant que tel.
Le ministre des Affaires étrangères français, Laurent Fabius, l’a d’ailleurs confirmé : la France œuvre pour la mise en place d’une opération de l’ONU pour le maintien de la paix, dès avril. Et il le dit lui-même : l’avantage c’est de se mettre sous le chapeau des Nations unies et sous le financement des Nations unies. Est-ce la seule solution pour la suite ?
Aujourd’hui, il faut pérenniser l’action des Français. Les Français ne vont pas rester au Mali. Il va rester probablement quelque chose de résiduel dans les mois qui viennent, dans les semaines qui viennent, et on va assister à des engagements progressifs. Le premier point, c’est que ce n’est pas le rôle de la France de stabiliser l’ensemble du Mali et l’ensemble de la zone sahélienne. Le deuxième point, c’est qu’il faut trouver une solution alternative. La Cédéao, avec la Misma [Mission internationale de soutien au Mali, ndlr], peut être cette solution alternative. Mais compte tenu de l’état des financements des pays africains, et compte tenu de l’état des armées africaines, il faut bien sûr les soutenir. Mais aujourd’hui, seules les Nations unies ont l’habitude et sont capables de financer un programme lourd inscrit dans le temps.
UNE GUERRE PLUS CHÈRE QUE LA LIBYE ET L’AFGHANISTAN ?
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70 millions d’euros, c’est le chiffrage lâché, hier mercredi, par le ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian devant les députés français, lors d’une audition à huis clos. Un chiffre en phase avec ses précédentes déclarations. Lors d’une interview accordée à RFI le 23 janvier dernier, donc deux semaines après le début des opérations, le ministre avait évalué le coût des deux premières semaines à 30 millions d’euros. L’essentiel des dépenses aura été consacré à l’acheminement des militaires français et du matériel vers la zone d’opération : 50 millions d’euros pour le transport des 4 000 soldats actuellement présents sur le terrain. « Nous avons acheminé 10 000 tonnes de matériel en quinze jours. C’est autant que ce que nous avons transporté en un an lors du retrait d’Afghanistan », indique le ministère de la Défense cité par Le Parisien. Outre ces coûts logistiques, il faut inclure le coût de l’utilisation du matériel, plus intensive qu’en période d’entraînement. Sachant qu’une heure de vol pour un mirage 2000 est d’environ 12 000 euros et que pour un Rafale, c’est largement plus : près de 27 000 euros l’heure. A quoi il faut ajouter les primes versées aux hommes engagés sur le terrain, qui sont doublées voire triplées lors des opérations extérieures. Un surcoût qui aurait déjà coûté cinq millions d’euros. 2,7 millions d’euros par jour Depuis le début du conflit, l’opération Serval coûte chaque jour en moyenne 2,7 millions d’euros à la France. C’est plus que la guerre en Libye, où la France avait déboursé 1,6 millions d’euros chaque jour et que l’Afghanistan, 1,4 millions d’euros par jour. Mais le ministère de la Défense argue que « ce calcul n’est pas pertinent. On ne peut pas comparer des conflits de durée et de nature très différents ». Cela dit, si l’on en croit les déclarations des ministres français, l’opération ne devrait pas coûter excessivement cher. Le retrait devrait s’amorcer dès mars, a annoncé le ministre des Affaires étrangères Laurent Fabius. Avec de nouveaux coûts donc… Mais le coût total pourrait donc être couvert par la ligne budgétaire affectée préventivement aux opérations extérieures, une ligne de 630 millions d’euros. RFI |