Au Mali, la situation s'enlise: la France se retrouve dans une position très inconfortable

LE PLUS. Quel avenir pour le Mali ? Alors que les violences se multiplient dans le nord du pays, le processus politique visant un accord de paix avec les groupes rebelles touaregs et arabes semble plus que jamais s'enliser. Décryptage de la situation, par Romain Poirot-Lellig, maître de conférence en relations internationales à l’Institut d’études politiques de Paris.

31 Jan 2015 - 18:18
31 Jan 2015 - 18:18
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L’intervention française et internationale au Mali est en passe de se retrouver dans une position hautement inconfortable, résultante directe de la stratégie du pourrissement privilégiée par le gouvernement malien depuis des mois. 

[caption id="attachment_653012" align="aligncenter" width="620"]Tchad: les soldats de Barkhane au centre de la journée de Manuel Valls Des militaires de l'opération Barkhane à Ndjamena, au Tchad, le 26 octobre 2014.
REUTERS/Emma Farge[/caption]

Faible et maladroite, accusée de partialité, la mission de l’ONU au Mali, la MINUSMA, s’est vue priée la semaine dernière de quitter Kidal, épicentre historique des rébellions touarègues, à la suite d’une succession d’incidents sécuritaires. Les groupes pro-Azawad sont confrontés au mécontentement de la population, nourrie par l’inaction du gouvernement en terme de développement et de gouvernance.

Les terroristes d’AQMI et d’Ansar Dine, à l’affut dans l’Adrar, enveniment la situation en menant des opérations de plus en plus ambitieuses. Réfugiés dans le sud algérien ou libyen, leurs chefs soutiennent leurs actions grâce à l’argent de la drogue et des monarchies du Golfe.

Un vide institutionnel dangereux

Coté pro-Mali, le dispositif antiterroriste français Barkhane n’a pas de mandat de maintien de la paix. Le gouvernement d’Ibrahim Boubacar Keita (IBK) est occupé depuis 2013 à reproduire les errements de son prédécesseur et vient de nommer son troisième Premier ministre en moins de 18 mois sans qu’aucune réforme n’avance.

Si le nouveau gouvernement fait la part belle à la jeunesse, la classe politique malienne, dominée par le sud, semble toujours aussi peu soucieuse de créer les conditions d’une stabilisation et d’un développement au nord. Malgré l’aide internationale, l’armée malienne demeure à ce stade une donnée négligeable. 

Encouragées par ce vide institutionnel et téléguidées par IBK, les milices pro-Mali, notamment le GATIA du général Gamou et la fraction pro-Mali du MAA, affaiblissent les groupes pro-Azawad tout en tentant de reprendre le contrôle des routes du trafic de drogue dans la Vallée du Tilemsi.

Seule puissance présente à même de peser sur le plan militaire, la France demeure singulièrement absente du théâtre sur le plan politique. Après avoir pris acte du succès militaire français, IBK a prié la France de prendre du recul quant au règlement politique du conflit, sous les yeux de l’Algérie satisfaite de reprendre la main face au regain d’activisme du Maroc dans la région. 

Budgétairement exsangue, la France a été par trop heureuse de se voir cantonner dans un rôle a minima tout en enchainant les succès tactiques dans la chasse aux terroristes.

Une posture politique au Sahel à revoir

Les limites de cette stratégie sont désormais atteintes. Le surplace du gouvernement malien, l’exaspération des mouvements touaregs, la résurgence de groupes comme Ansar Dine et l’attitude de "spoiler" des milices pro-Mali sont autant d’ingrédients d’un cocktail toxique près de déborder. 

Ayant fait récemment et avec efficacité la démonstration de sa détermination dans la lutte antiterroriste, le gouvernement français serait bien inspiré de revoir à cette occasion sa posture politique au Sahel sans attendre que les évènements décident pour lui. 

Cela impliquerait, tout d’abord, un réengagement politique afin que notre ami IBK adopte enfin une attitude constructive vis-à-vis du Nord. L’une des conclusions du Forum de Dakar de novembre dernier était que les Africains ont besoin d’être aidés dans le règlement de crises au niveau politique et non au seul niveau militaire. La carte du pourrissement jouée par IBK a fait son temps.

Le déplacement, jeudi 29 janvier, d'IBK à Gao, le premier dans le Nord depuis son élection, arrive tardivement et doit être suivie d'effets. Si un accord crédible ne peut être trouvé prochainement à Alger, une autre approche doit être tentée. Faute de quoi, les mêmes causes produiront les mêmes effets qu’en 2012. Si cela se produit, la responsabilité de la France sera lourde.

Par ailleurs, la France doit agir auprès de ses alliés pour qu’un nouveau dirigeant de la MINUSMA, plus expérimenté, soit nommé. Cela après que le mandat de la mission ait été revu afin de lui donner d’avantage de poids. Le nouveau ministre de la Défense du gouvernement malien saura, on l’espère, accélérer les réformes de l’armée, y compris dans la prise en compte de la spécificité touarègue dans l’équation sécuritaire malienne.

L'indispensable stabilisation de la Libye

Les milices pro-Mali doivent être écartées. Au vu des intérêts hautement suspects qu’il défend, le GATIA n’est pas un acteur légitime et joue depuis trop longtemps le rôle d’irritant dans la crise malienne.

Enfin, et c’est là le plus épineux, aucune solution à long terme au Mali n'est envisageable sans une stabilisation de la Libye. Le président Hollande a fait preuve d’une grande clairvoyance en 2014 en déclarant que la Libye était en tête de ses préoccupations. Cette situation menace de déstabiliser l’intégralité de l’Afrique subsaharienne et de tuer dans l’œuf son émergence économique.

Une jonction entre la crise au Nigéria et le conflit libyen est clairement envisageable, nourrissant le spectre d’une zone terroriste incontrôlable du Soudan à la Mauritanie. Cependant, la stratégie militaire capable de supprimer d’avantage de problèmes en Libye que d’en créer n’existe pas encore.

Aucun consensus international n’existe à ce stade sur les fins comme sur les moyens d’une éventuelle intervention. Pour certains, la Libye, à l’instar de la Syrie, est devenu le théâtre d’une guerre par procuration entre puissances. La question qui demeure est : quel sera le prix de l’inaction ? À deux heures d’avion de la France, le spectre d’une erreur aux proportions historiques n’a pas fini de nous hanter.

Par Romain Poirot-Lellig, Maître de conf. Sciences Po Paris

Édité par Sébastien Billard Source: Leplus.nouvelobs.com

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