En plus d’un demi-siècle d’existence, que d’amitiés nouées, que d’idylles nées sur les bateaux de la Compagnie malienne de navigation ! Sans compter l’impact socio-économique indiscutable sur les localités traversées. Cette énorme «ville flottante» (pour paraphraser le doyen Boubacar Sankaré) n’est pas seulement un outil de désenclavement, mais aussi un tremplin d’intégration, de brassage de la population malienne dans toutes ses composantes ethniques, un trait d’union entre le nord et le sud du Mali avec des bateaux comme «Général Soumaré», «Tombouctou» et «Kankan Moussa»…
De Koulikoro à Tombouctou en passant par Mopti et Gao, les embarcations de la Comanav desservent plus d’une trentaine de localités situées tout au long du fleuve Niger. Ce qui fait que pendant sa période d’inactivité (6 à 7 mois), les populations riveraines vivent un véritable calvaire car cela entraîne «une hausse vertigineuse des prix des denrées de première nécessité». L’attaque contre le «Général Soumaré» est donc un geste bien calculé puisque les assaillants savaient sans doute qu’ils s’attaquaient à un symbole incontestable de la souveraineté nationale.
Visiblement, pour manifester leur opposition à la paix et à l’unité nationale en gestation à Alger, en Algérie. Mais, c’est aussi la preuve que ces rebelles (il ne peut s’agir que d’eux puisque le navire a été attaqué au lendemain des affrontements de Bamba où le GATIA avait chassé le MNLA et ses acolytes) ne se battent par pour le Nord du Mali, mais pour leurs propres intérêts. Sinon, pourquoi s’attaquer à un symbole où se retrouvent Bambara, Peulhs, Touaregs, Arabes, Maures, Sonrhaïs… ? À rappeler que cette crise a déjà coûté cher à la Comanav dont la flotte avait été immobilisée en 2012 pour des raisons d’insécurité. Un premier coup d’arrêt, après cinquante ans d’activités, qui avait sérieusement compromis ses projets, notamment l’achat d’une flotte légère capable de naviguer une grande partie de l’année sinon en toute saison.
Cette interruption avait contraint une bonne partie de nos populations, dont la vie est liée au transport par voie fluviale, à emprunter des pinasses, pirogues et bien d’autres embarcations de fortune avec tout ce que cela comporte de risques de chavirement en séries, donc de drames humains. «La COMANAV a été créée avec pour mission essentielle de désenclaver les régions nord du Mali, mais ces régions étant entre les mains de terroristes et d’autre bandits armés, c’était suicidaire de mener notre campagne fluviale», avait alors déploré la direction de l’entreprise fluviale, citée par un confrère de la place.
Autre impact néfaste de cette insécurité, c’est qu’elle a perdu ces dernières années les touristes qui constituaient une partie importante des clients depuis que les régions du nord (Mopti, Tombouctou et Gao) ont été classées «Zone Rouge» par les chancelleries occidentales. Comme l’écrivait un confrère de la place, «la COMANAV est l’une des sociétés ayant dramatiquement ressenti les effets de l’insécurité au nord et cela, bien avant l’occupation armée». En effet, ce n’est pas la première attaque contre cette compagnie qui avait déjà été la cible d’attaques meurtrières de la part de rebelles et autres bandits au cours des années 1990. Cela, malgré la présence à bord des bateaux des forces armées et de sécurité comme c’était le cas cette nuit du 29 au mardi 30 décembre 2014.
Source de vie, mais aussi voie naturelle de désenclavement de localités riveraines, le fleuve Niger (1700 kms au Mali) a toujours été un atout sociopolitique, économique et culturel pour le Mali. On comprend alors aisément que, aux premières heures de l’indépendance, les autorités aient pris l’initiative de créer une compagnie de navigation en 1962 pour optimiser ces immenses potentialités qu’offrait ce cours d’eau.
Dotée de bateaux aux noms symboliques «Général Abdoulaye Soumaré», «Mali», «Liberté»…, la compagnie est vite devenue le fleuron de l’unité nationale par le brassage de la population malienne dans toutes ses composantes. Symbole de la souveraineté nationale, la Compagnie malienne de navigation a longtemps été la société d’Etat la plus rentable du pays. Et elle est encore l’une des rares, sinon la seule, société appartenant à 100 % à l’Etat du Mali. Toutes les autres unités symbolisant la souveraineté économique du pays ont été liquidées ou bradées sous couvert de privatisation. Aujourd’hui, personne n’a intérêt à ce que la Comanav coule avec ses bateaux car elle entraînerait avec elle un solide socle de cohésion, d’unité nationale !
Moussa BOLLY
Traitre
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