A l’issue d’une médiation menée par des personnalités de Kidal (Nord-Est), Ibrahim Ag Bahanga, dissident de l’Alliance touarègue signataire d’un accord de paix, le 4 juillet 2006, entré en rébellion le 11 mai 2007, a annoncé une trêve le 18 septembre et s’est engagé à s’abstenir de tout acte hostile contre l’armée malienne. Le président Amadou Toumani Touré (ATT), réélu dès le premier tour de la présidentielle du 29 avril 2007, a une nouvelle fois privilégié la solution négociée à l’option militaire, réclamée à grands cris par une partie de l’opinion malienne.
Le thé plutôt que les cartes d’état-major. Curieux pour un général à la retraite. Mais ATT n’a pas attendu d’être au pouvoir pour faire le choix de la paix. Le président malien connaît bien l’irrédentisme touareg. Il n’a que 14 ans lorsque éclate la première manifestation violente de la revendication identitaire. C’était au début des années 1960 et l’adolescent ATT vivait à Tombouctou.
Dans la “ville des 333 saints”, plongée au coeur de la rébellion, il est le témoin, impuissant, des tensions entre nomades et sédentaires, entre agriculteurs et éleveurs. Il assiste également aux dégâts collatéraux que provoque l’option militaire : stigmatisation de la communauté touarègue, arrestations arbitraires et, surtout, fracture entre une partie de la population et son armée. Un quart de siècle plus tard, il vit une nouvelle poussée de fièvre touarègue. En première ligne.
En 1990, le lieutenant-colonel ATT est le patron des unités d’élite de l’armée. A ce titre, il est affecté aux opérations de maintien de l’ordre. Il privilégie le dialogue aux batailles rangées dans le désert, encourage les missions de bons offices plutôt que les milices d’autodéfense du Ganda Koy (“les véritables propriétaires de la terre”, en langue songhaï).
Les rapports que rédige ATT à l’intention de sa hiérarchie préconisent une solution politique. “J’avais tout de suite perçu la menace que faisait planer cette affaire sur la souveraineté nationale et l’unité territoriale du pays”, assure-t-il aujourd’hui. Cette approche ne fait pas, loin s’en faut, l’unanimité dans les casernes et mess d’officiers, où le climat général se résume en un “qu’on en finisse avec ces bergers tamasheq qui mettent en péril la République et nos frères du septentrion”. Difficile de soutenir le contraire, d’autant que le conflit fait ses premières victimes civiles.
Originaire de Mopti, une ville du Nord malien exposée aux attaques rebelles, ATT fait partie de ceux qui s’opposent au tout- répressif. Même lorsque, en mars 1991, des circonstances historiques exceptionnelles le portent à la tête de l’Etat. Son objectif : faire la paix au Nord et assurer une transition politique pour remettre le pouvoir aux civils. Il réussit les deux défis. Le processus de dialogue avec les Touaregs aboutit, en avril 1992, à Tamanrasset (Algérie), avec la signature du Pacte de paix. Tandis que la conduite de la transition est, aujourd’hui encore, citée en exemple.
Revenu aux affaires en 2002, ATT est de nouveau confronté à une rébellion. Elle intervient le 23 mai 2006 quand deux unités de l’armée sont attaquées à Kidal et Ménaka, dans le Nord-Est. ATT, en visite à l’intérieur du pays, lance un appel au calme et rassure les populations du Nord : “Tout sera fait pour que la sécurité des biens et des personnes soit préservée”.
De leur côté, les rebelles inscrivent leur action dans un cadre politique, se retirent de Kidal, investissent le maquis de Tigherghar et attendent une initiative du chef de l’Etat. Lequel fait preuve de souplesse mais demeure intransigeant sur l’unité territoriale et la souveraineté nationale, qui ne sont pas négociables. Les rebelles, qui revendiquent une large autonomie pour les trois régions du septentrion (Gao, Kidal et Tombouctou), doivent s’y résoudre.
A l’issue d’âpres pourparlers à Alger, un accord est signé le 4 juillet 2006, et un processus politique engagé. Mais déjà cette gestion de la crise touarègue nourrit l’argumentaire de certains adversaires du chef de l’Etat sortant pour la campagne présidentielle qui est déjà lancée. Seul Tiébilé Dramé s’abstient de participer à l’hallali.
L’ancien chef de la diplomatie partage la démarche d’ATT, qui, malgré une virulente campagne de presse fustigeant “le laxisme du pouvoir à l’égard de rebelles qui humilient la République”, reste droit dans ses bottes. “Si, à l’époque, Koulouba (le palais présidentiel, NDLR) avait été occupé par un Laurent Gbagbo, affirme une conseiller d’ATT, le Mali serait encore coupé en deux”.
Le 24 mars 2007, les bailleurs de fonds se réunissent à Kidal et s’engagent à financer des opérations de développement à hauteur de quelque 500 milliards de F CFA (760 millions d’euros), soit 85 pour cent du budget de l’Etat malien sur dix ans. Le lendemain, ATT est accueilli en héros à Kidal, où il obtient, un mois plus tard, près de 70% des suffrages lors de la présidentielle.
Une dizaine de jours après le scrutin, Ibrahim Ag Bahanga, à la tête d’une cinquantaine d’hommes armés, reprend le chemin du maquis. Un véritable coup de poignard dans le dos, qui ne dissuade cependant pas ATT de privilégier le dialogue et la solution politique. Mais lorsque Ag Bahanga s’attaque, le 26 août, à une unité d’experts de la lutte antiacridienne dans la région de Tin Zawaten (frontière avec l’Algérie), prend en otages des soldats et, plus grave, mine les axes et pistes utilisés par les véhicules civils et militaires, ATT est furieux.
“Jamais je n’ai vu le président dans une telle colère”, témoigne un de ses proches. Cela ne l’empêche pas pour autant de dépêcher auprès d’Ag Bahanga une première fois Iyad Ag Ghali, le 30 août, puis une délégation de notables de Kidal, le 18 septembre. Mais son opinion sur le chef rebelle, rejoint à la fin août par le lieutenant-colonel Hassan Fagaga, qui venait de déserter, est définitivement arrêté : irrécupérable, dangereux, imprévisible.
Voilà peut-être le signe qu’ATT n’est plus disposé à tergiverser. Aussi, le 5 septembre, le Conseil des ministres a-t-il adopté un texte surprenant qui porte répression du terrorisme en République du Mali. Ce projet donne une définition des actes de terrorisme qui ressemble à s’y méprendre aux dernières activités d’Ibrahim Ag Bahanga, devenu le Ben Laden de l’Adrar des Ifogha.
Chérif Ouazani
Source : Jeune Afrique n°2437
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