«… Le pouvoir actuel est incapable de gérer le Mali..» dixit le député UMP Pierre Lelouche. « L’armée malienne n’est pas capable de défendre son pays, la France est donc partie pour y rester encore longtemps … » selon l’ancien ministre Hervé Morin.
Voici le ton des débats houleux tenus à l’Assemblée Nationale française lors du vote de la prolongation de l’opération SERVAL. Un vote pendant lequel l’Etat et l’armée maliens sont traités de tous les noms d’oiseau sans qu’une voix autorisée du Mali ne s’insurge contre cette unième humiliation de notre pays que nous devons continuer à subir et nous taire.
Pourquoi donc continuer une telle mission aussi risquée pour les soldats français au profit d’un pays (le Mali) dont l’Etat est en faillite et les dirigeants incompétents et corrompus ?
Soit la France éprouve de la pitié pour les populations et veut assumer par conséquent son statut de champion des droits de l’homme, malgré le coût élevé des opérations, la crise économique et financière en France, les risques encourus par les militaires et les risques politiques graves qui peuvent en découler et plomber par conséquent la popularité du Président Hollande et de son gouvernement qui est entrain de battre de l’aile. Aucune analyse sérieuse ne permet d’expliquer cette alliance sacrée des parlementaires français autour de la mission SERVAL malgré le grand fossé qui sépare aujourd’hui les différents bords politiques en France, en dehors d’intérêts géostratégiques évidents. Surtout que le courant de la droite décomplexée est aujourd’hui à la mode en France et celui-ci prône, à haute et intelligible voix, la défense des seuls intérêts de la France partout dans le monde, surtout en Afrique. La crise et ses conséquences dramatiques sur l’emploi en France leur auraient donné raison auprès d’une frange importante de la population française et auraient crédibilisé leur discours actuel. Pourquoi donc cette droite-là a voté à l’unanimité la prolongation de l’opération SERVAL ? That is the question !
Soit la France voit dans sa présence au Mali, d’une part, des intérêts géostratégiques évidents liés à la disponibilité certaine, parce que les qualités ont été testées et les quantités jugées intéressantes, de ressources minières, gazières et pétrolières de première importance. Et des intérêts géopolitiques liés à la lutte contre le terrorisme qui ne menace pas exclusivement la France, mais menace tout autant l’Europe et les Etats Unis.
La diplomatie malienne est gérée au Quai d’Orsay
Dans le n°1 de l’ENQUETEUR du 14/09/2012, nous demandions au Président Dioncounda de « mettre à l’aise le Président Hollande » dans le cadre d’un partenariat stratégique d’assistance militaire et logistique afin que l’intervention française ait une base juridique et bénéficie d’une large légitimité. Et nous disions aussi que le Mali, un Etat souverain envahi, n’a pas besoin du ok de l’ONU pour faire appel à la France. On connaît tous la suite; ce qui nous a conduit à titrer l’édito de votre serviteur n°3 du 28/09/2012, « Merci Président Normal Hollande » pour saluer les positions fermes et claires de soutien sans équivoque de la France à la cause du Mali. Nous sommes d’autant plus à l’aise que nous avions demandé et continuons à demander l’exigence de transparence dans les contrats potentiels de recherches et d’exploitation des ressources minières et fossiles du Mali. Il n’ya rien à cacher, car la France peut légitimement compter sur les ressources du sol malien pour booster sa croissance qui est proche de zéro (0), pourvu que cela se fasse dans la légalité à travers un partenariat gagnant-gagnant transparent. C’est pour cela que nous titrions dans le n° 17 de l’Enquêteur du 22 mars 2013 « Les raisons qui fondent le maintien de l’opération SERVAL jusqu’en 2014 » pour expliquer pourquoi la France ne va pas se retirer malgré l’annonce officielle faite dans ce sens. En réalité la question de la sécurité du territoire national se pose aujourd’hui avec acuité, car les investissements nécessaires pour l’exploitation de ces ressources méritent d’être parfaitement sécurisés et cela n’est possible que dans le cas d’une situation de paix totale et durable sur tout le territoire malien. Les députés français ont par conséquent voté à l’unanimité la prolongation de l’opération SERVAL en faisant leurs les propos de leur mentor Charles De gaulle « Les Etats n’ont pas d’amis mais des intérêts ». La France ne s’est pas arrêtée là, elle a en outre obtenu l’adoption à l’unanimité par le Conseil de sécurité de la résolution 2100 permettant la transformation de la mission internationale de soutien au Mali (MISMA) en Mission des Nations unies de stabilisation au Mali ( MINUSMA)”.
Après ce vote, la présidente de la commission de l’UA, Nkosazana Dlamini-Zuma, a estimé que « Une partie de cette résolution quelque part retire certaines attributions de l’UA et les transfère à l’ONU seule ». Elle a sûrement raison, mais elle devrait se rendre compte que la diplomatie malienne est gérée au Quai d’Orsay depuis le déploiement de l’opération SERVAL. Certes la crise se passe en Afrique, les acteurs sont africains, les victimes sont africaines; mais pour faire un plaidoyer auprès des Nations Unies, le Mali est obligé de solliciter la couverture de la France (membre permanent des NU avec droit de véto) pour qu’elle crédibilise ses requêtes au niveau du Conseil de Sécurité. A quel prix ? S’il n’ya aucune contrepartie financière, le coût sera très lourd parce que devant se décliner en termes de délégation ou d’abandon de souveraineté de la part du Mali et de l’Afrique par extension, au profit du « grand-frère » la France. Inutile donc de se voiler la face, le Mali ne gère plus aucune relation bilatérale, mais seulement des relations « trilatérales » et multilatérales sous supervision française. Cela n’est pas dramatique, car c’est la conséquence normale de la salutaire opération SERVAL.
L’UA doit aussi tirer les leçons
Le drame est que cette triste réalité n’est ni critiquable, ni contestable, ni condamnable de manière valable parce qu’il n’ya aucune alternative disponible. C’est ce qui explique les silences bizarres de Koulouba en ce qui concerne le traitement du cas insolite de Kidal, malgré les résistances du ministre Tiéman Coulibaly et ses colères intermittentes, dépouillé qu’il est de la quasi-totalité de ses prérogatives. Sans capacité d’assurer sa propre défense et sa propre sécurité, un Etat perd du coup sa liberté. Et sans liberté, la diplomatie devient un verbiage creux et sans intérêts parce que les partenaires savent, eux, que les décisions sont prises ailleurs. Les réserves de Mme Zuma sont donc justifiées; mais ceci explique cela. Mais l’Union Africaine a plus de marge de manœuvre que le Mali du fait de sa légitimité historique que lui confèrent les constitutions des Etas membres. Pour aider le Mali à parachever la restauration totale de son intégrité territoriale, Mme Zuma doit suppléer la CEDEAO et se saisir officiellement de la question de Kidal en invitant les Etats membres de l’UA a voter une motion de soutien au Mali pour la restauration totale de son intégrité territoriale et le désarmement immédiat de tout groupe armé dont le MNLA. L’UA doit aussi tirer les bonnes leçons de cette situation malheureuse mais nécessaire et procéder à l’accélération des pas vers la concrétisation effective d’une gouvernance continentale (avec un gouvernement unique) si l’Afrique veut prétendre à un siège de membre permanent du Conseil de Sécurité avec droit de véto pour qu’elle règle enfin les problèmes des africains. D’ici là, la MISMA devra asseoir les bases psychologiques et organiques d’un corps embryonnaire opérationnel de la future Armée Africaine pour que cessent enfin les injures et injonctions largement méritées pourtant contre nos semblants d’Etat.
Habi Kaba Diakité