Rappels utiles : début novembre 2009, des congressistes de retour de Kidal annoncent « les restes calcinés d’un avion » dans la zone de Tarkint, à 100 km de Gao. La nouvelle fait le tour du monde, la communauté internationale écarquille les yeux et le Mali officiel rase les murs pendant plusieurs jours avant de reconnaître les faits. Mais il décide d’ouvrir, fin novembre, une enquête et il déclenche des poursuites contre X. Le ministre de la justice, Maharafa Traoré, s’expliquant sur la question, mi janvier, ne sait pas tout.
Mais il parle de la date du 16 octobre et cela ajoute foi à l’hypothèse de l’investigateur journaliste, le canadien Morice. Il révèle aussi la nationalité colombienne des quatre membres de l’équipage. Ce qui suppose qu’une demande d’autorisation de vol aurait été faite…
Les premiers communiqués de l’Agence des Nations unies contre la Drogue et le Crime organisé (Undc) parlent d’importantes quantités de cocaïne. Peut-être dix tonnes. Est-ce sûr ? Jusque-là, aucune preuve formelle n’a fait l’objet de communication publique mais un rapport de l’agence onusienne révèle des « traces de cocaïne prélevées dans la carlingue ». Par qui et quand ? Mystère et boule de gomme. Si c’est vrai, les experts estiment à plus de 300 millions d’euros la valeur marchande du vol et à 90 millions d’euros le profit réalisé. La poudre blanche vaut de l’or : 3000 euros le kilo en Colombie, 14 000 en Guinée Bissau, 15 000 en Mauritanie, 16 000 au Mali, 27 000 au Maroc mais 45 000 en Europe. Et c’est, bien entendu, cette destination que privilégient les trafiquants.
Erreur sur l’immatriculation
Depuis qu’il est devenu plus difficile de faire passer la drogue par la mer, l’Afrique de l’Ouest est ravitaillée en cocaïne par des avions en provenance d’Amérique Latine. Les Américains s’en étaient alarmés à partir de 2007 surtout. Et l’Onu tire la sonnette d’alarme depuis quelques années. Elle estime d’ailleurs à 50 tonnes la quantité de cocaïne transitant annuellement par l’Afrique de l’Ouest. Plusieurs pays sont touchés mais la Guinée Bissau assure le leadership de la besogne. Il y avait également la Guinée Conakry, le Libéria, la Sierra Leone, la Gambie, le Sénégal. Le Ghana n’était pas en reste. Son président, John Atta Mills, s’en ouvrira d’ailleurs à Obama qui lui rendait visite en 2009. Mais le Sahel -détrônera vite la côte. Il offre un boulevard sur le Sud de la Libye, de l’Egypte et du Maroc d’où la marchandise gagnera le juteux marché européen.
La Mauritanie, le Mali, le Niger, le Tchad sont la nouvelle route. C’était donc un bon calcul pour Air cocaïne de se poser en plein désert, Techniquement le boeing 727 est capable de ce genre de prouesses. Il l’avait déjà prouvé dans l’Angola en guerre et sans aérodromes. Et justement, il y a un boeing pour le voyage et que selon les diplomates américains cités par Wikileaks, le Sénégalais Ibrahima Gueye de Africa Air Assistance affrètera. Pour tout le monde, c’est le 727-200 immatriculé J5 GGU. Sauf pour l’infatigable journaliste d’investigation canadien, Morice qui prouve que J5 GGU est bel et bien un boeing. Mais un 707 plutôt qu’un 727. La dernière fois qu’il a été vu c’était sur l’aéroport de Sharjah, en mai 2009. Alors Air cocaïne pouvait-il être le J5-GCU ? Morice le jure.
Quoi qu’il en soit, Air cocaïne a « été vu en train d’atterrir à l’aéroport international de La Chinita, à Maracaibo, à 11h heures du matin, le 16 octobre, en provenance de Panama, où il n’est resté qu’une heure, le temps de faire le plein. Son équipage a présenté aux autorités un plan de vol à destination de Bamako ». L’enquêteur canadien semble bien avoir suivi l’opération au détail près puisqu’il ajoute « au redécollage, lors du survol de Barinas, le pilote a signalé à la tour de Barquisimeto qu’il avait des problèmes et devait s’écarter de la route prévue. Le trajet indiqué est troublant : l’avion descend plein sud-est vers Barinas, et indique à la tour située plus au Nord qu’il ne prendra pas sa direction première ».
Inculpations
Terminus : Tarkint. Plus probablement le 17 octobre. Une source canadienne indique, d’ailleurs, que dix jours avant Air cocaïne, un petit avion de « type PA 32 » est passé « très probablement en repérage » dans la zone entre le 15 et le 16 octobre, selon « un responsable de la tour de contrôle de la ville de Gao ». La preuve, à posteriori qu’Air cocaïne « n’aurait donc en fait même pas tenté de redécoller : on avait prévu dès le début de le sacrifier »! Seize mois plus tard cependant, alors que l’affaire commençait à être oubliée, un voyagiste de Bamako, un pilote français et deux hommes d’affaires de la Région de Gao sont présentés à la justice dans le cadre de l’enquête.
Le voyagiste Ben Hako accusé d’avoir fait atterrir un avion sans autorisation réfute tout lien avec Air cocaïne. Eric Vernay le pilote est inculpé pour les mêmes motifs. Ces derniers temps, il s’était dit sérieusement qu’il était un agent infiltré des services français. Mais pour une chancellerie de la capitale, « cette thèse n’est pas recevable ». Ould Awoynat et son associé Ould Didi sont également mis en examen. Il leur est reproché d’avoir préparé « la piste d’atterrissage » de Tarkint puis d’être les commanditaires de toute l’opération Air Cocaïne. Leurs parents de la communauté arabe ne peuvent le croire. « Comment de pauvres nomades peuvent-ils être derrière une opération aussi lourde » ? Un lobby se met en place pour obtenir la libération des deux Arabes.
Mais les autorités ne plient pas. Que se passe t-il donc avec l’un des premiers interpellés de l’affaire, à savoir la Directrice nationale de l’Aviation civile qui aurait traité la demande d’autorisation pour Air Cocaïne. « Elle reste inculpée », précisent les sources judiciaires mais sa mise en liberté n’entraverait pas la manifestation de la vérité. Quid de l’ancien Directeur des Renseignements, Mami Coulibaly que la presse donne tantôt pour inculpé, tantôt sous mandat de dépôt ? Etonné lui-même par ce qu’il voit dans la presse, il dit n’avoir rien à voir avec cette histoire. Et il assure n’avoir pas été entendu sur l’affaire, comme cela se raconte à Bamako. Personne ne parle, non plus d’Ibrahima Gueye, pourtant la clé de l’énigme. Les zones d’ombre restent donc nombreuses confortant le Général Lalalli. Le télégramme No 09 Algiers 948 du 25 octobre 2009 fuité par Wikileaks prêté à ce chef algérien du redoutable Ddse d’avoir dit aux Américains que plusieurs familles puissantes et riches du Mali ont eu droit aux largesses des « trafiquants » et qu’une banque de la place leur sert même de structure de blanchiment. Vrais cols blancs derrière de faux alibis : l’enquête internationale débouche sur plusieurs noms et innocente plusieurs autres personnes accusées par la méchanceté locale. Elle attend sans doute les conclusions de l’enquête nationale en cours.
Adam Thiam