Aux dires du gouvernement mauritanien, le raid effectué par son armée, le 22 juillet dernier , est un acte de prévention contre le groupe terroriste AQMI, qui préparait un attentat sur son territoire. Mais la tournure des événements révèle une attitude belliqueuse et provocatrice de la Mauritanie vis-à-vis du Mali, sans la moindre réaction de l’Etat malien dont le silence, plus que jamais angoissant, est caution à de multiples interrogations.
Après le droit d’ingérence qui avait fait couler beaucoup de salive en son temps, voici le droit de poursuite. Comme le premier, il est un prétexte fallacieux et déstabilisateur pour violer impunément un territoire voisin, pour un oui ou un non. En effet, le droit de poursuite, même s’il peut bien se justifier dans la lutte contre le terrorisme transfrontalier, peut pécher dans son application et on ne s’y retrouve plus. Pour prendre un exemple qui ne laisse personne indifférent, l’on se rappelle bien que l’accord de Doha (Qatar), signé le 3 mai 2009, pour sceller la réconciliation entre Déby et El-Béchir, ouvrant la voie à la reprise de relations diplomatiques interrompues en mai 2008, a été violé au nom du droit de poursuite invoqué par Idriss Déby, quelques jours seulement après la signature dudit accord. En effet, usant d’un " droit de poursuite ", Idriss Déby Itno avait lancé, à la mi-mai 2009, des raids aériens en territoire soudanais pour, selon lui, "prendre en chasse les mercenaires tchadiens à la solde du Soudan".
Le même problème a opposé, la même année, le Tchad au Cameroun. Entre le Sénégal et la Guinée Bissau ce droit de poursuite a fait longtemps débat dans le cadre de la lutte contre, d’abord, les indépendantistes du PAIGC de Cabral et, ensuite, en sens inverse contre les rebelles du MFDC de la Casamance. L’on se rappelle aussi que l’Afrique du sud a eu à frapper jusqu’au cœur de l’Angola, dans le cadre de la poursuite d’éléments déstabilisateurs. Les cas font légion. Cependant, cette application du droit de poursuite entraîne, qu’on le veuille ou non, une notion de limitation de souveraineté. C’est pourquoi, il est important d’en définir les limites dans le temps et dans l’espace, comme c’est souvent le cas entre les Etats européens, qui ne permettent pas, sauf cas exceptionnel, d’aller au-delà de 10 km à l’intérieur de leur territoire. Parfois même sans possibilité d’interpellation.
Rappelons que ce droit de poursuite remonte à très loin dans l’histoire et on le retrouve dans les sociétés esclavagistes de l’Antiquité et en particulier à Athènes et à Rome, où il était appliqué principalement aux esclaves fugitifs ou recherchés pour des délits. Les cités grecques protégeaient légalement les propriétaires d’esclaves en signant entre elles des traités qui autorisaient la poursuite et l’extradition d’un esclave d’une ville réfugié dans une autre ville. Mais ce droit avait quand même des limites car il lui était parfois opposé le droit d’asile dont bénéficiait l’esclave fugitif dans certains sanctuaires, comme le Theséion et le temple des Érinyes à Athènes. L’esclave se trouvait alors sous la protection de la divinité, selon une vieille tradition commune à toutes les civilisations antiques. Le maître ne pouvait le reprendre par la force, encore moins pénétrer dans le temple, sinon il commettrait un sacrilège.
C’est pour dire que si la Mauritanie brandit comme argument l’usage du droit de poursuite, elle devait savoir raison garder et en aviser le Mali à temps. Cette question qui attend toujours une réponse s’ajoute à une autre : pourquoi oser arrêter, séquestrer et enlever des citoyens maliens, des civils de surcroît, sur leur propre territoire ? et tout ceci fait suite au rappel par la Mauritanie de son ambassadeur depuis plus de cinq mois. Visiblement, si ce n’est pas de la provocation, ça lui ressemble fort. Pendant ce temps, la réaction de l’Etat malien se fait attendre: pas de condamnation ouverte, ni déclaration, ni protestation. Il semble bien que le président ATT ait bien compris conscience qu’on chercherait à le piéger, en le projetant dans une guerre totale, solitaire et au premier plan contre AQMI. Ce qui expliquerait sa discrétion dans la gestion du dossier, notamment dans ses derniers développements. En bon Général d’armée, donc stratège, il se renseigne, analyse, exploite et certainement mettra en œuvre sa stratégie. C’est vrai que " la diplomatie ne se fait pas à la place publique " comme pour rappeler un enseignement du président-poète sénégalais Senghor, mais l’enlèvement de citoyens civils ne mérite pas pour autant une si grande discrétion qui frise le silence angoissant, surtout qu’une frange non négligeable de la population a déjà élevé la voix pour protester et porter plainte contre l’armée mauritanienne et française. Pourtant la Mauritanie a bien participé à l’opération Flintlock 2010 entre les armées des pays de la sous région et qui avait pour objectif de forger parmi les nations de la région transsaharienne des relations de paix, de stabilité et de coopération et surtout de les préparer à une action commune contre le terrorisme, les trafics de tous ordres et l’insécurité qui menacent la quiétude des Etats de la bande sahélo-saharienne. Pourquoi alors ce raid solitaire qui a tourné à la bérézina ?
Amadou Baba NIANG