Ag Acharatoumane (MSA) : « L’État islamique au Grand Sahara ne sera pas vaincu par des forces étrangères »

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Moussa Ag Acharatoumane (photo capture d’écran france24)

Le chef du Mouvement pour le salut de l’Azawad (MSA), Moussa Ag Acharatoumane, revient pour Jeune Afrique sur la « guerre » engagée contre l’État islamique dans le Grand Sahara (EIGS) dans la zone du Mali frontalière avec le Niger.

Le secrétaire général du Mouvement pour le salut de l’Azawad (MSA), Moussa Ag Acharatoumane, 32 ans, est devenu incontournable dans la lutte contre les groupes armés se réclamant de l’État Islamique dans le Grand Sahara (EIGS), la branche sahélienne de l’EI. Dirigé par Abou Walid al-Sahraoui, un transfuge d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), EIGS étend sa zone d’action.

Le groupe jihadiste a ainsi récemment revendiqué l’enlèvement d’un enseignant et l’assassinat d’un maire dans le nord du Burkina Faso. À Ménaka, dans la région du Mali frontalière avec le Niger où est basée cette nébuleuse, Moussa Ag Acharatoumane est un leader incontestable.

Il y a quelques mois, il a lancé ses 300  combattants dans la guerre contre EIGS. Cette opération, soutenue par l’aviation française, a fait plus de cent morts dans les rangs des groupes jihadistes présents sur la frontière Mali-Niger. Jeune Afrique a rencontré Moussa Ag Acharatoumane, présent à Bamako depuis quelques jours. Il évoque la lutte qu’il mène contre ceux qu’il appelle « les malfrats », estimant que l’EIGS « n’a rien de musulman ».

Jeune Afrique :  Le Mouvement pour le salut de l’Azawad (MSA) ainsi que le Groupe d’autodéfense Touaregs Imghad et alliés (Gatia) sont engagés depuis plusieurs mois dans de violents combats avec l’État islamique dans le Grand Sahara (EIGS). Pourquoi avez-vous engagé vos hommes dans une guerre contre cette nébuleuse ?

Moussa Ag Acharatoumane : Depuis trois ans, ces malfrats terrorisent nos villages et nos populations. Le 2 février, ils ont attaqué un de nos villages, Inowelene. Ils ont tué un vieillard de 70 ans, un opérateur économique d’une quarantaine d’années, et un jeune homme âgé de 18 ans. Ils ont pillé le village et se sont permis de rentrer dans la maison d’un érudit pour brûler sa bibliothèque, y compris des exemplaires du Coran.

Ces criminels ont enlevé un marabout et l’ont abattu d’une balle dans la tête. En outre, ils ont enlevé plusieurs civils de la région de Ménaka, puis les ont égorgés ou exécutés à bout pourtant. Nous ne pouvons pas rester les bras croisés face à ces massacres, c’est pourquoi nous avons décidé de lancer une offensive.

L’aviation française bombarde les bases de l’État islamique, puis nos combattants et les soldats maliens engagent les combats au sol

À vos côtés, dans ces combats, se trouvent aussi des soldats français de l’opération Barkhane, ainsi que les forces armées maliennes et nigériennes. Comment se traduit cette collaboration sur le terrain ?

Toutes ces forces ont un ennemi en commun : Adnan Abou Walid [Abou Walid al-Sahraoui], le chef de l’État islamique dans le Grand Sahara (EIGS). Un criminel originaire du Sahara marocain qui a fui la justice de son pays et qui s’est retrouvé dans notre région. Il recrute nos jeunes pour semer la terreur.

Nous avons décidé de nous protéger contre ce malfrat, et les forces internationales y ont vu une bonne occasion d’éradiquer le terrorisme. Concrètement, l’aviation française bombarde les bases de l’EIGS. Ensuite, nos combattants, accompagnés de soldats maliens, pénètrent dans la forêt pour engager les combats au sol.

Je précise que c’est nous qui avons le plus d’hommes sur ce front. Au même moment, les forces nigériennes ratissent leurs frontières pour intercepter les combattants qui essaient de fuir vers le Niger.

Vous êtes engagés dans ces combats depuis bientôt deux mois. Quel en est le bilan ?

Au moins cent quarante malfrats ont été tués depuis le début des opérations, et quarante autres ont été faits prisonniers. Ils ont ensuite été remis aux autorités – maliennes ou nigériennes, selon leur nationalité. De notre côté, nous déplorons la mort de vingt combattants et d’une dizaine de blessés.

À quoi ressemble une base de l’EIGS ?

En général, les terroristes établissent leur camp dans une forêt plutôt dense – les arbres leur permettant d’échapper à la surveillance des avions – et entourée d’arbustes, ce qui dissuade les patrouilles d’y pénétrer. Dans une base, on compte entre dix et trente personnes, qui communiquent entre eux avec des talkie-walkie. On y trouve du carburant, dans des fûts ou des bidons, mais aussi des vivres – des spaghettis, du riz, du thé, du sucre, de l’eau…

En général, ils détiennent aussi des sacs contenant des documents : actes de naissance, cartes d’identité, reçus de retraits d’argent, ou encore des cahiers contenant des numéros de téléphone. Leurs bases sont mobiles…

Nous avons ce qui a toujours manqué aux forces internationales : la connaissance du terrain, des acteurs et de leurs mouvements

Quels renseignements peut-on tirer des fouilles d’une base jihadiste ?

Grâce aux talkie-walkie retrouvés, nous avons pu établir que les terroristes communiquaient entre eux deux fois par jour : tôt le matin et en début d’après-midi. C’est grâce à leurs communications que nous avons pu déterminer les positions des uns et des autres.

Les effectifs de l’EIGS sont répartis dans de petites bases mobiles distantes de 50 km. L’exploitation des téléphones nous a permis de savoir, par exemple, qui donne les ordres dans le groupe, et avec qui il est en contact – aussi bien au Mali qu’au Niger.

Nous savons aussi que la majorité des combattants de l’EIGS sont des Nigériens, la plupart originaires de la région de Tillaberie.

Les cinq pays rassemblés au sein du G5 Sahel préparent une force militaire de 5 000 soldats pour lutter contre le terrorisme. Croyez-vous que cette solution est viable ?

Les organisations criminelles comme l’EIGS ne sera pas vaincu par des forces étrangères. Je veux dire par là que des soldats qui ne connaissent ni le territoire, ni les coutumes, ni les mentalités des populations locales ne sauraient les combattre efficacement.

Si le MSA et le Gatia, composés de bergers, ont obtenu un résultat significatif face à une organisation qui fait trembler le monde entier, c’est parce que nous avons des atouts qui ont toujours manqué aux forces internationales : la connaissance du terrain, celle des acteurs, la maîtrise de leurs mouvements…

Les armées impliquées ont pourtant employé des guides locaux dans le cadre des opérations antiterroristes…

Oui, c’est vrai : les armées malienne et nigérienne, tout comme les soldats français de Barkhane, ont toujours utilisé des guides. Mais sont-ils venus à bout de la menace ? Non ! Les guides locaux ne suffisent plus. Nous devons recruter le maximum de locaux dans l’armée nationale, et leur donner une formation digne de ce nom afin de combattre les terroristes. Bien évidemment, ils seront aidés par les soldats venus des autres régions.

J’invite la Minusma à déployer une équipe pour observer ce que nous faisons pendant nos opérations

La semaine dernière, le chef de division droits de l’homme de la Minusma a évoqué des « inquiétudes » quant à la légalité des opérations menées par le MSA et le Gatia tout en pointant l’exécution sommaire d’au moins 95 personnes accusées de « terrorisme ou de banditisme ». Que répondez-vous ?

Je démens catégoriquement ces accusations, qui ne reposent sur aucune réalité. Je demande à la Minusma de prendre ses responsabilités pour que cessent ce genres d’allégations mensongères qui portent atteinte à notre image mais aussi à celle de toute la région de Ménaka.

Nous respectons les droits humains, les lois de notre pays ainsi que les normes internationales en matière de droits de l’homme. La réalité, c’est que dans cette zone tout le monde est armé, y compris les civils. Il y a des problèmes intercommunautaires et intracommunautaires. On entend tous les jours qu’untel a blessé untel, ou que celui-ci a tué celui-là, mais ces actes ne sauraient engager le MSA. J’invite la Minusma à faire un effort et à déployer avec nous une équipe pour observer ce que nous faisons pendant nos opérations.

Certains de vos combattants se livrent-ils à des règlements de comptes personnels ?

Ce sont des débordements que nous ne pouvons maîtriser et qui n’engagent pas nos mouvements. Si de tels actes sont confirmés, force restera à la loi. Nous sommes prêts à coopérer avec la justice internationale pour que leurs responsables soient arrêtés, quel que soit le mouvement dont ils sont issus.

Il y  a quelques semaines, des manifestants ont marché sur le gouvernorat de Ménaka pour demander la création de nouvelles communes, ou encore le raccordement à l’électricité ou à l’eau. Certains considèrent que derrière ces manifestations, vous seriez à la manœuvre…

C’est faux ! Mais ces manifestations n’en sont pas moins légitimes. Il est normal que les populations manifestent leur mécontentement. Il est en effet inadmissible que Ménaka, le chef-lieu d’une région aussi importante sur l’échiquier politique du Nord-Mali, soit privée d’eau, d’électricité ou d’Internet.

Je déplore toutefois les échauffourées qui sont survenues, car nous n’avions pas besoin de ça. Ménaka est une petite ville, où tout le monde se connaît. Les gens ont facilement accès au gouverneur, qui est à l’écoute de la population.

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