«Depuis deux mois, affirme cet animateur de radio qui requiert l’anonymat et pour de bonnes raisons, nous avons vu à Gao de nouveaux jihadistes dont certains sont dits Tunisiens et d’autres Egyptiens. En tout cas pas des Arabes d’ici ». Et les nouveaux arrivages de jihadistes soudanais dont parle la presse internationale ? « Je n’en ai pas vu et on n’en parle pas ici comme d’un phénomène aussi important que l’arrivée desdits jihadistes nord africains il y a quelques semaines ». Le consulat malien à Khartoum qui dit avoir fait les recoupements nécessaires est formel « cette histoire de centaines de jihadistes soudanais venus renforcer les salafistes au Nord du Mali ces quarante heures est tirée par les cheveux». Pourquoi ? La distance?
Soudan, un volcan éteint ?
On sait que c’est la route qui est déjà fréquentée par les narcotrafiquants qui vont du Nord-Mali au Sud de l’Egypte ou de la Libye via le Niger, le Tchad et le Soudan. Le Consul sait « tout cela » mais pour lui, le Soudan n’est plus un pourvoyeur de moujahiddines depuis plusieurs décennies. Un ex journaliste de Sudan Now est du même avis « même quand en mars, El Beshir a cherché à mobiliser les jihadistes musulmans contre ce qu’il qualifiait d’impérialisme du Sud-Soudan chrétien, très peu de Nord Soudanais ont pointé ». Il est vrai que la littérature existante ne donne plus le Soudan comme un volcan en activité. Il y a eu des doctrinaires célèbres dont Hassan El Tourabi. Mais le problème, à en croire plusieurs chercheurs, a toujours été la disponibilité des soldats de la foi. Le Darfour ne peut-il être le réservoir rêvé ? « Les Darfouri ont leur agenda local : et ils sont plus autonomistes que jihadistes » explique l’ancien journaliste qui n’exclut toutefois pas la possibilité que des anciens rebelles s’engagent pour l’argent ». Donc plus des mercenaires que des fous de Dieu. Et Aqmi, si la littérature afférente est crédible, est plein aux as. Mais même là ? Alghabass Ag Intallah, le député malien passé depuis à Ansardine ne réfute pas l’information mais il est quelque peu sceptique « s’il y a autant de jihadistes au Soudan, pourquoi ils ne font rien chez eux d’abord ? »
Barbus mieux nourris
Mais relativise l’officiel d’Ansardine depuis Kidal « si la nouvelle était fondée, c’est Aqmi qui l’aurait su, pas notre mouvement ». Interrogée sur le récent afflux soudanais, une source à Gao assure « j’ai vu hier à l’entrée de Gao et venant de la route de Bourem une dizaine de véhicules transportant des barbus en jellabah kaki ». Et pourquoi peuvent-ils être Soudanais ? « Je ne dis pas qu’ils sont Soudanais mais ils venaient d’arriver ». Un autre témoin déclare « ce matin, il y avait au grand marché de Gao des islamistes que nous ne connaissions pas. Ils sont en jellabah kaki, très barbus, mieux nourris que ceux que nous avons ici et plus hostiles à la population ». Connaisseur de la nébuleuse, un chercheur arabe, ancien administrateur, prévient : « Il faut faire attention à la com des jihadistes. Ils sont très bons pour créer la psychose ». Et pour lui, ils ont plusieurs raisons de le faire en ce moment. « D’abord, explique t-il, ils ne peuvent pas ne pas être inquiets des nouvelles du rapprochement Aqmi-Mnla qui courent dans la Région ». Et puis, poursuit-il, « les jihadistes savent de plus en plus qu’une intervention militaire contre eux est plus que probable ». Ils utiliseraient alors, selon le chercheur, tous les canaux locaux pour faire contrepoids à la communication des futurs coalisés. Parce qu’ils auraient leur filière de sympathisants pour diffuser l’info qu’ils veulent.
Un couloir pour les Chebab donc ?
Manip’ alors ? A la guerre comme à la guerre, se rappelle l’ex journaliste soudanais au plus fort de la propagande bravache des jihadistes soudanais quand l’Amérique traquait leur hôte Ben Laden dans les années 1990. Alors des Soudanais dans les rangs d’Aqmi, pourquoi pas ? Il y a bien des Afghans et des Pakistanais au Nord- Mali et ils viennent de bien plus loin. Mais des légions de Soudanais arrivées ces heures-ci, c’est moins sûr. Des spécialistes du renseignement de la sous-région en doutent. Pour eux, l’info exacte ne peut être donnée que par Aqmi ou Mujao et s’ils la donnent quand elle est fondée, l’adversaire renforcera sa capacité contre eux. Et si ce n’est pas eux qui la donnent ? C’est l’empire des rumeurs et des hypothèses qui en sort renforcé et ce n’est pas forcément une mauvaise chose pour la nébuleuse islamiste. C’est l’analyse qui ressort de l’opinion de la dizaine de personnes que nous avons interrogées à Gao sur l’axe Sahel-Corne de l’Afrique. Qui ne saurait être une passoire, selon notre ex journaliste soudanais, sans laisser passer les colonnes autrement plus redoutables des Chebab somaliens en difficulté.
Adam Thiam