ACCORDS D’ALGER : La nuit des longs couteaux

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Les Accords d’Alger divisent le Mali. Au-delà de la passion, une réflexion approfondie s’impose…

 

Depuis plusieurs jours maintenant, le document résumé sous l’intitulé Accords d’Alger fait couler beaucoup d’encre et de salive. Pour les uns, il s’agit d’une entente salutaire qui a épargné à notre pays les affres d’une guerre civile aux conséquences inconnues mais certainement atroces ; pour les autres, il ne s’agit ni plus ni moins que d’un mini Munich à la sauce tropicale, une sorte de capitulation sans coup tirer.

Mais s’agit-il vraiment d’une polémique entre pacifistes et guerriers de salon ? D’une chicane purement motivée par la politique politicienne et un souci de positionnement ? Sincèrement, je ne le pense pas. Mon avis est plutôt que cette polémique est le résultat d’une suite de mésententes et de gestion moyenâgeuse d’un dossier ultra sensible.

De prime abord, je voudrais clarifier une chose. Si le monde politique malien m’est carrément étranger, l’armée malienne, elle, m’est familière. Dès ma prime enfance, j’ai pu côtoyer directement des officiers de valeur comme Ibrahim Arwalo Maïga, Sory Ibrahima Sylla, Souleymane Daffé et bien d’autres. Je crois donc qu’il est important de démentir le mauvais procès fait au général Kafougouna Koné qui serait le parapheur d’une reddition qui ne dit pas son nom. Tout Malien doté du moindre jugement objectif, qui connaît les états de service du ministre de l’Administration territoriale conviendra que Kafougouna Koné est un des officiers les plus courageux, les plus valeureux, intègres et honnêtes de l’armée nationale.

Je classe le général Koné dans la lignée des officiers comme Diby Silas Diarra, Tiécoura Sogodogo, Yoro Diakité, Malick Diallo, Sékou Traoré, Boukary Sangaré, Souleymane Dembelé, Diassan Diakité, Kélétigui Drabo, Abdoulaye Soumaré, Abdoulaye Ouologuem, Siaka Koné, Berdougou Koné, Minkoro Kané, Tiefolo Togola et malheureusement, je ne peux tous les citer. Soupçonner Kafougouna Koné d’hérésie militaire relève tout simplement de la mauvaise foi.

Cela dit, pour quelles raisons une partie du Mali est tant révoltée contre ces Accords d’Alger. A l’analyse, une seule peut justifier cette colère : la manière dont ce dossier a été gérée, qui fut une suite de couacs et d’impairs. Résumons quelques-uns. A la lecture de différents articles de presse et de communiqués, il appert que les autorités militaires et administratives du pays étaient parfaitement informées des mouvements d’humeur des insurgés. Les astres étaient parfaitement alignés pour une énième insurrection de Fagaga, Bahanga et compagnie. Quand on dit que gouverner c’est prévoir, cela signifie également prévoir la sécurité et le confort des personnes dont l’intégrité physique nous incombe. Qui a décidé de ne rien faire et de laisser les rebelles exécuter leur plan ?

Ensuite, du 23 mai à ce jour, en tout cas selon les informations dont je dispose, aucun responsable de haut niveau n’a mis les pieds à Kidal ou Ménaka pour réconforter la troupe et lui donner l’heure juste quant à la suite des événements. Cela a donné le sentiment pur et simple aux Maliens que l’état-major se planquait à Bamako et qu’une partie du territoire malien lui était interdite. Un vrai malaise. Cependant, le pire, dans cette affaire, a été la gestion de l’information au niveau des autorités maliennes.

Du 23 mai à la signature des Accords, le silence radio ne fut qu’assourdissant. Pendant que les insurgés avaient mis en branle une formidable machine de propagande qui inondait l’Europe et l’Amérique du Nord de leur vision des informations, Bamako s’emmurait dans un désespérant silence radio qui dénotait soit un état de panique avancé ou tout simplement une incapacité totale à se livrer et à livrer l’information juste. Alors, les rumeurs ont commencé à sourdre : le colonel commandant d’un camp se serait enfui par la fenêtre en jetant ses treillis dans un puits ; les seuls hommes à avoir résisté furent les intégrés ; les gardes du corps du gouverneur ont pris la poudre d’escampette ; l’armée a attendu 48 h et le départ des insurgés pour investir un camp vide, etc.

Il fallait juste une vraie stratégie de communication, une ouverture d’esprit au monde moderne, des conférences de presse sérieuses et véridiques de la Dirpa pour empêcher le foisonnement de ces rumeurs dont la plupart sont fantaisistes. Alors, certains se demandent si notre armée est devenue une confortable planque pour enfants choyés des barons de la République et d’éléments qui refusent de faire la guerre ou si elle reste encore l’héritière fière de Kémé Bourama et de Fakoly Koumba. Je ne m’engagerai pas dans ce débat.

Toutefois, maintenant que le vin est tiré, il faut le boire jusqu’à la lie. C’est le moment pour le gouvernement, les autorités, de s’attaquer sérieusement à cet irrédentisme qui perdure depuis le lendemain des indépendances. Je demeure convaincu que les insurgés du 23 mai ne sont pas une bande de desperados qui ont choisi de défier l’Etat. Il y a certainement, derrière l’alibi du développement déficient et de la discrimination, des forces occultes, tapies dans l’ombre qui soufflent sur le brasier.

Souvenons-nous que lors de la précédente rébellion, une faction avait son siège social dans l’enceinte d’une ONG norvégienne ; souvenons-nous des conditions dantesques dans lesquelles un diplomate suisse a été tué ; ainsi les entrées à buffet ouvert dont disposaient les chefs rebelles dans certaines capitales européennes. Il est donc temps pour le gouvernement et pour l’intérêt du Mali, d’engager une nouvelle dynamique de résolution de ce conflit ; de prendre ce problème malien à la source afin de le régler définitivement.

Pour avoir vécu dans ces régions, personne ne m’expliquera les conditions de vie quasi inhumaines qui y sévissent. Au point où un fonctionnaire malien muté dans ces zones se croit condamné au purgatoire. Que faut-il faire exactement au nord pour combler le gap de développement qui le sépare du Sud ? Qui sont les financiers malveillants de ces hommes qui déstabilisent la région ? Comment offrir sécurité et stabilité aux paisibles habitants de cette zone ? Comment repérer et neutraliser ceux qui, dans l’obscurité, alimentent la fronde ?

J’aimerais bien, à mon tour, entrer dans la danse et dénoncer ces Accords d’Alger pour la manière dont ils ont été signés et qui rappellent un bis repetita de la Nuit des longs couteaux, mais j’en suis incapable. Parce que tout simplement, je ne peux rien proposer à la place qui aurait été mieux. Par conviction, par humanisme, je suis contre la guerre, contre toutes les formes de guerre dont les victimes sont toujours les pauvres et les gens sans défense. Je ne pourrai pas condamner pour condamner sans avoir quelque chose à proposer. Je me dis simplement que si les personnes les mieux placées ont décidé qu’un mauvais accord vaut mieux qu’une bonne guerre, je ne peux que leur faire confiance.

Quand je pense que la région de Kidal fait 260 000 km2, que le Mali est pays démuni, que les Etats-Unis avec leur puissance de feu sont en train d’échouer en Irak, que la puissante armée d’Israël n’arrive pas à contenir un foyer insurrectionnel sur un territoire à peine plus grand que le district de Bamako, je me dis que nos autorités militaires et civiles ont leur raison. Ils doivent la donner.

Enfin, une constante reste : les Maliens doivent être convaincus que l’ère de l’impunité est révolue, que les citoyens qui violent la loi, tuent ou volent sont punis de la même manière. Comment ? Je ne suis pas élu pour y répondre. J’attends seulement des réponses.

Ousmane Sow

(journaliste à Montréal)

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