Accord d’Alger-situation sécuritaire : Iyad se radicalise

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Iyad Ag Ghali
Iyad Ag Ghali

Le Mali n’est pas au bout de ses peines dans le long processus de paix qui a abouti, de décembre 2013 à mai et juin 2015, à la signature de l’Accord d’Alger pour la paix et la réconciliation. Et pour cause : l’ultra islamiste, Iyad Ag Ghali, refait surface après plus de deux ans de silence et d’effacement personnel de la scène.

Le chef rebelle signe son retour avec un enregistrement sonore (authentifié selon les médias français qui le révèlent) dans lequel il se désolidarise de ses anciens alliés de la CMA et de la Plateforme qui ont signé l’accord de paix. Non seulement Iyad rejette l’accord (que son mouvement Ansardine n’a d’ailleurs pas signé), mais il menace ses anciens camarades et le peuple malien de représailles sanglantes. Pourtant, depuis la phase des pourparlers inclusifs inter maliens, votre bi hebdo n’a eu de cesse de s’interroger sur la valeur d’un accord sans le fondateur d’Ansardine, mais aussi et surtout, d’attirer l’attention des autorités, des parties aux pourparlers et de l’opinion sur la caractère dangereux de ce (petit) « monsieur » ( !). Un ennemi de la nation.

Iyad Ag Ghali donne signe de vie, de la plus populiste et épouvantable des manières. En effet, un média étranger révèle que le leader touareg islamiste, chef du groupe armé djihadiste Ansardine, dans un document sonore authentifié, rejette l’accord de paix signé le 15 mai et le 20 juin 2015, respectivement par la Plateforme et la coordination des mouvements de l’Azawad (Cma), ses anciens alliés, et il se montre menaçant.

 

Appel au djihad

Dans cet enregistrement d’une vingtaine de minutes, Iyad insulte quasiment ses anciens camarades qu’il traite de laïcs et qu’il accuse d’avoir bradé le sang et la terre en signant l’accord d’Alger qui pue l’impiété et la trahison. L’ancien chef rebelle de 1990 les menace même de représailles sanglante.

Dans son adresse, il appelle particulièrement les jeunes au djihad: «C’est votre jour ! Le croisé a dépassé toutes les bornes. Répondez à cette offense par vos ceintures d’explosifs, vos charges télécommandées et vos engins piégés», crie-t-il. En clair, il encourage implicitement ses fidèles à intensifier les attaques sur le sol malien. D’ailleurs, le chef djihadiste salue «les moudjahidines retranchés à Sikasso, au Macina, à Sévaré-Mopti, à Tombouctou et Kidal», où les hommes de Amadou Kouffa (fondateur du Front de libération du Macina) assassinent les fonctionnaires de l’Etat, les imams et les chefs de village.

Au-delà du Mali, l’allié d’Aqmi appelle, dans l’enregistrement, à poursuivre la lutte contre la France. Et approuve l’attentat de janvier dernier contre la rédaction de Charlie Hebdo pour avoir caricaturé le prophète, estimant que ce journal n’a eu que ce qu’il méritait.

Après ces révélations, c’est la panique dans les rangs de la Plateforme et de la Cma, qui accordent le plus grand crédit à ces menaces de Iyad. Celui-ci, maîtrisant parfaitement la région et la ville de Kidal, le pire est à craindre dans les mois, voire les jours à venir. Non seulement à Kidal mais aussi ailleurs sur le territoire où la vigilance doit être de mise.

Pourtant, depuis la phase des pourparlers, qui excluaient (logiquement) Iyad (un terroriste sur la liste noire des Américains), il était prévisible de s’inquiéter sur la garantie de la mise en œuvre du futur accord dans l’espace de l’Azawad.  Il fallait aussi craindre que l’absence du processus de dialogue du chef d’Ansardine ne déclenche un cycle de violences et des actes terroristes, aussi bien au nord qu’à travers tout le pays.

Un leader politique de la place avait pourtant tiré la sonnette d’alarme sur le cas sans appeler ouvertement à inclure Iyad dans les pourparlers, mais sans exclure non plus qu’on l’y implique selon des formes et des modalités définies.

Tout comme notre homme politique, à L’Aube, nous avons démontré plus d’une fois que Iyad est une menace, pour Kidal et pour la République, le rebelle devenu islamiste ayant suffisamment apporté la preuve de sa capacité de nuisance. C’est pourquoi, ses récentes déclarations ne nous surprennent guère.

 

Qui est Iyad ?

En 1990, le nord du Mali s’était subitement embrasé avec l’éclatement d’une rébellion armée qui avait fait de nombreuses victimes civiles et militaires. A l’époque, le premier mouvement à déclencher les hostilités à Ménaka et Tinzawaten était le Mouvement populaire de libération de l’Azawad (Mpla). Des garnisons militaires et des postes de gendarmerie furent simultanément attaqués. Iyad Ag Ghaly (avec d’autres) venait fraichement de quitter la légion islamique libyenne (un contingent supplétif de l’armée) que Kadhafi avait créée pour la guerre au Tchad.

Il a fallu la signature des premiers accords d’Alger et celle du Pacte national (1992) pour mettre fin (provisoirement) aux hostilités dans le septentrion malien. Entre temps, le Mpla a connu des dissidences. Iyad était de plus en plus contesté par certains camarades qui ont finalement quitté le mouvement. Mais, il réussit à maintenir son leadership sur ses compagnons Ifogas, jusqu’à la signature du Pacte national. Le pacte prévoit l’intégration des combattants des Mouvements et fronts unifiés de l’Azawad (Mfua) au sein des forces armées et de sécurité.

Iyad Ag Ghaly, contrairement aux autres chefs militaires et politiques des Mfua, se met en marge du processus d’intégration. Il aurait à l’époque exigé des autorités un joli magot pour monter ses propres « affaires ». Quelles affaires ? Nul ne connaît en réalité les activités réelles de cet homme depuis la fin de la rébellion de 1990. Son vrai visage est, en effet, resté longtemps caché sous un turban. Et il multipliait les déplacements entre Bamako, Kidal et l’extérieur.

Ainsi, au fil du temps, Iyad dilapide tout l’argent à lui offert, même s’il est parvenu à se faire construire deux appartements à Bamako (Kalaban Coura) et à Kidal.

En 2006, les Libyens louent celui de Kidal à 1 million de FCFA par mois afin d’abriter le siège du consulat qu’il s’apprêtait à ouvrir. Mais ce consulat n’ouvrira jamais ses portes. Du coup, Iyad voit ses rêves financiers partir en fumée. Entre temps, à partir de janvier 2006, la tension ne cessait de monter à Kidal.

En effet, le colonel Hassane Fagaga et un groupe d’intégrés quittent les garnisons militaires et prennent le maquis. De même, des jeunes (ex combattants) qui avaient bénéficié de fonds pour leur réinsertion dans le secteur économique exigent de nouveaux financements. Les premiers fonds offerts à eux dans le cadre du Pacte national avaient été mal gérés. Au même moment, Ibrahim Ag Bahanga multiplie les menaces et les revendications. En somme, le mercure montait à Kidal à une allure préoccupante. Mais derrière toute cette agitation, se cachait un homme : Iyad Ag Ghaly. L’ex chef de la rébellion tirait incontestablement les ficelles de la contestation en même temps qu’il offrait ses services aux autorités pour gérer la crise latente.

En mai 2006, Iyad Ag Ghaly quitte précipitamment Kidal pour Bamako. Mais avant, il reçoit Bahanga. Que se sont-ils dit ? Le 22 mai 2006, Iyad est reçu à Koulouba par le président ATT. L’entretien porte sur les revendications des jeunes et celles des militaires déserteurs conduits par Fagaga. ATT fait part à Iyad des démarches déjà entreprises par le gouvernement, et promet à son interlocuteur du jour de s’investir personnellement pour la satisfaction de certaines doléances des jeunes.

Au terme de cet entretien, c’est un Iyad Ag Ghaly déçu qui a quitté Koulouba. Selon des indiscrétions, l’ex chef rebelle espérait, au-delà du discours présidentiel, obtenir une enveloppe, à défaut d’une mallette. En réalité, toute l’agitation à Kidal n’avait qu’un seul objectif : soumettre l’Etat à un chantage.

Après son entrevue avec le président Touré, Iyad était arrivé à la conclusion suivante : l’Etat ne lui offrira aucune prime. Ainsi, il appelle ses hommes de main, Ibrahim Bahanga et Hassane Fagaga. « Je n’ai rien obtenu de ATT… », tel pourrait être le message passé par Iyad à ses subordonnés, et décrypté sous la forme d’un ordre d’attaquer Kidal.

Le lendemain, 23 mai, la 8è région se réveille sous le choc. La garnison militaire, les brigades de la gendarmerie et de la garde sont attaquées. Les auteurs ? Ibrahim Ag Bahanga et Hassane Fagaga à la tête d’un groupe de combattants.

Peu avant, Iyad Ag Ghaly avait nuitamment quitté Bamako pour Kidal. L’ex chef de la rébellion confie à son entourage que sa vie était menacée. D’où l’obligation pour lui de quitter la capitale. Et qu’il avait été contraint de contourner fréquemment les axes routiers pour sauver sa peau. En laissant filtrer de telles confidences, Iyad Ag Ghaly cautionnait l’attaque de Kidal, dont il était, en réalité, l’instigateur. Dès lors, il sort une nouvelle carte de sa manche.

 

Un fin manœuvrier

De 2006 à 2009, Iyad, un fin manœuvrier, se met dans une position de médiateur entre l’Etat et ceux qui étaient présentés comme membres de l’Alliance, un mouvement créé suite aux événements du 23 mai 2006 à Kidal.

Dans cette position, le rentier tend la main à toutes les parties susceptibles de lui apporter des mallettes remplies de liasses. Il négocie avec les autorités. Il sollicite à la fois les Algériens et les Libyens. Durant cette crise de Kidal, le rebelle excelle dans l’équilibrisme entre l’Etat, les insurgés, l’Algérie et la Libye.

A la signature de l’Accord d’Alger, il dicte ses exigences, dont la principale est le retrait de l’armée des localités du nord. Un an après, en 2007, l’Accord d’Alger a du plomb dans l’aile, Bahanga continue les hostilités. Mais dans l’ombre, il y avait toujours Iyad.

Face à la crise, le colonel Kadhafi mène des négociations secrètes au Mali et en Libye. Des émissaires de l’Etat rencontrent Bahanga, en présence de Iyad à Tripoli. Alors que les deux parties étaient sur le point de conclure un accord, Iyad pose, une nouvelle fois, sa condition : le retrait de l’armée de Kidal. Au finish, la rencontre capote. En réalité, au-delà de Kidal, le monstre a étendu ses tentacules sur toute la zone nord du pays. Il traite à la fois avec les trafiquants, les salafistes et autres autorités locales maliennes et étrangères. Et la présence de l’armée le gêne visiblement.

En février 2009, l’armée chasse Bahanga de la région de Kidal. La crise de Kidal venait ainsi de connaître son épilogue.

Quant à Iyad, il accepte sa première fonction officielle. Il est nommé agent consulaire au consulat du Mali à Djeddah. Est-ce une manière subtile pour les autorités maliennes de l’éloigner de Kidal ? Possible. Mais Iyad ne fera pas un long séjour sur le sol du Royaume d’Arabie Saoudite. Il aurait été expulsé à cause, dit-on, d’activités subversives. Pas surprenant pour cet homme qui semble avoir le virus de la subversion dans le sang et qui avait subitement glissé sur le terrain religieux. Au Mali, et sur le plan religieux, Iyad ne faisait plus mystère de son appartenance à la Dawa, une secte islamiste. Ses fréquentations de certaines mosquées étaient suivies par les services de sécurité et même par certaines chancelleries occidentales à Bamako.

Après son expulsion de Djeddah, le rebelle renoue avec les navettes entre Kidal, Bamako, et l’extérieur. Son nom revient souvent dans les négociations visant la libération des otages occidentaux enlevés au Sahel.

C’est ainsi que le conflit en Libye arrive comme une aubaine pour Iyad qui connaît le rôle des soldats touaregs dans le dispositif sécuritaire libyen. Il active donc ses réseaux au Mali et en Libye. Il est sollicité par certains membres du CNT pour organiser la désertion de soldats Ifogas servant dans l’armée libyenne. Ceux-ci retournent finalement au pays avec armes et bagages. En retour, Iyad espérait un geste de reconnaissance venant de Tripoli pour sa contribution à fragiliser le système sécuritaire de Kadhafi. Las d’attendre, il a finalement rejoint les revenants de la Libye, notamment un groupe d’Ifogas qui a pris position dans les montagnes de Kidal. Mais, comme toujours, Iyad Ag Ghaly a suffisamment préparé le terrain à coup d’intoxication, de menaces et de fausses justifications.

Selon une source sécuritaire, il aurait par ailleurs démarché des chefs de fractions afin de les inciter à un soulèvement dont le but est « d’obtenir l’indépendance des régions » nord du Mali, voire la création d’un Etat islamique. Même discours tenu à certains chefs locaux d’Aqmi, avec qui il aurait de solides liens. Par contre, ce discours change à l’adresse des Occidentaux, notamment les Français.

Cependant, en fin stratège, Iyad Ag Ghaly a toujours réservé une place aux négociations, tout en espérant au bout sur un geste financier.

C’est sur ces entrefaites que tout le nord du Mali tombe entre les mains des terroristes et djihadistes en fin mars 2012. Le chef d’Ansardine s’installe à Kidal et prend du poids, de la force et du terrain. Son idée d’instaurer une République islamique évolue au fil de l’occupation. Il décide d’investir le centre du pays pour rallier Bamako et proclamer « sa République ». Des mouvements d’hommes et de voitures vers Konna en janvier 2013 nécessitent l’intervention des forces françaises à travers l’opération Serval. Le projet de Iyad tombe à l’eau. Et le chef d’Ansardine disparaît depuis, jusqu’à sa récente sortie.  Mais depuis son abri, il actionne ses fidèles qui perpètrent des actes terroristes à travers le pays. Le plus redoutable se nomme Amadou Kouffa, qui n’est plus à présenter. Le duo Iyad-Kouffa est à surveiller de très près. A bon entendeur, salut !

Sékou Tamboura

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