Accord d’Alger : L’impossible application !

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Ahmed Boutache entouré du ministre de la Défense et du représentant de la Minusma

Le processus de mise en œuvre de l’Accord est dans l’impasse. Tout le monde y convient, même les Nations unies qui, d’ailleurs, menacent les parties signataires, dont le gouvernement, de sanctions. En réalité, l’état dans lequel se trouve cet accord n’a rien de surprenant, tant il s’est avéré, dès le début du processus, moribond avec des termes que les tous les observateurs avertis savaient inapplicables sur le terrain.

Signé en 2015, l’accord pour la paix et la réconciliation est mis en péril par un pouvoir central passif, une Coordination de mouvements armés (CMA) aux multiples facettes et un djihadisme en constante reconfiguration. La signature de l’accord de paix avait elle-même été source de couacs et s’était faite en deux temps. D’abord, le 15 mai 2015, sous les auspices de la médiation internationale, entre le gouvernement malien et les groupes dits à l’époque « loyalistes». Puis, seulement un mois plus tard, avec la CMA qui regroupait les rebelles touaregs. Les hésitations, reports et autres bégaiements déplorés lors de la signature, laissaient déjà entrevoir des difficultés à venir. Aujourd’hui, le processus de paix, à force de lenteur, est en train de perdre tout son sens. Ainsi l’illustrent les difficultés rencontrées pour installer des autorités intérimaires dans les régions de Gao, Kidal, Ménaka, Taoudenni et Tombouctou. Il s’agissait là, pourtant, d’un des premiers maillons de la chaîne forgée par l’accord d’Alger qui, outre l’arrêt des hostilités, redessine le cadre institutionnel au profit d’une plus grande décentralisation et dresse une longue liste de projets de développement destinés aux régions du Nord du Mali. Ces pouvoirs locaux auraient dû être mis en place dans les trois mois suivant la signature de l’accord. La réalité fut toute autre. Ils ont été installés dans la douleur et les combats. Au moment des faits, certains observateurs avaient analysé que ce couac relève d’un problème de l’inadaptation de certaines dispositions de l’Accord aux textes fondamentaux de la République. Ces analystes avaient même prôné une remise à plat de l’accord en relevant les points d’imperfection et leur adaptation à la Constitution.

Aujourd’hui encore, ces autorités intérimaires n’existent que de nom. Elles ne fonctionnent guère.

Au même moment, le Mécanisme opérationnel de coordination (MOC), qui doit mettre en commun toutes les forces, patine. Si les éléments des groupes armés ont été rassemblés à Gao, ce Mécanisme peine à démarrer réellement les patrouilles mixtes  prévues. Mais pour ce faire, encore faut-il que les questions de logistiques encadrant les bataillons mixtes soit opérationnels. Autre obstacle : les groupes signataires réclament un statut de soldat pour les éléments des patrouilles mixtes. Mais pour Bamako, ces combattants ne sont pas encore des soldats maliens. Un point qui n’est pas encore réglé entre les parties et qui pourrait encore retarder les missions du MOC.

L’Accord de paix prévoit également le désarmement, la démobilisation et la réintégration (DDR) des combattants ex-rebelles, afin de pacifier le Mali. Si le gouvernement a approuvé les décrets permettant le cantonnement des combattants, puis le lancement du processus DDR, les groupes armés n’ont toujours pas tous donné leur liste complète de combattants à cantonner. La CMA a fourni à la Commission technique de sécurité une liste préliminaire de 18 000 combattants devant faire l’objet d’un cantonnement. La Plateforme n’a quant à elle pas encore communiqué sa liste. En attendant, la mission de l’ONU au Mali a commencé les travaux de construction des infrastructures qui accueilleront les combattants (huit sites sont presque achevés), mais n’est pas encore fixée sur les conditions d’intégration de ces éléments à l’armée régulière.

Que dire de la mise en œuvre des autres dispositions ?

Pas grand-chose. Leur application impose un changement de Constitution. A cet effet, dans le chapitre 1 du document (article 3), il est souligné que l’Etat prendra les dispositions requises pour l’adoption des mesures réglementaires, législatives voire constitutionnelles nécessaires. Dans le titre II (chapitre 3 article 6) le Mali doit mettre en place une architecture  institutionnelle. Il doit même diligenter la mise en place d’un sénat. Et sur le plan politique, les responsables des régions, les présidents et parlementaires seront élus au suffrage universel. Mais, l’inquiétude est que dans la configuration actuelle, l’accélération d’un genre nouveau de décentralisation comme préconisée aboutirait à une autonomie pure et simple des régions occupées par les rebelles. À preuve, l’article 43 de l’accord donne des droits à ces régions pour promouvoir des projets de coopération transfrontalière. Ce qui veut dire que cette partie du Mali aura sa propre diplomatie synonyme ‘’d’Etat indépendant’’ surtout qu’elle sera dotée d’une police territoriale.

En somme, cela fait plus de trois ans que le gouvernement, les groupes loyalistes et la Coordination des mouvements de l’Azawad se sont mis d’accord afin d’appliquer les mesures de l’accord. Mais les désaccords, l’insécurité et l’absence sur le terrain d’autorités n’ont fait que repousser la paix. Déjà moribond, l’accord d’Alger risque de ne pas y survivre et le Mali de ne pas émerger de sitôt du chaos dans lequel la moitié de son territoire est encore plongée.

Dans le dernier rapport présenté en janvier à New York au Conseil de sécurité, le secrétaire général des Nations unies regrettait ainsi que « les principales dispositions de l’accord [d’Alger] n’ont pas été appliquées (…) Entre-temps, de nouveaux groupes armés ont demandé à faire partie des arrangements institutionnels et sécuritaires intérimaires ».

L’accord d’Alger se résume finalement à un accord de cessez-le-feu. Sauf que l’activité des djihadistes a repris de plus belle alors que le redéploiement des forces armées maliennes au nord patine. Résultat : Les groupes terroristes et extrémistes violents ont renforcé leurs activités et leur présence.

Ainsi, au même titre que la CMA et la Plateforme, le gouvernement du Mali est actuellement mis au pilori devant l’ultimatum de deux mois fixé aux parties signataires de l’Accord d’Alger par le Conseil de Sécurité des Nations-Unies qui ont désormais jusqu’en fin mars pour se rattraper dans la mise en œuvre de l’Accord d’Alger. Cette menace n’est que l’expression du sentiment de ras-le- bol et d’impatience de la communauté internationale face aux retards accusés.

Si le premier accord d’Alger qualifié ‘’de piège’’ parce qu’il fut simplement paraphé sous ATT, celui de 2015 (l’ère IBK) est apocalyptique de par son contenu. Il est exclusivement échafaudé sur des éléments qui aboutissent à la partition du Mali.

 

(L’Aube 957 du jeudi 15 février 2018

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