Accord d’Alger: les pièges et les avantages

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Cérémonie de signature de l'engagement d'Alger.
Cérémonie de signature de l’engagement d’Alger.

Dans une contribution qu’il a fait parvenir à notre rédaction, Maître Cheick Oumar Konaré, avocat à la Cour, fait une analyse détaillée de l’Accord signé, le 25 février, par le Mali.

L’Accord proposé, le 25 février 2015, par le médiateur algérien fut signé, avec une stupéfiante rapidit, par le gouvernement malien alors qu’une partie des groupes armés du nord piaffe de colère. Quelles sont les implications juridiques, politiques et économiques de l’Accord ? Tel est notre propos. Et pour nous faire mieux entendre, nous procéderons par une série de questions-réponses.

 

Pourquoi le président IBK a-t-il approuvé l’Accord ?

 

IBK n’avait pas, en fait, le choix. A son avènement au pouvoir, le président, soucieux de cultiver son image d’homme de poigne et de nationaliste sourcilleux, tenta de gagner les rebelles à l’usure : non seulement il refusait d’entamer avec eux de véritables négociations, mais en outre, il s’activait, en douce, à renforcer les moyens de l’armée malienne dans la perspective d’une reconquête armée de Kidal. Il fut contraint de changer de stratégie sous la double pression de la France et de l’ONU. La première, pour l’obliger au dialogue, utilisa l’arme diplomatique puis, de manière plus décisive, l’arme financière (suspension temporaire des concours du FMI). Quant à l’ONU, elle dépêcha, en février 2014, à Koulouba une délégation du Conseil de Sécurité qui, deux jours durant, rappela lourdement au chef de l’Etat l’engagement pris par le Mali, à travers l’Accord de Ouagadougou du 18 juin 2013, de discuter avec les groupes armés sur le statut du nord-Mali. Détail peu anodin, la délégation était conduite par Gérard Araud, représentant de la France auprès de l’ONU, et Banté Mangaral, représentant adjoint du Tchad auprès de l’institution mondiale.

Il semble qu’IBK, avant de se résoudre définitivement aux négociations, ait voulu tenter un coup de poker en laissant son Premier Ministre, Moussa Mara, se rendre à Kidal le 17 mai 2014, malgré les mises en garde de la MINUSMA. Il s’ensuivit, comme chacun le sait, une cinglante défaite militaire malienne sanctionnée par la perte de Kidal et de plusieurs autres localités du nord. Désormais dépourvu d’armée, IBK s’en remit au puissant voisin algérien pour proposer, en tant que médiateur, un compromis qui sauverait, à tout le moins, les apparences. L’accord du 25 février 2015 découle de ce processus.

Il est bon de rappeler que la communauté internationale qui, pour l’heure, exerce une tutelle presque de droit sur notre pays, n’a aucune envie de s’enliser dans le dossier malien pour la raison qu’elle est urgemment appelée sur d’autres théâtres: au Moyen Orient contre l’Etat Islamique, au Nigéria contre Boko Haram, en Centrafrique contre les anti-Balaka et le Séléka, et en Libye contre le chaos intégral.

 

Quels avantages le Mali tire-t-il de l’Accord ?

 

Ces avantages sont multiples ainsi que nous l’allons démontrer.

 

* Le texte stipule, à l’article 1er, “le respect de l’unité nationale, de l’intégrité territoriale, de la souveraineté de l’Etat malien, ainsi que de sa forme républicaine et son caractère laïc”. C’est là une grande victoire pour le Mali. Privé de la force des armes et parti en rampant à la table des négociations, il aurait pu y abandonner les trois choses que sa Constitution déclare intangibles : la forme républicaine de l’Etat, la laïcité de l’Etat et l’intégrité du territoire national.

* L’Accord autorise un “déploiement progressif” de l’armée et de l’administration maliennes sur l’ensemble du territoire national, ce qui, depuis 2012, tient du rêve. Autres avantages non négligeables pour le Mali: l’engagement des parties à exclure “la violence comme comme moyen d’expression politique”, à recourir systématiquement au “dialogue pour le règlement des différends”, à respecter les droits de l’Homme et à lutter contre la corruption, l’impunité, le terrorisme, le trafic de drogues et les autres formes de criminalité transnationale.

 

* Les victimes de l’occupation rebelle du nord s’en réjouiront: à l’article 46, l’Accord prescrit l’élaboration d’une “charte nationale pour la paix, l’unité et la réconciliation”, de même que la création d’une “commission d’enquête internationale chargée de faire la lumière sur tous les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité, les crimes de génocide, les crimes sexuels et

les autres violations graves du droit international, des droits de l’homme et du droit international humanitaire sur tout le territoire malien”.

 

* L’Accord prévoit le cantonnement et le désarmement des groupes armés, une prouesse que le Mali n’a jamais réussi à réaliser dépuis 2012, malgré les promesses de réinsertion des ex-combattants dans le tissu militaro-administratif national.Et pour faire bonne mesure, dans les 30 jours suivant la signature de l’Accord, les groupes armés s’engagent à soumettre au Comité de Suivi dudit Accord la “liste définitive et certifiée de leurs combattants et de leurs armements”.

 

* En somme, l’Accord permet à la République  Mali de gagner du temps (le temps vaut son pesant d’or!), de regagner la sympathie de la communauté internationale, de rebâtir son armée, sa gouvernance et, bien sûr, son image de marque. Si, comme il l’espère, l’Accord fait revenir la paix, le président IBK pourra alors consacrer son temps et son énergie aux oeuvres de développement au lieu de les dilapider, comme aujourd’hui, dans d’ingrates missions de pompier.

 

Que gagnent les groupes armés dans l’Accord ?

 

Certes, l’objectif cinq fois décennal des séparatistes du MNLA n’est pas atteint puisque le texte n’institue ni indépendance, ni fédéralisme. Cependant, les groupes armés ne sortent pas brédouilles de la table des négociations.

 

* Le MNLA trouve une consolation en ce que l’Accord reconnaît les “spécificités” du nord et institue une gestion administrative très souple, voire autonome de cette partie du territoire malien.

Ainsi, à l’article 1er, l’Accord prévoit la “promotion de la diversité culturelle et linguistique”, ainsi que la “contribution de toutes les composantes du peuple malien”, à l’oeuvre de construction nationale.  Le texte stipule, dans la foulée, la “prise en charge par les populations de la gestion effective de leurs propres affaires, à travers un système de gouvernance prenant en compte leurs aspirations et leurs besoins spécifiques”. Ce “système de gouvernance” reposera, selon l’article 5 de l’Accord, sur un “principe de la libre administration” sous-tendu par des collectivités territoriales dotées d’organes élus au suffrage universel et  de “pouvoirs étendus”.

Fait notable, le vocable “Azawad”, très emblématique du combat des séparatistes, acquiert droit de cité à travers l’article 5 de l’Accord qui dispose: “L’appellation Azawad recouvre une réalité socio-culturelle, mémorielle et symbolique partagée par différentes populations du nord-Mali, constituant des composantes de la communauté nationale”.

 

* Le MNLA et les autres partisans de l’“Azawad” se féliciteront aussi de la création d’une “zone de développement des regions du nord, dotée d’un conseil consultatif interrégional et d’une stratégie spécifique de développement adaptée aux réalités socioculturelles et géographiques ainsi qu’aux conditions climatiques”. Le but de cette “zone”,  tel que défini par l’article 35 de l’Accord ? “Hisser les régions du nord au même niveau que le reste du pays en termes d’indicateurs de développement, et ce, dans un délai n’excédant pas 10 à 15 ans”.

L’annexe 3 de l’Accord assigne, en ce sens, une ribambelle de chantiers de développement à l’Etat malien, notamment la réhabilitation du système routier, sanitaire, éducatif, hydro- agricole et socioéconomique du nord, ainsi que l’adaptation de l’enseignement public aux réalités locales.

 

* Les rebelles jihadistes, qui se recrutent majoritairement au HCUA (Haut Conseil pour l’Unité de l’Azawad) et au MAA (Mouvement Arabe de l’Azawad), ne se plaindront sûrement pas de ce que l’Accord ordonne, à l’article 46, la “revalorisation du rôle des Cadis (juges islamiques) dans l’administration de la justice, notamment en ce qui concerne la médiation civile, de manière à tenir compte des spécificités culturelles, religieuses et coutumières”.

 

* Tant le MNLA que les groupes jihadistes verront d’un bon oeil que l’article 46 de l’Accord prescrive la “valorisation du statut des autorités traditionnelles, à travers leur prise en charge et leur prise en compte dans les règles de protocole et de préséance”. Cette belle phraséologie cache à peine l’engagement de l’Etat à assurer, comme naguère, le confort matériel et administratif des chefs tribaux qui font la loi au nord et y ont secrètement inspiré toutes les rébellions armées depuis 1960.

 

* Les rebelles de tous bords bénéficieront d’un mécanisme de réinsertion. L’annexe n° 2 de l’Accord décide, en effet, que dans les 90 jours de la signature, une Commission d’Intégration composée de représentants du Mali et des groupes armés et présidée par une “personnalité consensuelle”, définira les “critères, quotas et modalités d’intégration des ex-combattants dans les corps constitués de l’Etat, y compris au sein des forces armées et de sécurité”. Au lieu qu’ils subissent les rigueurs de la loi malienne, les militaires qui, lors de la rébellion, ont déserté l’armée se frotteront les mains car l’annexe 2 de l’Accord dispose: “Les membres des mouvements anciennement  officiers des forces armées et de sécurité seront  réintégrés au moins aux mêmes grades. Ceux qui ne remplissent pas les conditions et ceux qui choisiront de ne pas être intégrés pourront bénéficier d’une pension de retraite, d’une pension proportionnelle ou d’une pension d’invalidité ou tout autre arrangement suivant le cas”.

 

De quelles insuffisances souffre l’Accord ?

 

De nombreux points du texte s’annoncent lourds d’incompréhensions, donc de périls.

 

* Commençons par l’architecture instutionnelle, telle que prévue par l’Accord: elle consacre une autonomie des régions du nord. En effet, l’article 8 donne aux régions tous les pouvoirs pour régir elles-mêmes toutes questions liées aux domaines les plus divers : développement économique, social et culturel; aménagement du territoire, éducation de base, formation professionnelle, santé, environnement, culture, infrastructures routières et de communication, énergie, hydraulique, agriculture, élevage, pêche, gestion forestière, transports, commerce, industries, artisanat, tourisme, budgets et comptes administratifs, établissement et application d’impôts propres; coopération décentralisée, jumelage, police territoriale, protection civile… Il y a là, à coup sûr, une spoliation sauvage de l’Etat central malien de la plupart de ses prérogatives au profit des régions qui, cérise sur le gâteau, se partageront bon an mal an 30% du budget national.

Les régions deviennent, non des appendices de l’Etat, mais de micro-Etats juxtaposés: chaque région aura à sa tête une assemblée dirigée par un président élu au suffrage universel direct et qui sera “le chef de l’Exécutif et de l’Administration de la région”. Comment ce mini-chef d’Etat sera-t-il, en cas de besoin, révoqué ? L’Accord n’en pipe mot. Qui assurera la tutelle administrative des régions ? L’Accord ne le dit pas, alors que sans tutelle, une collectivité décentralisée devient forcément une province autonome, un Etat fédéré déguisé. D’ailleurs, en parcourant l’article 9 de l’Accord, on lit avec surprise que “les délibérations des collectivités territoriales sont exécutoires dès leur publication et transmission au représentant de l’Etat”: le président de région étant le “chef de l’Exécutif régional”, devra-t-il “transmettre” à lui-même ses propres décisions ou les communiquer au ministre de l’Intérieur siégant à Bamako, à une année-lumière de Kidal ou de Tombouctou ? On ne sait. Le problème de tutelle ne se posera pas aux cercles qui, dirigés par des “présidents de conseil de cercle” élus, relèvent de l’autorité hiérarchique du président de région.

 

* Autre source potentielle de conflit: l’Accord autorise les cercles et régions à prendre “la dénomination officielle de leur choix”. Qui s’étonnerait, dès lors, de voir un jour fusionner les trois régions du nord en une immense entité de 900.000 km2 qui prendrait le nom d’“Azawad” ?

 

* D’autre part, l’Accord prévoit “une participation active et significative des populations, en particulier celles du nord à la gestion de la sécurité locale”. Que veut dire cette “participation significative” ? A partir de quel quantum de policiers, de gardes et de gendarmes “azawadiens” les groupes armés jugeront-ils “significative” la participation de leurs “populations” à la “sécurité locale” ?

 

* Une interrogation similaire intéresse les effectifs locaux à intégrer dans l’armée nationale. En effet, l’article 22 de l’Accord dispose: “Les forces (armées) devront inclure un nombre significatif de personnes originaires du nord, y compris dans le commandement, de façon à conforter le retour de la confiance et faciliter la sécurisation progressive de ces régions”. Combien de Ag et de Ould va-t-il falloir recruter dans l’armée pour que les groupes armés se sentent en “confiance” ? Le Mali gagne-t-il à accepter le principe d’une ethnicisation officielle de ses forces armées et de sécurité ?

 

* L’Accord prévoit la réintégration dans l’armée des militaires qui l’avaient quittée au profit des groupes rebelles. Ces déserteurs ne retourneront pas en catimini, mais “au moins à leurs anciens grades” !  Quant à ceux qui préfèreront un autre métier, l’Etat leur versera une “pension de retraite”. N’y a-t-il pas là un mépris souverain à l’égard des citoyens du nord qui furent tués, violés ou amputés par les occupants rebelles d’hier ? Comment, au reste, concilier la réintégration des ex-bourreaux du peuple avec l’engagement solennel que les parties à l’Accord prennent de combattre l’impunité ?

 

* Le peu que nous savons des finances publiques nous conduit à voir une hérésie dans les dispositions de l’Accord (par exemple, l’article 8) qui permettent aux régions de créer leurs propres “impôts et recettes”. Doit-on considérer que dorénavant, chaque citoyen malien, qui tire déjà le diable par la queue, paiera à la fois les impôts fixés par la loi de finances annuelle du Mali et ceux créés par le président de région ? Quelle révolution législative permettrait de concilier l’unicité de caisse de l’Etat, le caractère parlementaire du budget d’Etat et l’édiction de deux impôts dans un même pays ?

 

* En voulant donner l’impression de traiter à égalité toutes les régions du Mali, l’Accord transporte dans des régions sans problème (celles du centre et du sud) les tensions et crises nées au nord. Ce qui déstabilisera à moyen terme l’ensemble national.

 

* Les réformes induites par l’Accord pourraient nécessiter une révision constitutionnelle, donc un référendum populaire qui, en l’état, n’a pas beaucoup de chances de prospérer dans la mesure où dans son immense majorité, le peuple malien se montre d’instinct hostile à toute concession aux groupes rebelles.  Et s’il arrivait que le peuple rejette l’Accord, que ferait-on ?

 

L’Accord ramènera-t-il la paix au nord?

 

Le texte du 25 février 2015 laisse trop de questions sans réponse. Il ressemble furieusement aux accords précédents (Pacte National et Accord d’Alger de 2006) qui, chacun s’en souvient, n’ont nullement évité la reprise de la guerre en janvier 2012. A l’instar de ses ancêtres, le nouvel Accord ne présente que des vertus antalgiques: il soigne la fièvre sans éradiquer le virus qui la provoque. Signe avant-coureur d’une rechute de la maladie, les principaux groupes armés du nord, y compris le MNLA et le HCUA, refusent de parapher le texte : si leur attitude peut s’interpréter en une ruse destinée à pousser le peuple malien  à adhérer à l’Accord, nul ne peut, non plus, exclure qu’elle soit le fruit d’un mécontentement profond des groupes armés qui, faut-il le rappeler, n’obtiennent ni l’indépendance, ni le fédéralisme, ni l’instauration de la loi islamique. Or, rien n’autorise à penser que des groupes méfiants ou en colère se laisseraient cantonner ou désarmer; il n’est, pour s’en convaincre, que de rappeler  le triste sort réservé, sur ce chapitre, à l’Accord de Ouagadougou et à la résolution 2100 du Conseil de Sécurité de l’ONU.

De plus, le chef terroriste Belmokhtar, vieil ami d’Iyad Ag Ghali, vient de se signaler à la haute attention des Bamakois en semant, vendredi soir, la désolation à la “Rue Princesse”. Ce sanglant attentat pose la question de savoir si l’on a bien fait d’exclure Iyad Ag Ghali et compagnie des négociations et si, sans eux, l’Accord du 25 février produira le moindre effet. Il y a, à cet égard, lieu de souligner qu’Iyad Ag Ghali entretient des amitiés en Algérie et que ses colonnes de jihadistes, infiniment plus redoutables que le MNLA, continuent de squatter les collines du Tighargar. Pas plus tard qu’hier dimanche 8 mars, n’ont-ils pas pilonné à la roquette le camp de la MINUSMA à Kidal, tuant un casque bleu et deux civils ? N’ont-ils pas, la veille, attaqué à la grenade, le commissariat de police de Gao ?

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1 commentaire

  1. Une excellente analyse Maitre….. Si le gouvernement pouvait utiliser cette merveilleuse contribution pour apprécier objectivement ce fameux accord qui tout en consacrant l’integrité territoriale pose méticuleusement dans une superbe contradiction les fondements intelligents de la prochaine rébellion dans 10 ans et la création de l’état de l’Azawad….

    Il est bon d’avoir la paix, d’obtenir un accord mais pas au détriment des valeurs fondamentales de justice et d’équité…..

    Konaté qui est parti négocier ces accords n’a jamais dans sa vie été connu comme un homme intelligent….. Superficiel, dépravé et impulsif comme tout individu faible et complexé il demeure un vrai danger dans le dispositif de négociation….

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