Mauvais, aussi bien pour le peuple qui verra son unité hypothéquée à la longue, que pour l’Etat central qui se verra soulagé (le mot n’est pas fort) de la quasi-totalité de ses pouvoirs au profit des régions. Celles-ci seront des Etats dans un Etat en vertu des pouvoirs qui leur sont conférés par l’Accord. Conscients que le sort de l’Etat central semble scellé, des hommes politiques et des cadres de l’administration auraient déjà investi l’intérieur du pays pour poser les bases d’un retour au bercail régional au cas où l’Accord serait signé. Dans leur entreprise, ils associent les ressortissants de leur région dans la perspective de la régionalisation qui n’est que l’antichambre d’une autonomie annoncée.
Apparemment, le peuple malien et les autorités du pays semblent sombrer dans un profond sommeil dont le réveil pourrait s’avérer très brutal. Ou tout au moins, ils sont éveillés, mais inconscients du danger qui profile à l’horizon avec la signature prochaine de l’Accord d’Alger et sa mise en œuvre par toutes les parties signataires. Dans les deux cas, le grand perdant, c’est le Mali, et avec lui, son unité, son unicité qui ont jusque-là fondé la particularité de sa nation.
Dans le présent article, nous ne nous appesantiront pas sur les conséquences de l’Accord d’Alger d’IBK sur le peuple malien, sur les populations maliennes, mais plutôt sur son impact quant à l’avenir et le devenir de l’Etat central (nous n’utilisons pas l’expression Etat fédéral, que l’Accord ne mentionne pas). Ceux qui n’ont pas lu l’Accord devront le faire pour se faire une religion que si ses dispositions sont appliquées comme édictées, l’Etat central sera très affaibli, voire vide de toute attribution. La force du pouvoir ira aux régions. Morceaux choisis.
L’Accord d’Alger dote les régions du nord d’Assemblées élues au suffrage universel direct, de présidents élus au suffrage universel direct, lesquels sont également chefs des exécutifs et de l’administration. Dès lors, selon Amadou Traoré dit Amadou Djicoroni, écrivain, compagnon du président Modibo Kéïta, ancien responsable du parti de l’indépendance, l’Us-Rda, l’Accord crée là des Etats ayant leurs pleins pouvoirs (législatif, juridique et exécutif). Que restera-t-il de l’Etat lui-même ? peut-on s’interroger, si l’on sait en plus que, les futurs Etats ont le droit d’adopter le nom de leur choix, alors qu’ils ont déjà leur drapeau. , Amadou Djicoroni en déduit que ce sont des Etats indépendants.
Mieux, l’Accord d’Alger accorde une véritable autonomie aux régions du nord qui ont le droit de «promouvoir des projets de coopération transfrontalière» ; donc elles ont des droits diplomatiques à caractère de souveraineté internationale, s’indigne Amadou Djicoroni. Là, c’est le droit le plus précieux (régalien) que l’Etat central s’est toujours réservé, avec les finances et la défense nationale. Il ne les partage avec personne, et, en ces matières, il ne laisse nulle part où la main ne passe et repasse. Pourquoi alors une telle ouverture faite aux régions au nom d’un accord dit de compromis ?
L’ère des présidents de pleins pouvoirs
Dans une récente contribution relayée par la presse malienne, Joseph Brunet-Jailly, Consultant et enseignant en Sciences Po à Paris, explique clairement comment le pouvoir central est appelé à disparaître si l’Accord d’Alger est mis en œuvre.
Selon lui, en signant l’Accord, l’administration IBK pose le premier acte de la dislocation du pays et, «l’autorité centrale disparaissant de fait, huit à dix pays-Etats vont se superposer… ».
Joseph Brunet-Jailly enfonce le clou, avec ce détail : le pré-accord d’Alger organise l’autonomie d’une vaste région, dont les gouverneurs seraient élus au suffrage universel et disposeraient d’une force de police et de budgets conséquents attendus de l’Etat (40% des ressources de ce dernier) et de l’aide extérieure, d’un organe de développement capable de traiter avec des bailleurs étrangers, d’un droit de regard sur l’exploitation des ressources du sous-sol de son territoire, d’un prélèvement de 20 % sur les ressources tirées de cette exploitation… Conclusion tirée par le Consultant français : du fait de la faiblesse notoire de l’Etat au Mali, ces régions seraient alors de facto indépendantes : plus précisément, elles seraient dans la main des puissances étrangères (Etats, multinationales ou groupes privés armés) qui trouveront intérêt à les coloniser par leurs subsides ou par leurs troupes.
Pour lui, l’élection au suffrage universel direct du président de la région, qui serait également chef de l’exécutif et de l’administration de la région (art. 6), signifie clairement le démantèlement de l’Etat. « Il faut être ministre de l’actuel gouvernement pour déclarer sans rire que l’Etat exercera sa tutelle, et que l’unité nationale sera garantie de cette façon », ironise l’analyste.
Poursuivant sa démonstration, Brunet-Jailly affirme que la possibilité donnée aux régions de lever des impôts adaptés à leur structure économique et à leurs objectifs de développement (art. 13) confirme le projet de démanteler l’Etat, dont l’une des fonctions essentielles est précisément la redistribution d’une partie des richesses entre les collectivités territoriales, notamment par le biais de la fiscalité.
En outre, il pense que réserver la majorité des recrutements dans la fonction publique territoriale à des ressortissants de la région considérée (art. 6 dernier tiret), c’est non seulement enfermer dans sa médiocrité l’administration des régions dont la jeunesse est le plus mal formée, mais encore, par un nouveau moyen, contribuer au démantèlement de l’Etat. Car, indique-t-il, « l’Etat a besoin d’agents disposés à le servir dans toutes ses régions comme si elles n’en faisaient qu’une ».
« Le vin est tiré, il faut le boire », peut-on dire. C’est dire que l’Accord est paraphé par une partie (gouvernement et Plateforme) ; il sera signé, en principe, par toutes les parties (gouvernement, Plateforme et CMA) dans quinze jours.
Des hommes politiques et cadres de ce pays en sont déjà venus à la conclusion que l’application de l’Accord ouvrirait la porte à la création de pays-Etats. Ils ont pris les devants. Ces politiciens et hauts fonctionnaires ont entrepris « la campagne » dans leurs régions respectives dans la perspective des futures élections régionales qui verront l’avènement de super petits présidents de pleins pouvoirs. Leur stratégie ? Recenser les ressortissants des régions basés à Bamako ou ailleurs et les inviter à s’intéresser à leur terroir, pendant qu’il est encore temps. Car, « le pouvoir ne sera plus à Bamako, mais dans les régions », répètent-ils, pour convaincre les intellectuels à Bamako et les populations sur place.
Sékou Tamboura