Leur marche était annoncée et quelque peu redoutée par les pouvoirs publics qui ont tenté, par tous les moyens, de les en dissuader lundi. Mais hier, une centaine de scolaires, notamment, ont pris la rue à Kidal et Ménaka pour demander l’indépendance de l’Azawad. L’Azawad est en réalité le désert malien. Au Niger, il se prolonge dans l’Air et le Ténéré et dans le Tanezrouft en Algérie. « Un continuum socioculturel, historique et économique » évident sur lequel se sont fondés de grands ensembles du passé, peut-on lire dans les ouvrages spécialisés sur l’univers Amazigh, d’essence berbère.
La phobie absolue du bassisme nassérien, par exemple ! Somme toute, « une tempête dans un verre d’eau » cette marche, pour certains habitués du puzzle sahélo saharien, comme Ag M. D’ailleurs, nous apprend ce fin connaisseur du Nord, la majorité des marcheurs à Kidal étaient Ifoghas et Chamanamas à Ménaka. Deux des tribus dont des représentants animent les velléités sécessionnistes de la zone. Et même, assure notre interlocuteur, velléité sécessionniste est un bien grand mot. « Personne de ceux qui sont dans les montagnes ne mourra pour l’Azawad ». Que veut dire alors tout ce bruit ? Puisqu’il y a bien eu des pancartes contre l’Etat malien et pour l’indépendance immédiate de l’Azawad, de même qu’une interpellation, au moins.
Et l’on sait que depuis quelques mois, surtout à la faveur de la crise libyenne, le drapeau de l’Azawad flotte dans certaines localités de Kidal, Ménaka et Ansongo. « Ce qui nous unit tous, nomades du Nord, c’est la certitude que seules la menace de violence ou la violence peuvent nous donner ce qu’on cherche », relativise Ag M qui voit dans ce remue-ménage, un moyen de faire pression sur les pouvoirs publics. Pour plus de discrimination positive pour le Nord. Surtout pour une chose et son contraire : raffermir le pouvoir des aristocraties victimes désignées de l’arithmétique électorale et protéger, en même temps, la victoire et la montée des cadets sociaux !
Le camp de l’Azawad
Mais Ag M prévient : « le Mouvement National de l’Azawad ou MNA s’est renforcé ». Il ne serait plus le mouvement électronique de novembre 2010 qui était plus dans le baroud et l’animation de son site internet. Il aurait rejoint Kidal depuis. Il s’est renforcé de l’adhésion de plusieurs jeunes diplômés chômeurs arabes et Tamasheq formés dans les universités maghrébines. Avant de fédérer les griefs locaux contre l’Etat et de faire jonction avec les hommes de feu l’irrédentiste Ibrahim Ag Bahanga, de la tribu des Ifergumussen.
Ceux-ci, un embranchement des indéboulonnables Ifoghas, n’ont pas encore remplacé officiellement le défunt irrédentiste qui avait pu, peu avant sa mort accidentelle -que ses proches aiment d’ailleurs à trouver suspecte- se tailler un petit stock dans l’entrepôt d’armes à ciel ouvert qu’était devenue la Libye sous les feux de l’Otan. Mais ce stock avec la dizaine de véhicules que compte l’armée de Ag Bahanga sont sous l’autorité de Rhissa Ebarguel, 45 ans, ancien maire de Achibogo et ancien de la rébellion des années 1990. Pour ce groupe, l’Accord d’Alger en 2006 était une grosse duperie et les prédispositions de Bamako au dialogue quasiment nulles. Vrai ou faux, il a formé avec le Mna, le Mnla (Mouvement National pour la Libération de l’Azawad) en mi octobre. Avec pour capitale provisoire le site de Zakak, dans la zone de Tinzawaten, où il cohabite et s’entend avec deux autres groupes de dissidents armés. Le premier est composé de militaires surtout de la tribu des Idnan, avec à leur tête Mohamed Najem.
Dans sa cinquantaine, ce colonel de l’armée libyenne servait jusqu’à récemment dans la zone militaire de Sebha où, dit-on, il s’est illustré dans la lutte contre les groupes de narcotrafic. C’est un ancien de la légion islamique. Il a combattu dans la bande d’Aouzou d’où il a essayé de se replier vers le Mali avec quelques armes volées. Il sera arrêté à Oubari en territoire libyen et emprisonné jusqu’en 1995. Il connaîtra de nouveau les prisons libyennes pour divers crimes dont la contrebande de fausse monnaie. Les routes de l’ancien Guide étant insondables, l’intrépide Idnan rejoint l’armée libyenne avec le grade d’officier supérieur jusqu’en été dernier où ce colonel se replie au Mali. Nadjem peut partager quelques souvenirs avec Assalat Ag Habbi, colonel de l’armée malienne, de la tribu des Chamanamas de Ménaka. Côté valeur militaire, cet officier fait l’unanimité. Il a fait Aouzou et la rébellion nomade de 1990.
Le camp du Mali
D’ailleurs, il était avec El Hadj Gamou et Iyad Ag Ali à la rencontre très tendue avec Moussa Traoré à Koulouba après les accords de Tamanrasset du 6 janvier 1991. Il était conseiller dans un ministère avant sa désertion en septembre. Quelques autres déserteurs nordistes de l’armée malienne sont avec lui. Pour toutes sortes de griefs : considérations personnelles, mouvements d’orgueil, problèmes de fond, voire de fonds.
A Zakak où il se retrouve avec d’autres officiers Chamanamas réputés comme Ambaré Ag Akli et « Hassan Habré », le groupe Assalat et celui de Nadjem comptent sur un armement conséquent et une trentaine de véhicules. Pas de quoi impressionner le groupe des Imghad cantonné à Takalout, à moins de 40 km de Kidal. Un exploit à mettre au crédit de El Hadj Gamou, ancien rebelle, ancien commandant militaire de la Région militaire de Gao-Kidal et présentement N° 2 de l’Etat major particulier du Chef de l’Etat. Ces soldats revenus de Libye jurent loyauté à la République. Ce n’est pas rien. Ils forment, avec soixante-dix voitures, le gros des militaires retournés dans l’Azawad. Avec en plus, un armement de qualité dont « cinq camions équipés d’orgues de Staline » qui n’ont pas été montrés à la télé malienne, précise Ag M., un natif de la zone qui connaît personnellement plusieurs des officiers dont le nom sera évoqué ici. Une dizaine d’officiers défilent devant Gamou. Celui-ci avait prévenu, quelques semaines plus tôt, que seul le drapeau malien flottera sur le territoire du Mali. Les militaires Imghad comme lui l’ont entendu.
Le Colonel Sidilama Ag Imikal, de la tribu des guerriers nés que sont les Ifoghas aussi, qui a montré patte blanche, en fin octobre, aux autorités kidaloises, avec son grand-frère Mohamed Lamine Ag Imikal, un autre officier de l’armée de Kadhafi. Depuis, eux et leurs hommes, « une poignée » selon Ag M, sont cantonnés sur le site de Tan Eynet. Quarantaine avancée, le cadet Ag Imikal, colonel de l’armée libyenne était le chef du camp d’entraînement des mercenaires de Sebha. Bien des combattants de l’ex légion Islamique du défunt Guide sont passés par là. Et naturellement, toute la hiérarchie militaire de la rébellion nomade des années 1990 le connaît bien. La sincérité de son ralliement reste à établir, estiment certains observateurs. Mais cela ne l’a pas empêché, tout comme les Imghad dont l’élite civile a mis les mains à la poche pour recevoir « les frères », de bénéficier de la visite et des largesses de l’Etat : 50 millions Cfa et des denrées. Une générosité qui n’a pas fait saliver les irrédentistes.
Ceux-ci ont éconduit, lundi, une mission de bons offices composée de leaders communautaires qui venaient les convaincre de rentrer dans les rangs. Signe inquiétant de radicalisation ? Ag M a son idée. Pour lui, une action d’éclat est toujours possible de la part des mécontents. Mais « le projet d’Azawad libéré est loin d’être accepté par les populations du Nord » affirme le spécialiste qui doute même que ce soit sincère chez les initiateurs. Et de toute façon, les capacités de l’armée nationale sont, à son avis, nettement au-dessus de celles des « sécessionnistes » dont la force de frappe lui paraît surestimée. Et puis, conclue t-il, le fait d’éconduire ces émissaires, fussent-ils de la paix, peut fort bien signifier un appel d’air frais. Un grand défi pour l’Etat qui doit apprendre à laisser les dynamiques locales s’exprimer et accepter le renouvellement des élites.
Adam Thiam