à quel chef d’AQMI faut-il désormais se fier ? La sourde guerre des chefs entretenue par Abou Zeid et Moktar Ben Moktar a provoqué une césure dans les rangs d’Al Qaïda au Maghreb islamique. C’est la raison pour laquelle la France se fait des soucis pour les sept expatriés -dont cinq Français- enlevés le 15 septembre sur le site d’Areva à Arlit, au Niger. En effet, Paris se veut désormais plus prudent dans ses déclarations et sa démarche car le moindre faux pas pourrait conduire à l’irréparable.
Entre Abou Zeid et Mokhtar Belmokhtar, les relations ne sont pas tellement au beau fixe, suite à de profondes divergences. La libération des deux otages espagnols par le groupe de Belmokhtar, en contrepartie du versement d’une rançon de 7 à 8 millions d’euros et de la libération du mercenaire et chasseur d’otages Oumar le Sahraoui, a contribué à approfondir les contradictions. Abou Zeid , un sanguinaire connu pour ses positions jusqu’au-boutistes, est l’homme de main du groupe Abou Moussa, inspirateur de l’exécution du Britannique Edwin Dyer et du Français Michel Germaneau.
Tandis que le Français Pierre Camatte, qui avait la chance de se retrouver entre les mains des hommes de Belmokhtar, plus raisonnable dans ses exigences, a eu la vie sauve. Il faut noter que Mokhtar Belmokhtar, un ancien contrebandier de cigarettes, d’où son pseudonyme de Mister Marlboro, est plus souple dans les négociations parce que plus tourné vers le business. Le trafic humain, à des fins d’enrichissement, lui est d’ailleurs reproché par le groupe radical Abou Moussa d’Abou Zeid, qui prétend recevoir des rançons uniquement pour construire un trésor de guerre devant servir notamment à recruter des combattants, payer des armes et explosifs, séduire des tribus nomades pour les utiliser dans des opérations commando et enfin commettre des attentas en Algérie.
L’on comprend alors la position des autorités algériennes, foncièrement opposées à toute négociation avec les terroristes. En effet, Alger est conscient qu’une part non négligeable des fonds engrangés par AQMI serviront à organiser des coups de main sur son territoire, alors que l’armée algérienne a réussi à chasser du territoire les islamistes radicaux.
Pendant longtemps, Belmokhtar a régné en maître incontesté sur les réseaux jihadistes au Sud de l’Algérie. Le Groupe islamique armé (GIA) en avait fait le chef de " sa région 9 ", c’est-à-dire le Sahara. Il revenait ainsi de l’Afghanistan, où il a combattu après le retrait soviétique de 1989, mais avant le début de la guerre civile algérienne en 1992.
Après l’effondrement du GIA, en 1998, suite à des les règlements de compte internes et des massacres aveugles de civils, Belmokhtar se rallie à une nouvelle formation, le Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC), qui venait de se positionner au front de la lutte au nom de m’islamisme radical. C’est lui qui a conduit la plupart des attaques contre la Mauritanie. Raison pour laquelle Nouakchott, usant du droit de poursuite, le pourchasse jusque dans ses bases de repli au nord du Mali.
La force de Belmokhtar réside dans la mise en réseau des groipes mafieux du désert. C’est pourquoi, il ne participe pas directement aux prises d’otages, laissant le soin à des mercenaires de s’en occuper. C’est le cas de Oumar Le Sahraoui qui a reconnu, après son arrestation, être l’auteur de quatre rapts d’Européens. En jouant sur le sentiment anti-français, qui a conduit au massacre, en 2007, de quatre Français, Belmokhtar s’est davantage attiré la sympathie des chefs suprêmes d’Al Qaïda, dont l’adjoint de Ben Laden, Al Zawahiri qui le couve personnellement.
L’Algérien Abdel Malik Droukdal, plus connu sous le nom d’Abou Moussa (commandant du GSPC), n’a prêté allégeance à Al Qaïda qu’en septembre 2006. Visiblement, Belmokhtar avait déjà pris de l’avance sur lui en termes de reconnaissance par la centrale terroriste basée au Pakistan. Ce qui explique, en partie, les agissements d’Abou Zeid, homme de main du groupe Abou Moussa, qui chercherait à supplanter Belmokhtar, par des actions d’éclats sans précédent, sur fond de radicalisme aveugle. Les premières conséquences en ont été: l’extension des opérations au Niger, en décembre 2008, l’enlèvement du représentant du secrétaire général de l’ONU à Niamey, ainsi que de son adjoint, tous deux de nationalité canadienne, le rapt de quatre touristes européens après concertation avec "Al Qaeda central". L’un de ces otages, d’origine britannique, Edwin Dyer, sera exécuté en mai 2009.
Faisant feu de tous bois, Abou Zeid est venu défier Belmokhtar jusque dans son fief, à Tombouctou, en y faisant assassiner un colonel malien, Ould Lamana, en juin 2009, poussant l’armée malienne, en guise de représailles, à pourchasser les troupes de Belmokltar, à travers des combats meurtriers.
En plus, il se dit que suite au raid franco-mauritanien du 22 juillet dernier, Abou Zeid a usé de son influence pour faire exécuter le Français Germaneau que détenaient les hommes de Belmokhtar. Ce qui a contribué à envenimer les relations entre les deux chefs terroristes, au point que des observateurs craignent des représailles du camp Belmokhtar sur les otages actuellement détenus par Abou Zeid. Pour disqualifier ce dernier et faire descendre sur lui la foudre de la coalition mondiale contre AQMI, qui est en train de se dessiner.
Comme on le voit, la rivalité si âpre entre les deux camps peut conduire à n’importe quel dérapage. Un des objectifs de l’enlèvement des sept travailleurs d’Areva à Arlit, au Niger – opération conduite par Abou Zeid en personne avec la complicité de Nigerians identifiés à partir de la langue Haoussa qu’ils urilisaient- est de réussir une action de grande envergure, pour effacer Belmokhtar et devenir l’émir incontesté de toute la bande salélo-saharienne.
Dans ces conditions, Paris devra savoir marcher sur des œufs, pour tirer les otages des griffes de l’imprévisible Abou Zeid, fort de l’extrême mobilité de ses commandos qui nomadisent de l’Est de la Mauritanie au Nord du Niger, ainsi que du Sud de la Tunisie au Nord du Mali.
Là gît toute la complexité de l’équation que la France devra résoudre.
Amadou Bamba NIANG