A défaut de nouvelles révélations, le livre « ATT-cratie : la promotion d’un homme et de son clan » de « Le Sphinx » a le mérite de nous conforter dans notre analyse et dans l’opinion que nous avons du régime actuel. Pour une bonne partie de la presse algérienne, « le Mali est un Etat voyou ». Nous sommes sérieusement attaqués dans notre dignité.
Nous avouons volontiers être resté sur notre faim en lisant le livre qui fait couler tant d’encre et de salive au Mali et dans le monde : « ATT-cratie : la promotion d’un homme et de son clan ». Comme certainement beaucoup de Maliens, nous avions espéré que Le Sphinx allait nous gaver de révélations croustillantes sur un régime qui a apparemment trouvé au populisme et au consensus politique la meilleure stratégie de régner sans heurts. Aussi de moult questions que nous nous posions avant la lecture du pamphlet sont-elles restées sans réponses. Le Sphinx fera-t-il mieux dans le tome 2 promis ?
En attendant, il faut néanmoins reconnaître que, venant d’un ancien ministre qui a beaucoup côtoyé le « parrain » et son clan, les faits rapportés dans le livre apportent l’eau au moulin de ceux qui dénoncent sans cesse les dérives et les tares du pouvoir en place. Dans les pages de « ATT-cratie », nous trouvons la confirmation de nos convictions. « Comment se porte aujourd’hui le Mali » ? « Mal, mal et mal » répond l’auteur anonyme. Il faut vraiment faire partie du « clan » pour dire le contraire. La mauvaise santé du pays est vécue quotidiennement dans tous les aspects de la vie.
« Le chômage, l’absence de perspectives d’avenir, la précarité, la pauvreté, etc. ont tué tout espoir chez les citoyens. Et l’apparente accalmie politique et syndicale n’est que la conséquence de la corruption par le régime de certains syndicalistes, journalistes et leaders politiques et de l’Association des élevés et étudiants du Mali (AEEM) qui émargent à la présidence de la République, à la Sécurité d’État et au ministère de l’Education nationale », écrit Le Sphinx. Ce qui n’était plus en réalité un secret de polichinelle.
Malgré sa vitalité démocratique brandie en modèle partout dans le monde, le Mali est l’un des pays les plus corrompus du monde. Et cette gangrène n’a jamais eu autant d’ampleur que sous celui qui, pendant la transition démocratique, se faisait passer comme l’un des champions du kokajè (laver propre en bambara ou transparence).
En réalité, c’était pour endormir les Maliens dépités par 23 ans de gabegie d’un régime militaro-bureaucratique. Le Mali a par exemple obtenu 3,9 sur 10 en 2004 et 3 sur 10 en 2005 dans les indicateurs de transparence. Il ne faut pas s’attendre à une amélioration cette année. Parce que le président ne cesse d’avouer son incapacité à juguler le phénomène de la corruption. Il le dénonce sans cesse, mais il n’agit jamais contre les fautifs. Bien au contraire, certains sont promus à des postes de responsabilités plus importants que ceux qu’ils occupaient au moment de leurs forfaits.
Le Trésor public continue d’être soulagé des dizaines de milliards par jour au vu et au su de tous. Impuissant, le régime agit comme vous et nous : il dénonce et regrette la situation ! C’est comme des citoyens qui assistent impuissants à l’utilisation abusive des biens de l’Etat (véhicules, carburants…). Leur seule arme est de s’en offusquer dans les grins, dans les médias ? Comme le dit Le Sphinx, le régime a « jeté l’éponge lorsque, dans son adresse à la nation le 22 septembre 2005, le chef de l’Etat dit regretter l’irresponsabilité des opérateurs économiques ayant bénéficié des exonérations au moment de la crise céréalière… S’exprimant comme un citoyen lambda, le président ATT a montré que la lutte contre la corruption est au-dessus de ses forces ».
Un pouvoir banalisé
La fragilité de l’autorité de l’Etat n’est pas de nature à faciliter les choses. Une fragilité voulue par le régime. D’abord, comme le dit notre confrère Ousmane Sow depuis Montréal (Canada) ATT a trop « d’amis » (???). Des pseudo amitiés du ventre ! « On ne peut pas être chef et plaire à tout le monde », nous disait sans cesse notre défunt grand-père. Mais, le propre du régime populiste est de vouloir plaire à tout le monde. En plaçant ses amis dans les rouages de la vie économique et administrative sans aucune garantie de leur bonne moralité, le président a pris un risque insensé d’encourager la corruption et la délinquance financière parce que ceux-ci sont convaincus qu’il est « incapable de faire mal à une mouche ».
En faisant de la gestion du pouvoir un kotéba (théâtre de rue) de mauvais aloi, le président de la République a banalisé le pouvoir qui n’est aujourd’hui craint de personne, sauf ceux qui s’illustrent par leur patriotisme aigu et le sens de la responsabilité citoyenne. Cela à commencer par des cousinages à plaisanterie, souvent mal à propos. Il en a usé et abusé.
Comment alors prendre au sérieux un tel pouvoir ? Le pouvoir doit imposer le respect, susciter la crainte des citoyens sans être une dictature sanglante. Le champion de la demande sociale avait d’autant besoin de cela qu’il n’a ni le charisme ni la culture politique d’aucun de ses prédécesseurs. Et comme le dit Le Sphinx, « le manque de charisme, de stature d’homme d’Etat responsable d’ATT », ne favorise pas le renforcement de l’autorité de l’Etat. Sans compter qu’il n’y a pas mieux que l’impunité pour tourner un régime en dérision.
Kadhafi et les irrédentistes de Tegharghar
Comme Le Sphinx, nous avons toujours pensé que les attaques du 23 mai 2006 avaient quelque chose avec l’ouverture d’un consulat à Kidal. Il faut être vraiment naïf pour ne pas faire le lien entre cet événement troublant et la dernière visite du Guide de la Jamahiriya arabe libyenne dans notre pays. Comme lui, nous étions sûrs que « la fête de Maouloud 2006 à Tombouctou n’était qu’un prétexte pour la Libye pour raviver ses réseaux d’irrédentistes ».
Sinon que faisaient encore à Bamako et à Kidal la centaine d’agents libyens munis de véhicules dotés de moyens de communication sophistiqués, dix jours après le retour de Kadhafi ? Pourquoi le Guide a-t-il semé son hôte en plein désert ? Jusqu’à preuve du contraire, ces faits ont des liens avec l’intransigeance de Fagaga. Et c’est Tripoli qui a contraint Bamako à négocier avec ce dernier, lors de sa première tentative de rébellion, alors que son cas relevait d’une question militaire et non politique.
Il est tout aussi évident que les « Accords d’Alger » ne sont qu’une remise en cause de la souveraineté malienne sur Kidal. Ni le gouvernement, ni l’Assemblée nationale, encore moins la société civile, n’ont été consultés et mis à contribution. « Le président ATT n’a-t-il pas montré à travers l’opacité et la rapidité avec lesquelles les négociations ont été menées, qu’il n’a pas d’égards pour les institutions de la République et qu’il est plutôt préoccupé par sa réélection ? », s’interroge l’auteur anonyme. La réponse est évidemment claire pour tous les fins analystes. Et comme il l’écrit plus loin, « en créant une citoyenneté malienne à double niveau, les Accords d’Alger ont consenti aux insurgés l’autonomie qui, même si le mot n’apparaît pas dans lesdits accords, transparaît à travers les concessions faites par le président ATT ».
Une autre alternative est-elle possible avec ATT ?
Non dirons nous ! C’est aussi l’avis du Sphinx pour qui, « une autre alternative n’est pas possible, parce que le président ATT, comme il l’a si bien dit (dans Jeune Afrique Intelligent), n’a jamais pris le pouvoir au sérieux. Il a ainsi montré aux Maliens que les institutions de la République comptent peu pour lui. Cette déclaration n’est-elle pas illustrée par la banalisation du pouvoir qu’il confie à qui il veut sans tenir compte de la compétence et de la moralité des personnes ainsi choisies ? »
Comme il le prouve éloquemment, sous ce régime, on constate que le tissu industriel est toujours à son état embryonnaire ; que la justice malienne reste gangrenée par la corruption et continue de trancher en faveur des plus offrants ; que l’école est devenue aujourd’hui la dernière de la sous-région à cause des années scolaires tronquées de 4 à 5 mois de cours, des notes sexuellement transmissibles et de la baisse considérable du niveau des élèves et étudiants.
« Toutes choses qui font du Mali un pays où le folklore et le sensationnel l’emportent sur le sérieux et le concret, où les cérémonies d’inauguration sont plus importantes que les résultats, où les médiocres sont, du fait de leur accointance avec le pouvoir, plus récompensés que les travailleurs méritants…», Le Sphinx dixit. Ces tares atténuent considérablement l’impact socioéconomique de toutes les pertinentes réalisations à son actif.
Ne serait-ce que par ses mises au point, « ATT-cratie : la promotion d’un homme et de son clan », est loin d’être, comme nous le font croire certains barons du clan, « un tissu de mensonges » des frustrés et des aigris sociopolitiques.
Moussa Bolly
Banditisme d’Etat ?
Les incohérences de la politique des autorités maliennes ont aussi terni, auprès des autorités algériennes, l’image de notre pays. Une réputation surtout entachée pas la gestion de la prise d’otages allemands fortement décriée par Alger. Ainsi, comme le rapporte Le Sphinx, dans un article intitulé « Le Nord-Mali, sanctuaire du terrorisme et du grand banditisme » (signé par Ahmed Bentaous), Le Quotidien d’Oran du 22 mars 2004, affirmait que l’affaire des 14 otages européens libérés en août 2003 dans le Nord-Mali dévoile, « la véritable nature du régime malien et l’ambivalence de sa politique régionale : un Etat voyou qui, tout en s’attribuant les vertus de la démocratie et de la bonne gouvernance, compose avec le terrorisme… C’est dire que les autorités de Bamako ont fait preuve de laxisme et de complicité, et leur responsabilité, pleine et entière dans cette affaire, s’est confirmée jusqu’à la libération des otages moyennant le payement par l’Allemagne d’une rançon de 6 millions d’euros… La suite des événements a révélé que les terroristes du GSPC ont bel et bien bénéficié…de complicités ».
Le journal poursuit, « Autrement, comment auraient-ils pu disposer de réserves de nourriture, d’eau, de véhicules et de carburant pour survivre aussi longtemps… Tout ceci tend à corroborer la thèse de l’existence, depuis au moins deux années, d’un sanctuaire du terrorisme et du grand banditisme dans le Nord-Mali… »
Et au confrère d’ajouter : « En l’absence d’un pouvoir malien effectif capable d’administrer l’ensemble du territoire, le phénomène de circulation des armes dans ces contrées désertiques du Nord, connu des services de sécurité maliens, a pris ces derniers temps des proportions énormes. Cette tolérance des autorités maliennes a fait que certains groupes terroristes, jouissant d’une grande mobilité aux frontières, se sont transformés en véritables fournisseurs d’armes, provenant surtout des zones de conflits africains… ». C’est sans commentaire dans la mesure où il n’y a eu aucune réaction officielle sur ces graves accusations.
M. B.
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