C’est au siège de son parti, le Rassemblement pour le Développement du Mali (RpDM), que Dr Cheick Modibo Diarra nous a reçu pour un entretien exclusif qui a porté principalement sur le projet de société qu’il s’apprête à proposer au peuple malien lors de la présidentielle de 2012. Parlant avec foi et détermination, sans langue de bois ni faux-fuyant, le futur candidat à la prochaine élection présidentielle s’est prêté à nos questions. Suivons plutôt l’un des Maliens les plus illustres, l’astrophysicien de la Nasa qui vient d’entrer avec fracas dans l’arène politique nationale.
L’Indépendant : Avez-vous un commentaire à faire sur le Gouvernement qui vient démissionner ?
Cheick Modibo Diarra : Pas du tout. Je ne suis pas le genre de personne qui passe son temps à faire des commentaires négatifs, à rabâcher les choses.
Par contre, je suis du genre qui, pendant que le train est en marche, peut faire des propositions dans le but de diriger ce train vers de meilleures destinations.
Car, après tout, il faut savoir que chacun fait du mieux qu’il peut. Quelqu’un qui n’arrive pas à faire ce que nous on aurait fait si l’on était à sa place, cela ne veut pas dire que cette personne n’en a pas la volonté.
Moi, j’ai fait un choix de projet de société que j’ai présenté à la nation et que je suis en train de chiffrer actuellement afin de pouvoir dire à mes compatriotes, combien de temps cela va-t-il prendre exactement si je suis élu président de la République. On n’improvise pas dans la gestion d’une nation. Il faut que les gens fassent de la prospective. Voir les différents scenarii et choisir le meilleur scénario en fonctions des ressources dont nous disposons. C’est comme ça qu’on crée une nation, c’est ainsi qu’on développe un pays.
Au lancement de votre parti, le 6 mars dernier au CICB, vous avez vous-mêmes, comme un imam ou un érudit en arabe, béni la rencontre. Les gens paraissaient très surpris car, généralement, ce sont des imams que les partis invitent pour faire des bénédictions…
Ch.MD : Aussi bien aux Etats-Unis d’Amérique que dans ma famille, ici, nous avons hiérarchisé les choses en trois tranches : d’abord, c’est Dieu, ensuite, c’est la Patrie et vient après l’activité que nous avons à mener. Dans toute activité que je mène, qu’elle soit politique ou pas, c’est toujours Dieu, la Patrie et l’activité en question. C’est pourquoi, ce jour-là, nous avons commencé avec des bénédictions. Et je crois en la force des bénédictions. Une fois qu’on a fait la part de Dieu, nous sommes allés à la Patrie en entonnant l’Hymne national et en saluant le Drapeau. Et ensuite, on s’est attaqué aux affaires courantes, c’est-à-dire l’activité de lancement du parti. Ce sont toujours ces priorités qui ont toujours guidé ma vie et qui vont guider celle du parti que je préside.
Beaucoup de personnes dans notre pays sont étonnées de vous voir descendre dans l’arène politique considérée le plus souvent comme un terrain pour se faire la poche. Alors que vous, vous avez déjà réussi. Certains Maliens sont surpris…
Ch.MD : Au contraire, c’est moi qui suis surpris de cette réaction. Un astrophysicien n’a-t-il pas le droit de faire de la politique ? On a trop dévié la politique de son sens étymologique. Par politique, il s’agit avant tout de résoudre les problèmes de la Cité. Chacun a bien évidemment un rôle à jouer dans la résolution de ces problèmes. Dans des pays en voie de développement comme le nôtre, les ingénieurs ont certainement beaucoup plus à contribuer dans la résolution de ces problèmes que les avocats ou d’autres. Cela ne veut pas dire que je dénigre ces fonctions. Seulement à chaque étape du développement d’une nation, il y a des besoins spécifiques, par exemple, en médecins, en scientifiques, avocats. C’est dire que la politique n’est pas réservée à une profession bien précisée.
Les Maliens vous admirent à cause de votre intelligence et de votre parcours professionnel aux Etats Unis. Pensez-vous qu’ils aient le même degré d’admiration et de sympathie pour Cheick Modibo Diarra, acteur politique ?
Cela dépend de la manière dont les gens font le choix des hommes politiques. Partout où j’ai été dans le monde, les hommes politiques sont choisis sur la base de leur compétence à délivrer sur le programme qu’ils proposent. Si telle est la démarche, je pense que les gens finiront par admirer l’homme politique Cheick Modibo Diarra.
Avez-vous ressenti un début d’admiration dans ce sens lors de vos tournées à l’intérieur du pays ?
Tout à fait. D’ailleurs, j’ai beaucoup plus de relations avec les cultivateurs dans les régions qu’avec les gens dans les grandes villes. J’ai moi-même des champs. Et quand je suis à l’intérieur du pays, avec les paysans, nous partageons nos expériences personnelles. Ceux-ci savent que je ne rechigne pas au travail. Et ce sont là des gens pragmatiques qui, avec le temps, finissent toujours pas savoir si vous êtes un homme de parole ou pas. Il y a déjà un partenariat entre des paysans et nous. Nous leur amenons des semences de l’extérieur que nous essayons ensemble dans nos champs. Ce qui fait qu’avec le temps, ces gens apprécieront la fiabilité d’une telle personne par rapport à sa façon de promettre les choses.
Par exemple, quand je propose un projet de société, les gens savent que ce projet n’a pas été fait à la légère. C’est un projet qui ne serait pas basé, dans son exécution, sur la bonne volonté des partenaires extérieurs. Ce projet tiendra compte non seulement de la capacité humaine dont nous disposons mais également des ressources que nous avons à notre disposition. Tout est basé sur du réel lequel s’exerce sous notre contrôle.
Vous avez dit, au lancement de votre parti, qu’un pays dépendant ne peut être libre…
Ch.MD : Dans mon projet de société, j’ai évoqué plusieurs choses. Un peuple qui est malade et incapable de se soigner ne peut pas se développer. Un pays dépendant, des gens dépendants ne peuvent pas faire un choix libre. Quand un pays est obligé, pour ses dépenses fondamentales de souveraineté tel le paiement des salaires de ses fonctionnaires, de recourir en grande partie à l’aide internationale, un tel pays est dépendant et ne peut pas être libre.
C’est tout ça qu’on doit essayer de changer. Et la meilleure manière de le faire, c’est de faire des économies, de mettre fin à tout ce qui se fait comme détournement, gaspillage et dépenses de prestige. Par exemple, le Mali n’a pas besoin d’avoir des ambassades dans toutes les capitales. Ce sont là des dépenses de prestige inutiles. Dans certains pays, nous pouvons nous associer avec certains pays voisins. Pourquoi ne pas le faire même dans le cadre de l’Uemoa ?
Que reprochez-vous à la gouvernance actuelle ? Et quelles seront les premières mesures que vous allez prendre en cas de victoire du futur candidat Cheick Modibo Diarra à la présidentielle de 2012 ?
Ch.MD : Très bien. Au lieu du mot reproche, je préfère dire qu’est-ce que j’aurai fait de différent. D’abord, j’ai des problèmes par rapport à la cohésion de l’Etat lui-même. Au moment où je vous parle, l’Etat n’a pas le contrôle sur la moitié de notre pays. Ce qui se passe dans le nord de notre pays, ce n’est pas normal. Deuxièmement, regardez ce qui se passe dans nos écoles où nous sommes en train de créer une génération de semi-lettrés. On dirait que les gens de ma génération n’ont pas conscience de cette situation. A moins d’être insouciants du fait que ce sont ces jeunes qui sont appelés à payer nos retraites.
Aujourd’hui, notre école ne vaut pas grand-chose. A peine si l’on n’ose croire que nous sommes sortis de la même école publique.
Troisièmement, regardez les problèmes de santé. Allez faire un tour dans nos hôpitaux et voyez comment les gens sont soignés. C’est selon qu’ils soient riches ou pauvres. Cela n’est pas normal dans un pays comme le nôtre.
Quatrièmement, regardez maintenant la solidarité, dont nous jouissions auparavant. Et voir comment autrefois, les gens avaient du mal à franchir certaines lignes. Toutes ces valeurs sont est en train de s’effriter à cause de la misère qui a été créée. Les gens n’ont plus les moyens de survivre. Alors que nous avons tout à notre disposition. Nous avons une jeunesse robuste, de l’eau en abondance, du soleil et des terres fertiles, des gens qui aiment leur pays.
Quel est donc l’ingrédient qui manque ? Peut-être que c’est un choix de projet de société. Moi j’aurai quand même choisi un projet de société différent.
Imaginez, par exemple, le nombre de laboratoires, d’écoles, de centres de santé qu’on aurait pu faire avec les 388 milliards F CFA de manque à gagner. Alors qu’on ne nous dise, donc, pas qu’il n’y a pas les moyens.
On a des ressources mais qui sont mal gérées. Ça c’est quel genre de système? Aujourd’hui, tout le monde aspire au changement. Les gens n’ont plus les moyens de survivre.
A suivre
Mamadou FOFANA