… Youssouf Hassan Diallo à propos du Code des personnes et de la famille : Au plus fort de la colonisation, on tenait compte de nos réalités, pourquoi, une fois indépendants, nous ne sommes plus en mesure d'en faire autant

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Natif du cercle d’Ansongo, le professeur Youssouf Hassan Diallo est un érudit de l’Islam qui jouit aujourd’hui d’une réputation internationale. Après des études supérieures en islamologie et en économie, respectivement à l’université islamique de Médine et à l’université du roi Abdel Aziz de Djeddah, il est vite recruté en qualité de fonctionnaire international à l’Organisation mondiale de la conférence islamique, en Arabie Saoudite. Youssouf Hassan Diallo, pour ceux qui ne le savent pas, est un des candidats malheureux à l’élection présidentielle de 2002, où il n’avait récolté que 12 455 voix, soit 0,80 des suffrages, se classant ainsi à la 14ème place parmi la vingtaine de candidats. Si en politique il n’est pas parvenu à se faire rallier la majorité des suffrages des Maliens, c’en est tout autre en matière d’enseignement des principes islamiques, domaine dans lequel il est adulé et respecté. C’est en ce sens qu’à la veille du mois de Ramadan, nous avons profité de son passage à Bamako, pour aller à sa rencontre. C’est ainsi qu’il  nous a accordé une interview exclusive, dans laquelle il aborde des sujets brûlants de l’actualité dont le Colloque des musulmans francophones qui vient de se tenir au Mali, le terrorisme et le très controversé Code des personnes et de la famille.

L’Indépendant : Vous êtes à Bamako dans le cadre de la rencontre des musulmans francophones. Quelle peut être la pertinence d’une telle rencontre entre les musulmans de l’espace francophone et pourquoi seulement l’espace francophone ?

Youssouf Hassan Diallo : Je suis bien à Bamako comme vous l’avez signalé, dans le cadre du Colloque international des musulmans de l’espace francophone. C’est d’abord une organisation que nous, ressortissants de l’espace francophone, avions créée il y a une dizaine d’années, à Abidjan. Cela, en marge d’un autre colloque que nous avons l’habitude de tenir tous les ans et qui s’appelait le Séminaire international des formations des responsables des associations musulmanes. C’est en marge de cela que nous avons décidé, en 2000, de tenir tous les deux ans un Colloque international de tous les musulmans qui travaillent dans le domaine de la paix en islam, venant de tous les Etats francophones. Du Canda en passant par le Sénégal jusqu’au Vietnam. L’objectif était de parler de l’islam, de la situation des musulmans dans le monde. Surtout dans les Etats francophones. Nous avons constaté que les problèmes de tous les musulmans de l’espace francophone sont presque identiques. Ce sont des pays qui connaissent la laïcité. C’est d’ailleurs pour cette raison que nous avons intitulé la rencontre de Bamako " l’islam face aux défis actuels ". Comme défis, nous avons aujourd’hui le problème de l’islamophobie qui est devenu un problème de plus en plus inquiétant à travers le monde, surtout en occident. Il y a une certaine attitude vis-à-vis de l’islam qu’il nous faut relever. Il y a aussi celui de l’environnement, avec le réchauffement climatique ; la crise économique mondiale qui perdure depuis deux ans et le monde n’a pas connu pareille crise depuis 1929. Il y a aussi des phénomènes qu’on appelle le terrorisme dans lesquels les musulmans sont indexés. Il était important pour nous de réfléchir sur toutes ces questions et de voir quelle peut être la contribution des musulmans.

L’Indép : Vous venez de toucher du doigt l’islamophobie qu’on développe vis-à-vis de l’islam en occident. Qu’est ce qui peut être à l’origine de cette crainte qu’on a de l’islam et des musulmans en occident ?

YHD : La raison essentielle de cette attitude vis-à-vis de l’islam est tout simplement due à la méconnaissance des règles de l’islam. Parce que depuis une décennie ou plus, on a assisté à une médiatisation à outrance de l’islam depuis la révolution Iranienne de 1979, qui a propulsé l’islam et le monde musulman au devant de la scène. S’y ajoute le problème du Moyen-Orient qui est resté sans solution depuis 60 ans. Tout cela a contribué à projeter l’islam en première ligne au niveau des médias. Et puis, il y a eu les événements du 11 septembre aux USA qui ont fait que les occidentaux se sont vite déchainés sur l’islam, en accusant les musulmans d’en être responsables. Ce sont autant d’événements qui se sont succédé et qui, après avoir occupé la manchette de nombreux journaux, ont tristement focalisé les attentions sur les musulmans. Il appartient aux musulmans d’œuvrer pour qu’une telle image, qui est injustement collée à une religion de miséricorde qu’est l’islam, puisse être combattue. Aujourd’hui, cette dimension de l’islam est malheureusement occultée par le comportement de quelques individus se réclamant de l’islam et qui posent des actes irresponsables.

 L’Indép : Vous avez mis un accent particulier sur le terrorisme. Il se trouve que ceux qui agissent, prétendent le faire au nom de l’islam. Quel lien, s’il y en a un,  existerait entre le terrorisme et l’Islam ?

YHD : Il n’y a aucun lien entre l’islam et le terrorisme. Je pense, pour ma part, qu’il y a une confrontation malheureuse qui s’est glissée entre le monde musulman et l’occident. Tout cela est dû au fait qu’il y a un problème latent qui est là et qui n’a que trop duré. C’est la crise du Moyen-Orient qui sévit depuis 1948. Je crois qu’il est important pour la communauté internationale de trouver une issue à cette crise, pour qu’enfin le monde musulman et le monde occidental puissent se réconcilier. Le président Barack Obama l’a fait savoir lors de son passage au Caire. Il a plaidé pour que les deux communautés se donnent la main. Comme ce fut le cas au Moyen âge, lorsque l’islam a apporté la science, la lumière au monde entier, dont l’Europe. Ces deux mondes se sont développés grâce à l’apport de l’un à l’autre. La communauté internationale doit comprendre qu’il n’y a pas de justification à ce que le problème du Moyen-Orient perdure. Elle doit jeter les bases d’une politique permettant à ces deux communautés de vivre en bonne intelligence. C’est à ce seul prix qu’on n’entendra plus parler ni de conflit, ni de terrorisme. Parce que c’est ce conflit que les extrémistes des deux camps exploitent, pour alimenter la confrontation entre la civilisation islamique et la civilisation occidentale.

L’Indép : Que dire donc de la présence d’Aqmi dans la bande sahélo saharienne ? Des bandits ou des marchands d’illusion ?

Y HD : Je n’ai pas d’information précise sur ces éléments. Tout ce que j’en sais, je l’ai appris dans la presse. Je crois que c’est tout le monde, sans exception, qui doit se donner la main pour les combattre et ne pas donner l’occasion aux extrémistes de tous bords de nous prendre en otages. L’islam n’a pas besoin de conflits pour exister. L’islam est une religion révélée sur le prophète qui nous apporte la spiritualité, pour que nous puissions être avec Dieu et que nous puissions vivre en bonne intelligence avec tous les êtres humains, quelle que soit leur religion. Je le répète, évitons de donner l’occasion aux extrémistes.

L’Indép : Lors du colloque, un de vos thèmes portait sur l’Etat et la Oummah islamique. Y a-t-il un rapport entre les deux ?

YHD : Dans les termes de référence de cet atelier, il s’agissait de faire ressortir, dans une entité géopolitique gouvernée par un Etat laïc, mais avec une population à majorité musulmane, l’approche qui permettait à cette population d’évoluer. Sans qu’il y ait des frottements et des conflits. Plus précisément, il s’agissait de se demander quels sont les garde-fous à mettre en place ? Quelle est l’attitude que les populations musulmanes peuvent adopter pour qu’il y ait une évolution et un vécu non conflictuels.

L’Indép : Que pensez-vous alors du Code des personnes et de la famille dont l’adoption par l’Assemblée nationale a provoqué l’ire de l’écrasante majorité des musulmans et des traditionnalistes au Mali ?

YHD : Il n’y a aucun problème à adopter un Code dans un pays. Mais ce Code doit tenir compte des réalités sociales et culturelles, des valeurs de société du pays pour lequel ce Code est adopté. La communauté musulmane a demandé de tenir compte de ces réalités. Chaque pays, chaque société, a ses réalités. On ne peut pas parachuter des règles d’une autre société sur une autre. Parce que les pays ont des réalités différentes. Le projet de Code adopté à l’Assemblée nationale a fait fi de certaines réalités fondamentales de la culture et de la spiritualité musulmane qui ont été respectées même au temps de la colonisation. Au plus fort de la colonisation, il y avait chez nous des cadis, c’est-à-dire des juges, des magistrats du droit islamique, qui siégeaient dans les tribunaux et qui statuaient sur des questions qui touchaient à l’héritage, au mariage. C’était sous la colonisation. Pourquoi, lorsque nous sommes indépendants, nous ne nous donnons pas la peine de tenir compte de nos réalités? Si nous sommes réellement souverains, nous sommes en mesure de prendre des décisions censées être conformes à notre réalité.

Interview réalisée par Abdoulaye DIARRA

 

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