Youssouf Cissé dit Baba, producteur, réalisateur, monteur, gérant d’Afrimage, est le fils du grand cinéaste malien Souleymane Cissé. C’est grâce à son père qu’il est devenu réalisateur et producteur. Dans cet entretien, il nous parle de son parcours, ses projets, mais surtout la grande difficulté d’avoir du financement pour la réalisation des films.
Comment êtes-vous venus dans le cinéma ?
Le cinéma et moi, c’est surtout grâce à mon père, M. Cissé, cinéaste de son état qui m’a introduit et formé durant trois ans d’apprentissage en production réalisation, après mon Bac, pour qu’ensuite je me retrouve en formation professionnelle dans les laboratoires de post-production numérique chez Éclaire, GTC et KODAK en France et à Montréal. Ensuite, poursuivre à l’ISIS de Ouagadougou grâce à une bourse d’Africalia et au Mali pour compléter le tout avec un master 2 en communication-marketing.
Comment vous travaillez, est-ce que vous avez une structure ?
J’ai une organisation composée d’associations en incubation «Jâ-Labs», le centre de formation «Farafina-Jâ» et une agence de Production communication-marketing du nom d’Afrimage. Nos activités sont la promotion, la production, la formation et l’accompagnement dans le secteur du 7ème art et de l’audiovisuel en général. Elles s’articulent sur ces quatre éléments : récemment la relance des rencontres cinématographiques de Bamako-RCB 2018, initiées par l’UCECAO en 2004 dont le succès fut au rendez-vous, avec comme impact beaucoup de prise en compte de la valeur du 7ème art pour jouer un rôle considérable dans le développement socio-économique de notre pays.
Aussi, il faut savoir que le centre de formation FARAFINA JA et ses partenaires techniques et financiers ont formé et inséré des centaines de jeunes et vidéastes dans le secteur de l’emploi et de la création audiovisuelle avec comme impact, plus de contenus audiovisuels et la sécurisation positive de l’environnement socio-économique dans ces régions qui ont bénéficié de ces formations.
À propos de l’association d’incubation, Jâ-Labs, on se prépare à incuber des jeunes dames et filles issues de milieux défavorisés, pour une prise en charge en accompagnement dans le marché de la technologie numérique, notamment le graphisme, la vidéo et JRI, etc.
Car, après leur audition, il se trouve que beaucoup n’ont pas terminé leur cycle scolaire ou sont des mères au foyer à moins de 20 à 30 ans, mais sont à même de comprendre vite et de s’appliquer dans ce secteur avec beaucoup de volonté et un accompagnement dans la dignité et le respect qu’elles méritent. Ces dames sont prêtes à créer leur startup et à se lancer à la création et l’offre de service dans l’image et le son, grâce à l’accompagnement de Jâ-labs, dont la vocation est «seules la confiance et la volonté peuvent vaincre la pauvreté».
Quels sont projets et qu’est-ce qui est en gestation immédiate ?
Nos projets sont nombreux, mais 2019 s’annonce décisive dans le changement social de notre pays. C’est pourquoi notre organisation a décidé d’aller à la rencontre de ceux qu’on peut appeler les «sans voix» afin de leur permettre de communiquer et de s’insérer grâce aux NTIC à travers l’audiovisuel. Il s’agira de former et d’accompagner des centaines de jeunes dans trois villes du Mali, en proie au banditisme, au djihadisme à cause de la pauvreté. Ce projet vise à aider nos autorités et partenaires socio-économiques à relever le défi de la division intercommunautaire que notre pays traverse. Ce qui est sans précédent dans notre histoire culturelle.
Nous nous devons d’apporter notre contribution en tant que citoyen. Ce projet qui se clôturera par des festivités lors desquelles nos populations pourront voir, à travers des séances de projections publiques et des diffusions télé, des images qui reflètent les réalités d’autres communautés maliennes, dont les vécus et l’émotion ressentie par ces histoires pourront nous aider à mieux communiquer et à nous comprendre pour un avenir meilleur dans la paix et le développement du Mali. L’impact économique de ce projet vise à l’insertion, à travers un métier passionnant et créateur de vocation.
On a appris récemment que vous avez eu un problème de financement au niveau de l’OIF. Est-ce vrai ?
Pour ce dossier, un petit rappel s’invite. Effectivement, j’ai eu à travailler dans plusieurs universités privées au Mali avant d’être à mon propre compte aujourd’hui. Cette expérience fut une découverte pour moi, avec des jeunes de 16 à 29 ans, à la suite de laquelle, en tant que cinéaste et citoyen soucieux de l’avenir éducatif de notre jeunesse, je me suis engagé à écrire une histoire sur ce que j’ai vu et ressenti durant cette période. Ces récits sont la triste réalité que je déplore avec ferveur et qui m’a laissé sans voix.
Alors, je me suis dit que je me devais de le transmettre à travers mon métier, aux jeunes eux-mêmes d’abord et ensuite, les parents ainsi que l’exécutif de notre pays. Le Mali, aujourd’hui, dans ma vision de créateur et chercheur, traverse une crise sans précédent. Au-delà de la guerre, des problèmes intercommunautaires, du banditisme, de la pauvreté, etc., un autre souci majeur jalonne nos rapports, notamment ceux de l’éducation et du rapport entre les parents et les enfants.
Ces faits sont, dans la majeure partie, les conséquences de nos comportements et mœurs calqués sur des vies occidentales ou imaginaires avec comme impact (l’isolement, le mépris et le sarcasme à tous les niveaux sociaux de la capitale Bamako). Ceci est la confirmation d’une perte de référence cultuelle et de repère moral.
Pour résumer, il était important d’agir. C’est la raison de ce projet de série télé afin de montrer cette réalité négligée, au vu et au su de tout le monde, mais qui nous envoie direct dans une séparation sociale générationnelle. En tant que cinéaste, j’ai voulu apporter une lumière sur cette négligence afin d’interpeller l’opinion nationale et internationale pour parvenir à un changement dans la vie des jeunes, eux-mêmes, mais aussi des parents afin qu’ils surveillent et s’inquiètent davantage de ceux qu’ils vont laisser après eux.
En gros, voilà ce qui a été jugé de vulgaire et de complaisant avec des personnages paresseux, cupides, voire stupides, par Youma Fall, Directrice des langues et de la diversité à l’OIF. En d’autres termes, il aurait été simple de dire que ce projet ne pouvait les intéresser ou que ce projet ne rentrait pas dans leur objectif ou de diversité culturelle, mais elle a préféré une réponse vulgaire à une création authentique et même prémonitoire, car c’est cela aussi le pluralisme de la création avec des visions différentes pour un monde diversifié et non soumis à une volonté dictatoriale, couronnée de mépris et de sarcasme se cachant derrière une institution.
Cette remarque que je dénonce aujourd’hui existe sûrement depuis plusieurs années, dont les jeunes cinéastes ou porteurs de projet font face sûrement de manière délibérée et n’osent pas le dénoncer, peut-être, par peur d’être rejeté ou de mordre la main qui le nourrit ou pour d’autres raisons propres à eux. Car il faut vraiment oser et ne rien craindre en retour, pour donner un tel avis sur le travail intellectuel de création d’un autre individu de sens moral et de dignité, sans chercher le fond, et la volonté qui anime ces écrits.
Je ne dis pas que mon travail est parfait, sûrement pas, car nul est parfait. Mais les insultes en sont de trop, car si ça devrait leur arriver de telles insultes, vous imaginez la suite. C’est la raison pour laquelle je ne répondrais pas en insultant, mais, avec respect, dû à mon statut et intelligence, mais aussi par respect pour l’institution pour laquelle j’ai eu confiance. Et surtout pour que ça n’arrive pas à d’autres que je dénonce aujourd’hui ce genre d’ingérence gratuite et méprisante.
Dans ce que je peux appeler un abus de pouvoir décisionnel sur le travail de longue haleine, de sacrifices avec beaucoup de courage et d’abnégation, qui se voit jugé par quatre petits mots insignifiants mais insultants pour la création et le travail de recherche fourni par les jeunes cinéastes, ça ne peut être que la preuve d’un mépris ou d’un sarcasme envers nous, ou plus précisément notre communauté. Le plus drôle, on nous écrit que ce compte-rendu de la commission chargée d’évaluer les projets n’est pas publié, juste que ça reste entre vous et nous.
Pendant qu’eux-mêmes multiplient les communications pour nous demander de soumettre nos projets en toute transparence, tout en faisant croire à nos autorités et populations de leur appui et de leur soutien à nos initiatives quelles qu’elles soient, pour ensuite conclure à une insulte. Et c’est en cela que l’inefficacité, ou le laissez-allez de certains personnels avec des postes à responsabilité, qu’ils ou elles occupent dans une institution de telle envergure, doit être reconsidéré. Car trop c’est trop.
Quelle sera la suite de cette affaire ?
La suite de cette affaire, je ne pourrais pas me prononcer car j’attends un retour officiel, non seulement pour le mépris, mais aussi pour que la dignité des créateurs et porteurs de projets soit respectée et établie afin que leur vision aussi soit mieux appréhendée au lieu d’être juste flirtée. En ceci, je m’en tiens aux procédures engagées de mon côté afin que le respect que chacun mérite dans ses travaux soit dû.
Quels sont vos projets pour l’année 2019 ?
2019 réserve des surprises avec beaucoup d’émotions et de solidarité pour tous, car nos activités, qui démarqueront très bientôt, seront des moments sans précédent pour le développement de certaines régions du Mali à travers Afrimage et ses partenaires.
Avez-vous des mots pour conclure cet entretien ?
Je souhaite vivement à tous les concitoyens maliens, africains et du monde, soyons passionnés dans tout ce que nous entreprenons, en ayant la solidarité, la compassion et la compréhension dans nos cœurs pour les uns et les autres. Car nous restons humains de la même planète et les actes de chacun comptent vivement pour un monde meilleur.
Entretien réalisé par Kassim TRAORE