Le président de la Commission de l’UA, Moussa Faki Mahamat, appelle la communauté internationale à être solidaire dans la lutte contre le terrorisme en Afrique de l’Ouest.
Ancien chef de la diplomatie tchadienne, Moussa Faki Mahamat a été élu en janvier à la tête de la commission de l’Union africaine, le principal organe de l’organisation panafricaine. Alors que celle-ci est réunie en sommet à Addis-Abeba, en Ethiopie, le dirigeant a accepté de recevoir Le Monde Afrique pour évoquer les sujets clés de la rencontre : création de la Force conjointe du G5 Sahel (FC-G5S), retour du Maroc au sein de l’institution, financement de l’UA, mais aussi manipulations des élections sur le continent.
Les pays du G5 Sahel viennent d’acter la constitution d’une force militaire conjointe antidjihadiste. Pensez-vous que cela va permettre d’en finir avec le terrorisme ?
C’est prétentieux de le dire. Des forces plus importantes n’y sont pas parvenues. Ce dont je suis certain, c’est qu’il y a une réelle volonté de la part des pays du G5 Sahel victimes de ce phénomène. Je salue leur initiative de mettre en commun leurs moyens militaires pour lutter contre ce phénomène qui se répand à grande vitesse et qui remet en cause la paix et la stabilité dans cette région.
Quel est le rôle de l’Union africaine (UA) dans cette initiative ?
Le concept d’opération de cette force a été adopté par le conseil de paix et de sécurité de l’UA. Et c’est l’UA qui l’a transmis au Conseil de sécurité de l’ONU. C’est sur cette base qu’a été élaborée la résolution que nous aurions souhaitée plus forte pour permettre au G5 Sahel de bénéficier du soutien financier du Conseil de sécurité. L’UA essaie également de mobiliser ses propres moyens et ceux de ses partenaires…
Quel soutien financier pouvez-vous apporter ?
Nous sommes dans une phase de réactivation du Fonds de la paix créé il y a une dizaine d’années. Cela fait partie de la décision sur le financement prise lors du sommet de l’UA en juillet 2016 à Kigali. Il a été décidé que les Etats africains contribuent d’ici 2020 à hauteur de 400 millions de dollars [352,6 millions d’euros] pour ce fonds. Une douzaine de pays a commencé à cotiser cette année. Jusqu’au moment où ce fonds soit opérationnel, il faut l’appui de la communauté internationale. Tous les Etats africains ont accepté ce principe. Nous saluons les contributions annoncées de l’Union européenne et de la France. Nous attendons également celle des autres partenaires.
La France, justement, a donné l’impulsion pour la réunion du G5 Sahel. N’était-ce pas plutôt le rôle de l’UA ?
Ces Etats ont des relations particulières avec la France, qui est présente dans la région avec l’opération « Barkhane » et ses 4 000 hommes. Mais le G5 Sahel est une initiative africaine qui a le soutien de l’UA et qui a maintenant celui du Conseil de sécurité des Nations unies. La lutte contre le terrorisme doit être commune. C’est un sujet sur lequel l’ensemble de la communauté internationale doit montrer sa solidarité.
Le roi du Maroc a fait appel durant ce sommet à une gestion africaine de la question migratoire. Quelles mesures pour éviter que les jeunes Africains n’aient qu’un but : rejoindre l’Europe ?
Le phénomène n’est pas nouveau, même s’il s’est amplifié ces dernières années. Il est la conséquence d’un certain nombre de facteurs : les conflits, le sous-emploi, le manque de formation, l’instabilité, la pauvreté. Pour régler un phénomène de cette nature, il faut agir sur ses racines. La solution vient par le développement. Notre thème de l’année, c’est « Investir dans la jeunesse ». C’est justement pour éviter que des phénomènes de cette nature se perpétuent.
Comment un sommet consacré à la jeunesse peut-il accueillir des dirigeants qui manipulent leur Constitution pour se maintenir au pouvoir ?
Il faut distinguer deux choses : s’occuper de la jeunesse n’est pas antinomique de la question de la démocratie, des élections et du respect des Constitutions. Lors de ce sommet, des jeunes nous ont soumis un document. Ils insistent notamment sur la ratification de la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance. C’est un instrument qui existe mais doit être ratifié par tous les Etats. [En attendant] cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas s’occuper de la jeunesse, de l’emploi et des migrations. Il faut une amélioration de la gouvernance économique, de la gouvernance politique. Il faut faire en sorte que cette jeunesse africaine se sente à l’aise, qu’elle ait la liberté nécessaire et surtout lui créer les conditions de développement.
Quel est votre regard sur les présidents qui s’accrochent au pouvoir pendant des décennies ?
Les instruments dont dispose l’UA, comme la Charte, demandent à ce qu’on ne modifie pas les Constitutions. Notre souhait, c’est que cette Charte soit respectée. L’élection d’un jeune président en France peut-elle donner des idées à la jeunesse africaine ? La France a son histoire et l’Afrique, la sienne. Dans l’histoire de l’Afrique, il y a eu des présidents plus jeunes que le président Macron.
Il y a eu plusieurs accrochages sur le Sahara occidental depuis le retour du Maroc au sein de l’UA. Quel bilan tirer de ces six premiers mois ?
Tout le monde a salué le retour du Maroc, c’est une très bonne chose. Mais ce sont des parties qui sont en conflit depuis une trentaine d’années. Nous leur avons demandé de s’entendre pour une solution pacifique. Le dossier est également depuis une trentaine d’années sur la table du secrétaire général de l’ONU. Le nouveau secrétaire général Antonio Guterres a affirmé qu’il allait prendre des initiatives. Il a nommé un nouvel envoyé spécial [Horst Köhler, ancien président allemand]. Nous sommes prêts à travailler avec lui. Le dossier est également pendant ici à l’Union africaine. Nous avons convenu, et je crois que nous avons bien géré la question pendant ce sommet, d’interagir avec les Nations unies pour donner un coup d’accélérateur définitif.
La réforme de l’UA était au programme de ce sommet. Elle a été pensée par le président rwandais Paul Kagamé et une troïka composée de lui, du Guinéen Alpha Condé et de votre président tchadien Idriss Déby est chargée d’en superviser la mise en œuvre. Quelle est votre propre marge de manœuvre ?
Un président est chargé de la question de la réforme. Mais c’est le président de la Commission [c’est-à-dire moi-même] auprès de qui sera érigée une unité de mise en œuvre au quotidien de la réforme. C’est elle qui fera le travail que je partagerai avec la troïka et l’ensemble des organes de l’UA.
Quand cette unité sera-t-elle mise en place ?
Incessamment.
L’UA a besoin de financements. Le principe de la taxe « Kaberuka » de 0,2 % sur les importations de produits non africains a été adopté il y a un an au sommet de Kigali, mais ne fait pas consensus…
Un tiers des Etats a déjà accepté le principe. Certains ont même commencé à cotiser sur cette base. D’autres ont besoin de plus de temps pour des arrangements internes en fonction de leur législation et de leurs procédures. Nous avons mis en place un « Comité des dix » composé de dix ministres des finances venant des cinq régions africaines pour accompagner le processus. Nous avons même programmé, peut-être au mois d’août, une réunion de l’ensemble des ministres africains des finances pour étudier les aspects techniques de la mise en œuvre de cette décision. L’année 2017 est considérée comme une année de transition.
Certains Etats ont évoqué une incompatibilité de cette taxe avec les règles de l’Organisation mondiale du commerce…
Je ne pense pas qu’il y ait incompatibilité. De toute façon, une partie seulement des Etats africains fait partie de l’OMC. Sur le plan technique, tous les arrangements sont possibles. C’est à la portée de tous.
Propos recueillis par Emeline Wuilbercq (contributrice Le Monde Afrique, Addis-Abeba)
LE MONDE Le 05.07.2017 à 11h21