Alors qu’un grand mystère entoure la mort de deux journalistes de RFI, un cadre de l’ex-rébellion et actuel député, Hamada Ag Bibi, fait une surprenante révélation. Baye Ag Bakabo, suspect n°1 du meurtre des deux envoyés spéciaux de RFI, Ghislaine Dupont et Claude Verlon, était un élément du Mouvement national de l’Azawad (MNLA). Pour connaitre certains détails croustillants de cette affaire clair-sombre, nous vous proposons l’entretien qu’a accordé Ag Bibi à RFI. Intégralité.
L’intermédiaire, qui a permis au négociateur français Jean-Marc Gadoullet et au négociateur nigérien Mohamed Akotey de rencontrer le chef d’Aqmi, Abou Zeid, c’est vous ?
Hamada Ag Bibi : Oui, c’est moi-même. Je n’appartiens à personne (allusion aux propos de Mohamed Akotey, Ndlr), ni à Mohamed Akotey, ni à Jean-Marc Gadoullet. En revanche, j’ai collaboré exclusivement avec Jean-Marc Gadoullet dans les négociations pour la libération des sept otages d’Areva et de Vinci, depuis leur enlèvement en décembre 2010 jusqu’à la fin.
Cela veut dire que vous avez commencé à travailler avec Jean-Marc Gadoullet et que vous avez fini de travailler avec Mohamed Akotey ?
Toutes les négociations pour cette libération, c’est Gadoullet qui les a menées jusqu’à la fin. C’est vrai, la partie Akotey est entrée en juin 2013. Je ne sais pas ce qui est arrivé, il y a des raisons que je ne connais pas.
Les raisons pour lesquelles Jean-Marc Gadoullet a été évincé, c’est de ça que vous parlez ?
Voilà, ce sont des raisons obscures pour moi, mais l’essentiel, c’était de sauver les otages, pour moi et pour Gadoullet. Donc Akotey, fin octobre (le 29 octobre 2013, jour de libération des quatre derniers otages d’Arlit, Ndlr) a pu récupérer les otages, mais la négociation a été faite bien avant, sur trois ans. Il y avait la première libération (en février 2011, la libération des trois premiers otages, Ndlr) et puis ce sont des négociations très longues, beaucoup de choses se sont passées. Les ravisseurs ont voulu mettre des ultimatums. On a déjoué ça, et sur les trois ans on a suivi de près les contacts. Après la mort d’Abou Zeid on a suivi avec Yahia… Yahia Abou Hammam, le successeur d’Abou Zeid…
Il y a aussi eu une tentative d’amener les otages hors de notre territoire, on a déjoué ça. La récupération des otages (s’est jouée sur quelques semaines, Ndlr), à la fin du mois d’octobre, mais les négociations avaient commencé bien avant.
Donc vous confirmez les propos de Gadoullet qui dit que c’est son travail qui a abouti à la libération des otages et que c’est son travail qui a ensuite été récupéré par Akotey ?
Bien sûr, bien sûr ! Mêmes les services français le savent et sont au courant de tout cela. Akotey est venu juste pour récupérer les gens. Les négociations avaient commencé avant, depuis trois ans. Tout cela, c’est Gadoullet qui a travaillé dessus.
Aujourd’hui monsieur Gadoullet estime ne pas avoir été payé pour l’intégralité de son travail. Il demande de l’argent. Vous aussi ?
Non. Pour moi, l’essentiel c’est que les gens aient été sauvés. La vie humaine n’a pas de prix. Mais quand même, le travail que Gadoullet a fait… je l’ai accompagné dans toutes ses rencontres avec Aqmi, ses rendez-vous en personne avec Abou Zeid, tout cela j’étais présent. Il a travaillé.
Pierre-Antoine Lorenzi est un second négociateur français. Est-ce que vous l’avez rencontré ? Est-ce que vous avez été en contact avec lui ?
Non, je ne le connais pas.
Vous n’avez jamais entendu parler de lui pendant cette période de négociations ?
Non, jamais.
Est-ce que vous étiez présent lors du versement de la rançon ?
Non.
Est-ce que vous savez qui a réceptionné cette rançon pour Aqmi ? Et est-ce que vous savez si cette rançon a été versée intégralement ?
Je ne sais pas. De toute façon, la rançon c’est Gadoullet qui l’a négociée. Les ravisseurs ont demandé beaucoup de choses et lui a refusé, jusqu’à la fin, lorsqu’ils se sont mis d’accord sur la rançon qui a été remise par monsieur Akotey.
Certaines sources, notamment un ex-patron des services français de renseignement extérieur, disent que Aqmi n’a pas reçu l’intégralité de la rançon, et que ça a mis Abdelkrim al-Targui – l’un des chefs d’Aqmi – en colère. Est-ce que vous confirmez ?
Non, je ne peux pas le confirmer. Je ne sais pas.
Pierre-Antoine Lorenzi, le deuxième négociateur, affirme que les services français ont bloqué le versement de trois millions d’euros. Une rallonge, en plus de la rançon, qui devait servir à payer des intermédiaires, donc vous-même et les personnes avec qui vous avez travaillé. Est-ce que c’est le cas ?
Non, non. Je ne suis pas au courant. Je n’ai rien à voir avec ça. Je ne suis pas au courant de ça.
Donc ni vous ni les hommes avec qui vous avez travaillé pour aboutir à la libération des otages d’Arlit n’ont eu de frustrations financières ?
Non. On n’a pas demandé ça. Il y a monsieur Gadoullet qui m’a demandé de l’accompagner depuis le début. J’ai travaillé avec lui. Et c’est lui qui gère les promesses “de ça” (sic), ce n’est pas moi.
Mais est-ce que vous avez reçu ce que vous attendiez, sans vous demander de montant ?
Non, on n’a rien reçu. L’essentiel pour moi était que les gens soient libres. Le reste, c’est d’autres détails.
Ne parlons donc plus de votre cas particulier. A votre connaissance, est-ce que certaines personnes impliquées dans les négociations, ou certains jihadistes d’Aqmi eux-mêmes n’ont pas reçu l’argent qu’ils attendaient ?
Je ne le sais pas. Je ne suis pas au courant.
Est-ce que l’accord passé avec Aqmi pour la libération des otages d’Arlit prévoyait des libérations de prisonniers, des jihadistes détenus à Bamako ?
Par des échos, j’ai appris qu’il y avait des personnes qui étaient libérées. Mais je ne sais pas, je ne connais pas leurs noms. Ce sont des gens qui le disent mais je ne sais pas. Je ne connais pas les détails.
Les neveux de Sidane Ag Hitta, un chef de katiba d’Aqmi, ont été libérés plus tard, au moment de la libération d’un autre otage français, Serge Lazarevic. Sidane Ag Hitta avait-il tenté d’obtenir ces libérations plus tôt, au moment des négociations pour les otages d’Arlit ?
Je ne sais pas. Vraiment ce sont des détails que je ne connais pas.
On a parlé d’argent, on a parlé de libération de prisonniers. Est-ce qu’il y avait d’autres clauses dans le marché passé avec Aqmi pour libérer les otages d’Arlit ?
Vraiment, je ne le sais pas, je ne connais pas.
Est-ce que vous savez qui détenait les otages d’Arlit ?
Oui, c’est Aqmi.
Mais est-ce que c’était les hommes d’Abou Zeid ? Est-ce que c’était les hommes d’Abdelkrim al-Targui ?
Ce sont les hommes d’Abou Zeid, c’est Aqmi.
Est-ce que les deux katibas, celle d’Abou Zeid et celle d’Abdelkrim al-Targui, étaient impliquées dans les négociations ?
Non, les négociations, c’est Aqmi, c’est Abou Zeid.
Baye Ag Bakabo est le chef du commando qui a enlevé, puis assassiné, Ghislaine Dupont et Claude Verlon à Kidal le 2 novembre 2013. Qu’est-ce que vous savez de lui ?
Je le connais, mais je ne sais pas ce qu’il fait de sa vie.
Selon vous, est-ce qu’il a pu être impliqué dans l’enlèvement ou la détention des otages d’Arlit ?
Non, il n’a pas pris les otages d’Arlit d’Areva. C’est Aqmi qui les a enlevés, c’est Abou Zeid en personne. C’est avec lui qu’on a négocié, pas quelqu’un d’autre.
Donc Abdelkrim al-Targui n’avait aucun rapport avec ces négociations. Il n’en attendait rien, ni argent, ni matériel, ni libération de prisonniers ?
Non, cette négociation, Gadoullet l’a faite en ma présence avec Abou Zeid en personne, pas quelqu’un d’autre. Et Yahia Abou Hammam (le successeur d’Abou Zeid après sa mort, Ndlr).
Et même s’il n’était pas partie prenante des négociations, peut-être qu’il en attendait quelque chose ? Lui comme Sidane Ag Hitta.
Vraiment, je ne le sais pas.
Pour revenir à Baye Ag Bakabo, que savez-vous des relations qu’il entretenait avec la France ? Est-ce qu’il était surveillé ? Est-ce qu’il avait été arrêté ?
Quand il y a eu l’intervention de Serval (intervention de l’armée française au Mali contre les groupes islamistes en janvier 2013, Ndlr), il était à Kidal, il était dans le cantonnement. Il faisait partie des combattants du MNLA cantonnés.
Il faisait partie des combattants du Mouvement national de libération de l’Azawad, le MNLA, à cette époque ?
Bien sûr. Beaucoup de gens ont été interrogés par les soldats français, et je ne sais pas s’il en a fait partie ou non. De toute façon, il était au cantonnement à Kidal.
Aujourd’hui, est-ce que vous savez où il est ?
Non, je ne le sais pas.
Selon vous, est-ce qu’il a pu prendre seul la décision d’enlever et d’assassiner Ghislaine Dupont et Claude Verlon ? Ou est-ce que c’est une décision qui a été prise plus haut ?
Ça aussi, je ne peux pas le savoir.
Selon vous, est-ce qu’il existe un lien entre la libération des otages d’Arlit et l’assassinat de Ghislaine Dupont et Claude Verlon ?
Je ne le sais pas et je ne le pense pas. Pour moi, c’est un enlèvement. Les gens qui l’ont fait, ils l’ont voulu : ils ont trouvé l’occasion, ils l’ont fait.
C’est “un rapt d’opportunité qui a mal tourné“, comme le dit Akotey ?
Moi, je le pense aussi.
Vous ne pensez pas que ce sont les conditions de la libération des otages d’Arlit, une frustration financière ou par rapport à des libérations de prisonniers qui auraient pu motiver les ravisseurs, puis les assassins ?
Je ne le sais pas, mais je ne pense pas que ce soit lié à cela. C’est un enlèvement, purement et simplement, qui a mal tourné.
Ghislaine Dupont, vous avait-elle contacté au sujet des négociations sur les otages d’Arlit ?
Non, jamais. Je ne l’ai jamais rencontrée.
Et les gens ne parlaient pas d’elle autour de vous à Kidal ?
Non. Non.
Le ministre français de la Défense, Jean-Yves Le Drian, a déclaré que Ghislaine Dupont et Claude Verlon avaient été “trahis“. Selon vous, par qui ?
Je ne le sais pas.
Une partie importante des documents français sur ce dossier sont des documents “secret défense“, que la France n’a pas déclassifiés. Beaucoup, à commencer par les proches de Ghislaine Dupont et Claude Verlon, se demandent ce que l’armée française et les services français de renseignements ont à cacher. Vous, vous avez une idée ?
Non, je n’ai aucune idée sur ce problème-là, vraiment.
On sait que vous êtes proche de Iyad Ag Ghaly, le chef d’Ançar Eddine, dont vous avez vous-même été un cadre avant de rejoindre le Haut conseil pour l’unité de l’Azawad (HCUA). Aujourd’hui vous avez toujours des contacts avec Iyad Ag Ghaly ?
Non, je n’ai pas de contact avec lui (rires).
Ça vous fait rire ?
Non, c’est cette pensée d’avoir le contact avec Iyad.
On sait qu’il est devenu l’une des principales cibles de l’armée française. Vous êtes inquiet pour lui ?
Non, je ne suis pas inquiet pour lui. Il a pris son chemin, c’est tout.
Et vous savez où l’a mené son chemin ? Vous savez où il est ?
Non, je ne le sais pas. Je ne le sais pas.
Document envoyé par Ahmada Ag Bibi à la rédaction de RFI.
A M. C. (Source RFI)