Tiken Jah Fakoly : “Utiliser la musique pour parler aux populations”

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Tiken Jah Fakoly sur la scène du Festival des Musiques de Casablanca au mois de juin dernier. © DR
ENTRETIEN. À Casablanca où il s’est produit au Festival des musiques, le charismatique reggaeman ivoirien a confié ses engagements et espoirs pour l’Afrique.

Surnommé le Bob Marley africain, Tiken Jah Fakoly d’origine ivoirienne a révolutionné la musique reggae sur le continent en y apportant une note qui lui est propre. Artiste engagé et profondément militant, il s’était prononcé contre le pouvoir du président Wade au Sénégal en 2007, lui demandant de « quitter le pouvoir s’il aime le Sénégal ».

Surnommé le Bob Marley africain, Tiken Jah Fakoly d’origine ivoirienne a révolutionné la musique reggae sur le continent en y apportant une note qui lui est propre. Artiste engagé et profondément militant, il s’était prononcé contre le pouvoir du président Wade au Sénégal en 2007, lui demandant de « quitter le pouvoir s’il aime le Sénégal ».

En 2010, il a sorti l’album African Revolution qui traite des événements politiques en Côte d’Ivoire et en Tunisie. De quoi dénoncer dans des textes engagés, acides et cinglants la colonisation, le néo-colonialisme, et exprimer son inquiétude sur la question des armes en Afrique, du pillage de ses richesses et du soutien des Occidentaux à des dictatures sans compter les régimes africains corrompus.

En 2014, Tiken Jah est revenu avec « Dernier Appel » pour marquer son attachement à l’éveil de l’Afrique. Il a enchaîné en 2015 avec Racines, un album de reprises de standards du reggae. Tiken Jah Fakoly joue sa musique pour « éveiller les consciences ». Altermondialiste, il est préoccupé par l’éducation en Afrique. De fait, il a construit une école dans le village de Touroni, situé à 30 kilomètres d’Odienné, dans sa région natale, et également un collège à Dianké, près de Tombouctou, au Mali. Aujourd’hui, ce qui lui vient à l’esprit avant l’écriture de chacun de ses albums tourne autour de l’auteur de l’Histoire : « Tant que l’Histoire sera racontée par les chasseurs, la version du lion ne sera jamais connue. » En attendant de multiplier les créations, depuis 2012, il organise chaque année à Odienné en Côte d’Ivoire le « Festikabadougou ». Cela l’a conduit, durant l’édition 2015, face à un public de 30 000 personnes, de recommander : « Mettons nos enfants à l’école parce que l’école éveille les consciences. » Le Point Afrique l’a rencontré au Maroc au Festival des musiques de Casablanca.

Le Point Afrique : Quel est votre regard sur l’actualité africaine récente ?

Tiken Jah Fakoly : L’Afrique est dans un processus tout à fait normal. Quand vous regardez l’histoire des autres peuples, ils sont passés par différentes phases : l’étape des dictatures, l’étape de démocratisation, et l’étape du développement. Aujourd’hui après 55 ans d’indépendance, il y a des choses qui ont été faites sur le continent, mais beaucoup reste à faire. L’éducation de l’Afrique est l’une des priorités. ll faut éveiller les populations pour qu’elles réclament des lois dans leur pays, mais aussi leurs droits sur le plan international. L’Afrique avance, mais encore à un rythme très lent. Il faut accélérer les choses et être en phase avec son temps.

Beaucoup de vos détracteurs avancent que vous n’êtes plus aussi engagé que par le passé et que votre voix se serait tue avec l’arrivée d’Alassane Ouatarra au pouvoir ?

Je pense que ces gens n’ont tout simplement pas écouté mes albums. Dans tous mes disques, il y a des thématiques très engagées, et des chansons où je dénonce les failles des systèmes politiques et les problèmes que rencontrent aujourd’hui les Africains bien que nous soyons sur le continent le plus riche du monde. Je n’ai pas cessé de critiquer ce que je trouve absurde ou inconcevable même sous Ouattara. Je suis pour la liberté de penser. La critique doit être constructive.

En 2012, vous êtes revenu avec l’album Dernier Rappel en vue d’un meilleur éveil du continent. Quels sont les leaders actuels qui peuvent le mieux y contribuer ?

Je me réfère à des gens comme Thomas Sankara du Burkina, Patrice Lumumba du Congo, Kwame Nkrumah du Ghana et même Sékou Touré, même si son bilan n’est pas très positif, car il a causé beaucoup de dégâts. Cela dit, il a eu le courage en 1958 de dire non à la France. Il fallait le faire quand même. Nous avons beaucoup de résistants qui ont été assassinés ou éjectés du pouvoir. Actuellement, nous n’avons pas vraiment de leader qui fédère tout le monde. J’espère qu’un jour quelqu’un va sortir du lot et prendra position. Je le souhaite pour l’avenir de l’Afrique.

Bien des années après les indépendances, l’Afrique ne s’exprime toujours pas d’une seule voix. Comment y remédier ?

Je pense d’abord qu’il faut impliquer les populations. Il faut leur expliquer l’importance de l’Union africaine en tant qu’organisation et de l’Unité africaine en tant que concept. Et au-delà, dire les avantages concrets qu’on peut en tirer. Souvent quand il y a les réunions de l’Union africaine en Éthiopie, au lieu de parler des vrais problèmes, l’immigration, la situation des populations, des dirigeants discutent de lobbying, des pays dont ils aimeraient bien se rapprocher, ou au contraire s’éloigner. Tout est devenu question d’intérêt économique et politique. Il faut que ça change. Il faut parler de l’indépendance. Il faut utiliser la musique à travers le continent pour parler aux populations et leur dire que si nous devenons un jour les États-Unis d’Afrique, avec 54 pays, avec la force touristique du Maroc, avec le café-cacao de la Côte d’Ivoire, avec l’or de la Guinée, avec le potentiel de l’Afrique du Sud, du Mali, nous serons plus puissants. Si on se met tous ensemble, les États-Unis et l’Europe se tourneront vers nous pour nous demander notre avis quand ils s’apprêteront à prendre les grandes décisions dans ce monde. Tant qu’on restera divisé, nous ne serons pas écoutés, et nous n’y gagnerons rien. Le Maroc est le seul pays à porter sa voix à un certain niveau aujourd’hui en Afrique.

En Afrique subsaharienne, 70 % de la population a moins de 30 ans. Quel message souhaitez-vous transmettre à ceux qui risquent leur vie dans des bateaux de fortune en direction de l’Europe ?

L’Afrique est le continent de l’avenir, et tout reste à faire. C’est très regrettable que ces jeunes décident de quitter leur maison pour un ailleurs qu’ils pensent prometteur. S’ils s’en vont, qui viendra pousser nos dirigeants à être plus démocrates ? Qui aidera le continent à se développer. Au temps de nos ancêtres, il n’y avait pas de visa et ils se sont battus pour affronter l’esclavage et faire en sorte que nous puissions vivre dans un continent libre. C’est nous qui décidons de notre avenir. Cette force, il faut la préserver. Nous avons un champ, mais il faut trouver le moyen de le cultiver. L’Afrique est un continent merveilleux, où il y a de la place, où il fait beau. Même si c’est difficile, il faut surmonter les barrières. À nous de continuer ce combat. L’avenir est pour nous et rien ne se fera sans nous.

Quel est le message que vous souhaiteriez diffuser ?

Il faut être fier d’être africain et aimer ce continent. Dans mon nouvel album We Love Africa qui sort début 2018, j’évoque les atouts de l’Afrique. Dans cet album, je parle de ces petits bonheurs que nous avons et dont nous n’avons pas conscience. Nous devons être prêts à mourir pour l’Afrique qui est notre berceau et celui de l’humanité tout entière.

  
PROPOS RECUEILLIS PAR NOTRE ENVOYÉE SPÉCIALE À ESSAOUIRA, GHIZLAINE BADRI
Publié le 26/07/2017 à 18:31 | Le Point Afrique

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