Tiebilé Dramé sur RFI

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” Il se trouve que depuis sept mois, nous assistons à des déclarations contradictoires sur la question du nord [du Mali]. Un jour, nous ne négocierons pas avec les groupes armés, un autre, on nous oblige à négocier avec des hommes qui ont pris des armes contre leur pays”

 

            Au Mali, cela fait un peu plus de sept mois que le président Ibrahim Boubacar Keïta a été élu à la tête de l’Etat. C’est le temps qu’il aura fallu à Tiébilé Dramé, président du Parti pour la renaissance nationale (Parena), ancien ministre, ancien candidat à la présidentielle et aujourd’hui l’une des principales figures de l’opposition au Mali, pour s’exprimer publiquement. Résultat : une dénonciation très féroce de la gestion de ces premiers mois du président IBK à la tête du Mali. Famille du président, affaires politico-économiques, crise au Nord. Tiébilé Dramé est l’invité d’Afrique matin. Il répond aux questions de David Baché à Bamako.

 

RFI : Dans un document de neuf pages, votre parti, le Parena, attaque de manière très virulente la gestion des affaires de l’Etat malien par le président de la République Ibrahim Boubacar Keïta. Vous dénoncez notamment des atteintes à la morale publique et l’irruption de la famille dans les affaires de l’Etat. A quoi faites-vous référence précisément ?

Tiébilé Dramé : Je relève d’abord que ce n’est pas une attaque virulente. C’est un document qui a été préparé avec beaucoup de modération, avec le souci d’être le plus près des faits. Tous les Maliens savent aujourd’hui qu’il y a en effet une irruption sans précédent de la famille du président dans les affaires du pays.

Des pans entiers de la puissance publique ont été confiés aux membres du clan présidentiel, selon le document du Parena qui cite notamment le gouvernement ou l’Assemblée nationale. A qui pensez-vous précisément ?

Le Parena ajoute la présidence de la République. Nous ne voulons pas entrer dans des questions de personnes. Justement nous voulons que la gouvernance actuelle sorte de cette question de personnes. Disons simplement qu’il n’est pas sain que les membres de la famille présidentielle soient à ce point présents dans les affaires de l’Etat.

Votre parti pointe aussi des contrats relatifs à des marchés de plusieurs dizaines de milliards de francs CFA, signés en toute opacité, avec des soupçons d’enrichissement personnel. Vous dénoncez par exemple un contrat de fourniture d’équipement passé avec le ministère de la Défense ?

La presse malienne avait rendu public, il y a quelques semaines, l’un des documents publics, signé par l’un des membres du gouvernement et un conseiller du président de la République, qui portait déjà sur près de 70 milliards de francs CFA. D’autres informations sont venues par la suite, [comme le fait] qu’il y ait eu un avenant à ce contrat portant jusqu’à 108 milliards de francs CFA. Nous disons que tout cela se passe en toute opacité sans observer les règles de base de passation des marchés publics, et qu’il y a là un problème.

La rénovation du palais présidentiel de Koulouba se ferait également, selon vous, dans des conditions douteuses…

Le palais avait été détruit pendant le coup d’Etat de mars 2012. Déjà sous la transition, il avait été envisagé de le rénover à partir d’un budget initial de 2 milliards. Les informations qui circulent aujourd’hui laissent croire que ce budget a été multiplié par trois ou quatre. Tout cela demande qu’on en arrive à des pratiques beaucoup plus orthodoxes.

La présidence vient d’acquérir un nouvel avion pour 17 milliards de Francs CFA, une acquisition que vous dénoncez là encore. Où est le problème ?

Le problème d’abord, c’est que le Mali avait un avion présidentiel qui a été acquis sous l’ancien président ATT [Amadou Toumani Touré, ndlr] et qui semble être en état de marche. Nous constatons que cet avion n’est pas utilisé. Nous avons constaté que le président procédait à la location d’avions Falcon. Et par la suite, à l’acquisition d’un nouvel avion présidentiel mais sans aucune information, ni envers l’Assemblée nationale, ni envers l’opinion publique. Dans quelles conditions cela s’est-il passé ? Y a-t-il eu appel d’offres ? Non, il y a peut-être d’autres priorités que l’acquisition d’un deuxième avion présidentiel.

Vous faites aussi allusion à l’affaire Tomi, soulevée par le journal français Le Monde [du 23 mars 2014, ndlr] et qui révèle les liens existants entre le président IBK et l’homme d’affaires français Michel Tomi. Aujourd’hui vous attendez des explications de la part du chef de l’Etat ?

Nous ne nous réjouissons pas des informations qui ont été publiées par la presse internationale, qu’elles soient vraies ou fausses. Ces allégations sont de nature à affaiblir l’institution présidentielle dans notre pays. Nous invitons le chef de l’Etat, dans le respect de la présomption d’innocence, à donner des éclaircissements au peuple malien. Des journaux étrangers ont dit que certains de ses voyages à l’extérieur ont été pris en charge par des hommes d’affaires étrangers. Nous demandons qu’il donne des éclaircissements le plus tôt possible, qu’il rassure les Maliens.

Dans un tout autre domaine, vous dénoncez la panne du processus politique de stabilisation dans le Nord. Ce sont les autorités maliennes qui sont fautives ?

Elles ont une plus grande part de responsabilité que des groupes rebelles. Il se trouve que depuis sept mois, nous assistons à des déclarations contradictoires sur la question du Nord. Un jour, ” nous ne négocierons pas avec les groupes armés “, un autre jour, on nous oblige à négocier avec des hommes qui ont pris des armes contre leur pays. Et plus récemment, nous disons que nous sommes prêts à négocier et sept mois durant, nous n’avons vu que des déclarations qui se contredisent. Nous ne voulons presque plus de la médiation de la Cédéao [Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest]. Nous voulons la facilitation de l’Algérie. Nous accueillons favorablement les bons offices du Maroc. Manifestement, il y a un manque de lignes directrices dans la gestion de la crise du Nord. C’est la question la plus grave du pays. Elle a besoin d’une stratégie clairement conçue et mise en œuvre avec la fermeté nécessaire. Nous donnons l’impression de traîner les pieds. Ce n’est pas acceptable.

David Baché

(Lundi 21 avril 2014)

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