A l’issue de son voyage en France, où il a rencontré son homologue Alain Juppé et le ministre de l’Intérieur Claude Guéant, Soumeylou Boubèye Maïga était l’invité de la chaîne française de télévision France 24. Il a tour à tour abordé la question d’AQMI, la collaboration entre les pays concernés pour des actions concertées, les interdictions faites aux voyageurs par la France, la crise libyenne, le dénouement en Côte d’Ivoire, etc.
Vous vous êtes entretenu avec le chef de la diplomatie française, Alain Juppé, notamment de la lutte contre AQMI. On rappelle que les terroristes opèrent dans toute cette zone sahélo-saharienne et dans le Nord du Mali notamment. Tout d’abord
Monsieur le ministre, pensez-vous que la mort d’Ossama Ben Laden va inciter les terroristes d’AQMI à se venger? Craignez-vous des représailles?
SBM: C’est possible. Nous craignons surtout qu’il y ait une forme d’auto-radicalisation qui peut effectivement amener certains éléments à considérer qu’ils doivent venger la mort de celui qui les inspire. Moi, j’ai tendance à considérer personnellement qu’AQMI n’a pas les moyens d’entreprendre une action de représailles contre nos Etats, dans la mesure où j’ai toujours considéré que c’est un groupe qui est plutôt à la frontière du banditisme que du message religieux. Et, quand vous considérez tout ce qui s’est passé jusque là, leur action ne porte pas sur le prosélytisme, même si c’est ce qui fonde normalement leur création. Je ne pense pas qu’ils aient la capacité de le faire. Nous devons tout de même rester vigilants, parce que la tentation d’auto-radicalisation peut porter des groupes comme des personnes isolées.
Les Maliens ont été souvent accusés de ne pas suffisamment coopérer avec les pays de la région. Je pense notamment à la Mauritanie, au Niger ou à l’Algérie. On a longtemps considéré le Mali comme un maillon faible dans cette coopération. Aujourd’hui, vous vous engagez à plus de coopération. Vous avez d’ailleurs rencontré vos homologues de Mauritanie, du Niger et de l’Algérie. Comment va se passer cette coopération sur le terrain qui arrive enfin ?
SBM : Je voudrais dire que nous n’avons jamais accepté les accusations d’être le maillon faible. Nous avons toujours considéré que, dans le cadre des menaces transnationales et transrégionales, les aspects les plus délicats se situent au niveau de l’articulation entre les priorités nationales, les partenaires régionaux et la nature des partenaires. Et, quand vous regardez bien, aucun pays n’a la même attitude, parce que les réalités ne sont pas pareilles. Il n’y a pas eu d’actions sur notre territoire sur lesquelles nous n’avons pas intervenu. D’abord, nous avons accordé le droit de suite à tous nos voisins. Ensuite, à chaque fois que nos voisins ont exercé ce droit de suite, nous leur avons apporté, chaque fois que cela a été possible, une assistance logistique. Et nous avons pu mettre en place, au niveau de nos quatre pays, le Niger, l’Algérie, la Mauritanie et le Mali, un état-major conjoint à Tamanrasset. Nous avons pu mettre en place une coordination entre nos services de renseignements. Et, depuis un an que ces structures travaillent, elles ont atteint une capacité de planification, une capacité d’identification des actions coordonnées à mettre en place qui nous permet aujourd’hui d’envisager des actions mieux coordonnées, plus complémentaires, plus cohérentes. Je pense que nous allons bientôt procéder à cette phase opérationnelle là.
Vous souffrez économiquement en ce moment. On rappelle que le Mali est un pays touristique. Mais, aujourd’hui, les touristes sont plus rares dans le pays. La France notamment déconseille aux voyageurs de se rendre au Mali, par crainte justement du terrorisme. Est-ce que vous considérez que c’est démesuré?
SBM : Nous avons considéré que c’étaient des mesures démesurées, disproportionnées, quelquefois unilatérales. Tout notre argumentaire auprès de nos partenaires, c’est de dire que nous comprenons leurs préoccupations. Ce que nous souhaitons, c’est pouvoir mettre en place un cadre de concertation au sein duquel nous pourrions examiner les informations dont ils disposent, les analyser ensemble et les évaluer. Autrement, nous aboutirions au paradoxe que la France, qui est notre quatrième bailleur bilatéral, nous donne des ressources importantes, en particulier pour les régions qui constituent un peu les symboles de notre coopération, mais que nous ne puissions pas les utiliser, parce que, précisément, les acteurs qui sont chargés de porter ces projets et de les mettre en œuvre ne pourront pas y être. La première conséquence du retrait est un mauvais signal, parce que c’est comme un manque de confiance dans la capacité de l’Etat Malien.
Est-ce que l’Etat malien dispose aujourd’hui de moyens pour lutter contre ces terroristes, qui sont disséminés sur une étendue qui est quand même très importante?
SBM : Nous nous sommes dotés des dispositifs adéquats pour faire face aux exigences de sécurité de notre territoire, en complémentarité avec nos voisins. Nous allons déployer bientôt des patrouilles sur nos différentes frontières et sur les différents sites, pour sécuriser nos ressortissants d’abord, mais sécuriser aussi ceux qui viennent travailler chez nous et visiter le Mali et sécuriser aussi les projets de développement. Dans cette épreuve, nous avons dit à nos amis français qu’ils ont un devoir de présence permanente à nos côtés, nous devons faire face ensemble à ces questions.
Et comment la France peut-elle vous aider?
SBM : La France peut nous aider d’abord en restant. Le fait de rester est un signe de confiance. Et c’est très important, parce qu’à chaque fois que la France se retire, ce mouvement entraine le retrait d’autres acteurs. Et, comme dans ces régions le développement est essentiellement financé par des ressources extérieures, nous nous trouvons dans une situation où il n’y a plus d’activités économiques, laissant par là-même les populations plus ou moins contraintes de se compromettre ou de se soumettre aux groupes dont nous voulons arrêter l’influence.
Est-ce que vous êtes inquiets pour nos otages, pour ces quatre Français qui sont aux mains d’AQMI?
SBM : Franchement non. Je pense que, pour eux comme pour les autres, différents canaux travaillent à obtenir leur libération…
Dont le Mali…
SBM : Dont le Mali. Le Mali a toujours apporté son concours, à chaque fois que cela lui a été demandé. Et même quand cela ne lui a pas été demandé.
Vous participez aux négociations?
SBM : Pas personnellement, mais nous avons des services qui participent aux négociations.
Et vous n’êtes pas inquiet?
SBM : Non, je ne suis pas inquiet.
Un mot sur ce conflit qui secoue l’Afrique, la Libye. Est-ce que vous soutenez l’action de la coalition?
SBM : Avec nos amis français nous avons des convergences très fortes sur deux choses. La première chose, c’est qu’il faut une solution politique. La deuxième chose, c’est que ce sont les Libyens qui doivent décider de l’identité de ceux qui doivent les diriger. A partir de là, il faut trouver la méthodologie pour y arriver. Nous avons bien compris qu’il y a une jonction qui est faite entre l’instauration éventuelle d’un cessez-le-feu et l’amorce d’un processus politique, avec, au centre, toutes les préoccupations que nous avons entendues concernant le statut ultérieur du Colonel Kadhafi.
Est-ce que vous soutenez l’intervention militaire de la coalition?
SBM : Nous pensons que l’intervention militaire déborde actuellement du cadre de la résolution. Elle se prolonge. Elle vise apparemment des cibles qui ne sont pas celles qui devraient l’être. Plus elle se prolonge, plus elle rend difficile une solution politique entre les acteurs. Donc nous pensons qu’il est probablement temps d’observer une pause et donner plus de chances à la négociation politique ?
Vous ne la soutenez pas, en d’autres termes…
SBM : Nous avons des réserves.
La Côte d’Ivoire est un autre pays qui a connu une grave crise politique. Est-ce que, là aussi, vous considérez que l’intervention de la France et des Nations Unies est un signal positif qui a été envoyé? Est-ce que c’était nécessaire, est-ce que c’est un signal pour les autres pays africains, car ils sont nombreux à voter cette année ?
SBM : La France est intervenue quand même dans le cadre des résolutions des Nations Unies. Et nous considérons que c’est une bonne chose pour la démocratie, malgré le prix fort élevé qui a été payé, que le Président Ouattara ait pu être finalement installé dans ses fonctions. Autrement, il aurait été inutile d’organiser des élections. Et je dois dire qu’à l’échelle de l’histoire, malgré les drames, malgré les douleurs, nous pensons que la démocratie se renforce en Afrique, comme ce qui s’est passé en Guinée, au Niger, en Côte d’Ivoire. Je crois que tout cela participe du renforcement de la démocratie. Comme je l’ai dit, à l’échelle de l’histoire, l’on verra bien que ce sont des phases malheureuses. Mais, le plus important, c’est que les gens restent fermes sur les principes démocratiques.
Justement vous parlez d’élections. Le Mali est quand même un modèle. Le Président ATT va quitter le pouvoir en 2012 et prévoit de modifier la Constitution. Est-ce qu’il envisage de modifier l’article de la Constitution qui lui permettrait de se présenter une troisième fois?
SBM : Non. Les réformes institutionnelles envisagées ne touchent pas du tout l’article sur la limitation du mandat.
Donc c’est très clair, il ne se représentera pas?
SBM : C’est très clair. Je pense que l’important en Afrique, c’est vraiment de faire en sorte que les gens puissent avoir une autre vie, en dehors du pouvoir. Et la seule manière d’y arriver, c’est de ne pas considérer les fins de mandats comme des fins de règne. C’est de pouvoir, à ce moment là, malgré la gravité de la fonction, malgré tous les intérêts qui peut y avoir autour, rester proche des préoccupations des populations, rester conforme aux engagements qui ont été pris auprès des citoyens. Je crois que c’est la seule manière pour nos chefs d’Etat de pouvoir envisager demain une vie sans danger personnel.
On vous prête des ambitions présidentielles. Est-ce que vous serez candidat à l’élection présidentielle de l’année prochaine?
SBM : Pour le moment, je me consacre à mes tâches actuelles. L’élection présidentielle, c’est l’année prochaine. Je crois que, le moment venu, chacun pourra dire ce qu’il va faire.
Source MAECI