Soumeylou Boubèye Maiga, se confie au Jeune indépendant : «Le Sahel est au centre de beaucoup d’intérêts»

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La diplomatie malienne n’a visiblement pas perdu son sang-froid face à la situation dans le nord du Mali et les sous-entendus politiques nombreux qui ont alimenté les commentaires sur les causes de la résurgence de la violence dans cette partie du pays. C’est un ministre des Affaires étrangères serein, malgré la gravité de la conjoncture, qui a bien voulu répondre à nos questions en s’abstenant de rajouter du drame là où il y en a manifestement assez. De Bamako, entretien…

Le Jeune Indépendant : La coopération entre le Mali et l’Algérie semble se renforcer de plus en plus en ces temps difficiles. Conjoncture ou stratégie durable ?

Soumeylou Boubèye Maiga : Je pense que cela relève d’une réalité fondamentale, que les liens entre l’Algérie et le Mali reposent sur la géographie et  ’histoire. C’est la deuxième frontière la plus longue que nous partageons avec les pays voisins. Cela signifie aussi qu’il s’agit pratiquement des mêmes populations avec le Hoggar qui est un prolongement de l’adrar. Comment ne pas rappeler le soutien franc du Mali à la guerre de libération algérienne qui a permis au FLN d’ouvrir un front sud avec un PC installé à Gao ? Je me souviens que la demeure de l’actuel président algérien, son Excellence Abdelaziz Bouteflika, se situait à300 m de chez nous. Je revois dans mes souvenirs d’enfance l’uniforme vert olive que portaient ces hommes du FLN. Un flux permanent, sans oublier la médiation assurée par notre président Modibo Keita en 1963 mettant fin, par une réconciliation entérinée à Bamako, à la guerre dite des sables entre l’Algérie et le Maroc. C’est une amitié jamais contrariée qui unit nos deux peuples. Aujourd’hui, on peut même regretter qu’il n’y ait pas plus de relations économiques à la hauteur de notre amitié.

Comment expliquez-vous la faiblesse des relations économiques ?

Par diverses contingences qu’il serait un peu laborieux d’énumérer ici, mais ce qu’on peut retenir, c’est que nous sommes déterminés à développer et à diversifier les échanges dans une perspective dépassant les intérêts économiques, en les intégrant dans une dimension géopolitique et géostratégique.

A propos d’échanges et de coopération, il y a eu cette annonce récente d’une aide octroyée par l’Algérie aux réfugiés en mouvement depuis le début des troubles dans le nord du Mali… Qui concerne-t-elle ?

Cette aide est destinée aux populations déplacées à l’intérieur du pays et aux pays voisins où se sont réfugiées ces familles fuyant la violence des attaques du MNLA. Nous sommes tenus informés de la répartition de l’aide qui obéit à un devoir de solidarité et à un souci d’efficacité sur le terrain. Ce n’est pas nouveau, l’Algérie a toujours fait preuve de solidarité, voire de générosité envers le Mali, comme par exemple lors du retour des populations de Libye conséquemment aux bouleversements qu’a connus ce pays.

On explique justement la crise du nord du Mali par le retour des Touareg maliens, leur base arrière en Mauritanie et autres négligences périlleuses de pays voisins… Votre pays a-t-il déclenché une offensive diplomatique auprès des pays du champ pour mener cette guerre transfrontalière comme l’a définie  le  président ATT (Amadou Toumani Touré, NDLR) ?

La guerre transfrontalière, ou plus précisément la guerre transnationale, a pour objectif de répondre aux menaces qui pourraient toucher nos pays, tels le terrorisme et les pratiques mafieuses. Nous avons réussi à mettre en place une politique commune face à la menace, après des différences dans l’approche, des divergences désormais dépassées. Grâce à cette convergence, nous avons d’abord pu mettre en place l’état-major conjoint à Tamanrasset, il y a aussi la structure du CEMOC. On a mis le temps qu’il a fallu et cela a peut-être permis à la subversion d’en profiter, mais on y est parvenu pour une lutte contre le terrorisme qui se fait de plus en plus efficace. Concernant le problème créé par le MNLA, nous savons le gérer. A l’Algérie de faciliter les contacts dans un cadre de rencontre entre les différentes parties pour amorcer un dialogue sur les questions mises en avant …

Les questions mises en avant ? Vraiment ? Même celle de l’indépendance de…

Non ! Quand je dis «questions mises en avant», cela veut dire, surtout, la problématique du développement pour rappeler que l’Etat malien reste disposé à écouter les revendications qui ne transgressent pas la règle du non-recours à la violence ou les sacro-saints principes de l’unité nationale et de l’intégrité territoriale du Mali. Nous serons très réceptifs aux revendications socioéconomiques et à celles portant sur la gouvernance locale, comme nous pouvons l’être pour l’ensemble des régions du pays. Un dialogue entre Maliens avec comme base de travail le Pacte national et l’Accord d’Alger, sachant que ces textes peuvent et doivent être actualisés en fonction de nouveaux paramètres…

Vous faites allusion aux unités spéciales qui devaient, selon l’accord de 2006, sécuriser la région lors du retrait de l’armée nationale du nord du Mali ?

On y réfléchissait effectivement lorsque sont survenus d’autres événements, à l’instar du terrorisme et du retour des militaires binationaux de Libye et puis, les hostilités déclenchées maintenant par le MNLA…

Il y aurait donc un distinguo entre les terroristes et le MNLA alors que des déclarations officielles invoquent des liens étroits, des complicités…

Vous savez, leurs activités se déroulent sur le même théâtre. Il est donc évident que  cela a créé des connexions et des collusions. Nous observons des fusions sur certains aspects ou dans le mode opératoire. Les tragiques événements d’Aguelhoc où des jeunes Maliens ont été suppliciés en sont l’illustration. Cette interconnexion du crime ne nous empêche pas d’accorder un traitement spécifique politique à la guerre que nous ont imposée les hommes du MNLA.

Pour revenir à la réaction transnationale, avez-vous rappelé à l’ordre ou sensibilisé la Mauritanie à propos de l’utilisation de son territoire comme zone de repli ou d’asile pour  les rebelles ?

La Mauritanie, je vais m’y rendre bientôt. Tous nos pays voisins partagent le souci de ne pas encourager des velléités séditieuses s’appuyant sur une base identitaire. Ce serait jouer avec une dangereuse menace pour tous nos Etats. D’ailleurs, à chaque rencontre bilatérale, les principes de l’unité nationale sont réaffirmés comme intangibles. Tous les incidents qui peuvent défier ces principes ne sont pas subjectivement organisés ou planifiés.

Nous sommes dans un espace qui n’est pas étanche avec des populations communes, comme je vous le disais plus haut, et nous devons gérer des flux humains et matériels  continus comportant une part de vecteurs menaçants. Il faut donc, face à ces difficultés, afficher une solidarité sans faille. Voilà pourquoi nous nous efforçons de dédramatiser les séquences négatives de notre voisinage face aux différentes menaces. C’est dans cet état d’esprit que je compte d’ailleurs me rendre prochainement en Mauritanie.

D’autres intervenants, invisibles, dans le Sahel ?

Le Sahel est au centre de beaucoup  d’intérêts, d’enjeux régionaux et extrarégionaux. Tous ceux qui estiment que leur sécurité peut se voir affecter par les activités  criminelles qui s’y développent veulent, avec une certaine légitimité, s’intéresser à cet espace. Nous, nous disons que la sécurité relève de nos pays avec un travail  qui doit s’effectuer en bénéficiant de la coopération internationale en matière d’appui technique, logistique et de renseignement.

Le ministre français des Affaires étrangères, Alain Juppé, en visite ces derniers jours à Bamako, a déclaré qu’»il n’y aurait pas de solution militaire» dans ce conflit. Cette phrase a suscité une vive polémique, notamment dans la presse malienne. Qu’en pensez-vous ?

Encore une fois, permettez-moi de dédramatiser une phrase peut-être sortie de son contexte. Que la solution ne soit pas «militaire », nous sommes d’accord, car il ne saurait y avoir du côté de l’Etat un conflit armé avec des citoyens maliens. Le Mali tient à son processus de démocratisation des mœurs. La démocratie est irrémédiable et il n’y a pas de tabous nous empêchant de dialoguer en traitant toutes les questions dans le cadre de la libre expression. C’est pourquoi les revendications du MNLA ne peuvent pas justifier le recours aux armes. C’ est pourquoi nous estimons que c’est une action illégitime par les acteurs mobilisés et par la nature des moyens utilisés.

Mis à part les pays de la région, la France et la Russie tout récemment, la communauté internationale ne semble pas s’intéresser à ce drame qui se déroule dans le Nord malien… La  situation en Syrie occulterait-elle cette guerre fratricide du nord du Mali ?

Il y a cette donnée dans la mondialisation de l’information qui ne se fait pas toujours selon des critères rationnels, mais je peux souligner qu’en réalité il y a eu des réactions. L’Union européenne a condamné le recours à la violence et a manifesté son attachement à l’intégrité territoriale du Mali en appelant au dialogue. Pareil pour Ban Ki-moon qui a aussi appelé les rebelles à cesser leurs attaques contre l’Etat, en exhortant aussi au dialogue, tout en exprimant le souhait que le processus démocratique malien soit maintenu.

Nous avons aussi entendu des voix se saisir de la situation au Nord du Mali pour soupçonner le pouvoir en place de vouloir reporter les élections présidentielles…

Le président dela Républiques’est clairement exprimé à ce sujet. Il n’a ni la volonté ni aucun intérêt à reporter les échéances électorales.

En cas de dialogue, qui accepterez-vous comme interlocuteurs à la table des négociations ?

Nous accepterons de dialoguer avec tous ceux qui sont intéressés par la situation et sont soucieux de revenir à des échanges pacifiques entre frères maliens. Bien entendu qu’il y aura des individus qui voudront profiter de cette porte ouverte pour affirmer leur promotion interne dans la région en s’imposant comme négociateurs, mais nous veillerons à ce que le dialogue soit le plus réaliste et le plus inclusif possible et apporte des promesses de développement pour en finir avec cette crise et la violence inacceptable.

Etes-vous optimiste quant à un retour assez rapide de la paix ?

Oui, nous sommes dans une phase de plus grande prise de conscience des enjeux et des moyens internes et externes, plus importants que jamais, sont investis pour arriver à une stabilisation pacifique de la région. La sécurité est devenue le premier des enjeux pour les Etats. Ils sont déterminés à surmonter ce genre de conflits qui menacent la cohésion nationale entre les communautés et ternissent l’image des pays.

Entretien réalisé par Nordine Mzalla

 

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2 COMMENTAIRES

  1. Non on ne négocie pas avec des criminels!

    En 51 ans d’indépendance, la nation malienne vit la question Touareg à travers les guerres de rébellion à répétition  comme un drame qui meurtrit son cœur.
    Au Sud, aussi très pauvre rappelons le, on n’a du mal à comprendre la persistance d’une attitude belliqueuse et d’une haine viscérale qui sévit au nord contre la nation malienne, malgré le pacte national, l’agence du développement du nord, ADN, la flamme de la paix, les vastes programmes d’intégration à l’armée, et de recrutement dans la fonction publique et des services déconcentrés de l’état (souvent sans diplômes et sans compétence) des ressortissants du nord, le Pspsdn (programme spécial pour la paix la sécurité et le développement au nord),…

    C’est vrai que les impacts et les retombées de ces programmes et actions sur les conditions de vie des populations du nord se font attendre. 

    Mais c’est tous nos compatriotes au nord qui vivent les mêmes conditions de mal vivres de la même manière qu’ils soient Touareg, peuls, Behlla, arabe, sonrhai, ou autres.

    Il y a longtemps qu’on devrait faire l’audit des actions entreprises au nord pour le développement pour savoir pourquoi les programmes mis en oeuvre sont aussi inefficaces à  changer le quotidien de nos compatriotes du nord.

    Mais la responsabilité dans ce manque de vigilance incombe d’abord aux ressortissants du nord car après le départ d’Alpha sur les dix ans du régime ATT, ils ont fait au moins  quatre ans au pouvoir.

    Tour à Tour, Ag Amani, Ousmane Issoufi Maiga, Mariam Kaidama Sidibé, trois chef de gouvernement sur quatre du régime ATT viennent du Nord.

    Mieux, toutes les circonscriptions du nord sont représentées à l’assemblée nationale (où elles peuvent à tout moment interpeller les ministres et le gouvernement sur toutes les  questions touchant leurs circonscriptions) avec en prime un vice président de l’assemblée national et un président du haut conseil des collectivités territoriales sans compter les ministres et autres cadres ressortissants du nord.

    Il ya eu une démission collective des leaders à répondre efficacement aux aspirations du peuple malien, mais la responsabilité des problèmes du développement du nord incombe plus aux ressortissants du nord que quiconque. 

    Je n’ose même pas imaginer le boom du développement que Banamba et les autres villages Sarakolés de la région de Kayes auraient fait s’ils avaient bénéficié du même  armada de dirigeants et de programmes  pendant la même période.

    Alors le développement n’est pas arrivé au nord mais il n’est pas non plus clinquant au sud. Le gâchis nous a avons tous plein la figure.

    Le traumatisme des guerres précédentes, les rivalités entre les communautés du nord, ont marqué des générations entières de nos compatriotes au nord à telle enseigne que ce n’est plus le nord mais les nords qu’il faut voir.

    Puisque ces populations sont loin d’avoir la même vision, les mêmes attitudes et les mêmes préoccupations quoi qu’elles vivent sur le même territoire. 

    Nous avons de très bons citoyens au nord (touareg, arabe, sonrhai, peul, behla,  et autres) très attachés à la république malgré leurs conditions de vie difficiles.

    Mais nous avons aussi des bandits de grands chemins qui ne respecteront rien même si notre niveau de développement atteint celui du Canada. 

    Mais franchement pendant tout le temps que certains d’entre eux côtoient Khadafi et ses montagnes pétrodollars qu’est-ce qu’ils ont fait pour changer les vies à Kidal, Menaka, Abeibara, Andaramboukane, Aguelhoc, Tessalit… “Reponsez moi”?

    Ce sont ces personnages qui ont aujourd’hui pris les armes contre nous.

    Pour qui connait la bande à Najim, Ag Ghali, et autres Bamoussa, il n’y a aucune autre alternative viable que la solution militaire, et l’armée malienne va s’affirmer.

    C’est cette fermeté qu’a   manqué le régime ATT face à des énergumènes écervelés de la trame d’Ag Bahanga.

    Ceux qui s’activent à trouver autres solutions que la solution militaire ne le font pas pour le bien et la quiétude du peuple malien.

    Car aujourd’hui si on négocie sur Kidal il faudrait pas s’étonner demain que ce sera sur Mopti et Ségou. 

    Cela est tout simplement inacceptable. 

    Car si le problème du nord est une maladie de la nation malienne, le laxisme d’état, les compromis et compromissions aux détriment de la majorité de ceux qui vivent au nord, en sont de dangereux calmants et non des vaccins.

    Malheur et drame à celui qui essaie de négocier avec ces malfrats de grands chemins au nom du peuple malien!

    Aux pseudos chercheurs de  négociation et de cessez-le-feu, je dis NO, NO, NO.

    Pour reprendre les termes de Margaret Thatcher  qui est l’incarnation même de la fermeté et de la rigueur en politique.

    Toute chose qui a manqué au Mali depuis longtemps et dans tous les domaines.

    1 franc voté pour le nord doit être 1 franc effectivement investi au profit de toutes les populations du nord.
    Sur 1 millimètre du territoire malien où qu’il soit, force doit revenir à la loi. 

    Telle est la seule politique qui vaille pour que le nord du Mali soit un havre de paix et que le Mali puisse se tourner vers son développement harmonieux.

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