Au lendemain de sa libération, Soumaïla Cissé, le leader de l’opposition malienne, a accordé un entretien exclusif à RFI. Il avait été kidnappé le 25 mars dernier, alors qu’il était en campagne pour les législatives dans son fief électoral de Niafounké, dans la région de Tombouctou, dans le nord-ouest du Mali.
RFI : Soumaïla Cissé, Bonjour. Comment vivez-vous ces premières heures de liberté à Bamako ?
Soumaïla Cissé : Bonjour madame. Vous savez, on a énormément de soulagement, on vide la tête de toutes les peines, de toutes les inquiétudes, tous les doutes. Aujourd’hui, c’est avec bonheur que je retrouve ma famille, bien sûr, et mes amis, et que j’ai le sentiment de revenir dans mon pays. Ce sont des moments très forts et j’ai senti après moi beaucoup de solidarité que ce soit des jeunes, des femmes, des autorités. Et au-delà du Mali, d’autres pays. Et au-delà de l’Afrique, d’autres continents. Et vous savez, depuis que je suis là, ma maison de désemplit pas, et hier je me suis couché il était presque 5 heures du matin et il y avait encore du monde. Donc, c’est vraiment une sorte de renaissance pour moi. Je pense que cela m’aidera à oublier très vite ces six mois. C’était quand même assez difficile.
Vous êtes apparu plutôt en forme…
Je suis plutôt en forme, je pense même que j’ai pris quelques petits kilos… voilà, contrairement à ce que les gens pensaient. Non, physiquement il n’y a pas de problème, moralement il n’y a pas de problème. Je m’en suis bien sorti parce que je me suis armé moralement dès le départ : en me disant dans tous les cas, il ne faut pas se laisser écraser et il faut tenir. J’avais une thérapie de choc qui était de boire le plus d’eau possible. Et la deuxième thérapie était de marcher le plus possible. Donc, j’arrivais à faire des marches d’une heure, une demi-heure, une heure… presque tous les jours, tous les matins… Je crois que cela m’a permis de tenir.
Et pendant tous ces mois, est-ce que l’espoir vous a parfois quitté. Est-ce qu’il y a eu des moments très difficiles ?
Il y a toujours des moments difficiles parce que les notions de temps ne sont pas toujours les mêmes. Quand vous êtes pressé d’avoir ne serait-ce une aspirine et que cela prend dix jours, quinze jours, vous voyez un peu… Quand, surtout au début, vous n’avez absolument aucune nouvelle. La radio m’a beaucoup aidé, ça je l’avoue. J’écoutais RFI, beaucoup. J’écoutais Radio Mali des fois, mais j’ai beaucoup écouté RFI. Cela m’a aidé, parce que cela me permettait d’être connecté à tout le monde, savoir ce qui se passe ailleurs. Sinon, vous n’avez personne avec qui -discuter. Et puis, j’étais dans une sorte d’isolement, parce qu’ils vous mettent à côté, sous les arbres quelque part, il n’y a pas de communication, vous n’êtes pas ensemble, vraiment, vous êtes à 100-200 mètres d’eux. Et puis on peut passer toute la journée sans dire un mot à qui que ce soit, sauf le mot qu’ils connaissent tous maintenant, « merci beaucoup ». Ils m’ont amené de l’eau, ils m’ont amené à manger, vous voyez un peu….
Etiez-vous bien traité ?
Oui, je n’ai jamais subi de violences, ni physiques, ni verbales… et avec beaucoup de respect, il faut le reconnaître. De ce côté-là, je peux dire que j’ai été bien traité. Bon, tant que l’on n’est pas libre, on n’est libre, c’est autre chose.
Et où dormiez-vous ?
Ah, il n’y a pas de maison… je n’ai jamais vu une agglomération, je n’ai pas vu une maison. Donc, on dort dehors. Quand il y a de l’orage, on essaie de rentrer quelque part sous un arbre. Et puis, bon, j’ai pris ça plutôt du bon côté… La plupart de ceux qui étaient autour de moi n’étaient pas des décideurs en fait. Des fois il y a eu des très jeunes – quinze ans, dix-neuf ans, et jamais un grand nombre… il y avait quatre personnes, trois personnes. Et puis quand vous changez de lieu… j’ai fait plus de vingt lieux de résidence pendant cette période… et c’est un système très très décentralisé en fait et très atomisé…
Et vous voilà de retour, le président IBK n’est plus là, la transition s’est mise en place. Est-ce que le 18 août vous saviez que le putsch avait eu lieu ou bien vous l’avez appris plus tard ?
Non, je l’ai appris à la radio.
Vous avez été surpris ?
Non, moi en tout cas je n’ai pas été surpris. Je crois que cela ne pouvait malheureusement que se terminer mal.
Est-ce que selon vous le régime précédent en a fait assez pour obtenir votre libération ?
Il y a eu cinq mois avant, je ne sais pas ce qui a retardé. Je sais que négocier n’est pas facile. Pour nous libérer à tous les deux (avec Sophie Pétrolin, ndlr) près de deux cents personnes ont été libérées, maintenant peut-être qu’il y a eu le choix des gens…. Je ne peux pas dire. Vous savez, c’est comme au football, on retient celui qui a marqué le but. Et là, c’est la junte actuelle qui a marqué le but. Celui qui donne la dernière passe, comme on dit la passe décisive, on l’oublie très vite. Donc, aujourd’hui, c’est le régime actuel qui a réussi la libération. Maintenant est-ce que la bagarre derrière a été décisive ? Je crois qu’il faut aussi écouter et leur donner crédit, qu’eux aussi ont voulu faire quelque chose.
200 jihadistes dans la nature, que répondez-vous à ceux qui pensent que c’est un problème ?
Je ne vais pas dire : « ne libérez pas les jihadistes, je veux rester là-bas »… vous comprenez ma position dans ces cas-là. Cela se fait partout dans le monde. En Afghanistan, ils sont en train de le faire ; en Arabie saoudite, au Yémen, ils sont en train de le faire ; dans la Grande Guerre cela a été fait… Mais cela n’enlève pas à chacun, ses valeurs, ses positions et sa volonté d’en découdre.
Comment voyez-vous la situation actuellement ? Quel rôle comptez-vous jouer ?
Bon, actuellement je viens d’arriver, il faut que je prenne contact d’abord avec mes amis politiques, ceux de mon parti, que nous évaluions un peu les choses. On a le temps d’évaluer tout ça, de connaître les gens, parce que je ne les connais pas, d’apprécier un peu les premiers actes qui seront posés, si les choses vont dans le sens où nous-mêmes, nous le souhaitons.
En attendant vous appréciez ces moments de liberté…
Là je fais des interviews… ( rire) … je profite de ma liberté comme vous dites, c’est une bonne chose
Soumaïla Cissé, merci.
Merci infiniment madame. Merci beaucoup.
Source : RFI