C’est en homme averti des institutions internationales, que le Secrétaire permanent (SP) du G5 Sahel dirige l’administration de cette organisation commune créée pour lutter contre l’insécurité et la pauvreté dans l’espace sahélo-saharien. Ancien ministre nigérien des Affaires étrangères, ancien représentant de son pays à l’ONU, Maman Sambo Sidikou fut également représentant spécial de l’Union africaine pour la Somalie (SRCC), Chef de mission de l’Union africaine en Somalie (AMISOM) et représentant spécial du secrétaire général de l’ONU en République démocratique du Congo et ce, après avoir travaillé pour la Banque mondiale à Washington DC, l’Unicef au Nigeria, l’Afghanistan, l’Irak, la Jordanie et pour « Save the Children ». Depuis le 5 février 2019, date à partir de laquelle la présidence en exercice du G5 Sahel a échu au Burkina, cet ancien journaliste multiplie les rencontres avec le président du Faso, Roch Kaboré, sur la feuille de route de cette présidence tournante. Entre deux séances de travail, et de plain-pied dans les préparatifs d’une rencontre avec les responsables de la défense et sécurité qui se tient à Ouagadougou, Maman Sambo Sidikou a bien voulu éclairer l’opinion sur certains volets du G5 Sahel à travers cette interview qu’il nous a accordée dans la soirée du vendredi 8 février 2019, à son pied-à-terre à Ouagadougou.
Lefaso.net : Les attentes des populations de l’espace G5 Sahel sont à la fois nombreuses et fortes, et le Secrétariat permanent est un pilier indispensable pour l’atteinte des résultats escomptés. Le Secrétariat permanent de ce qu’il faut pour jouer pleinement son rôle ?
Maman Sambo Sidikou (M.S.S) : D’abord, il y a une conscience claire de nos ministres (le Conseil des ministres) et des Chefs d’Etat même, que cette organisation, jeune, a besoin de se structurer, de façon idoine, pour faire face aux missions et ambitions fixées à sa création. Ils ont ordonné un audit organisationnel, en cours, qui nous dira à quoi doit ressembler la structure, sur la base des ambitions et des objectifs.
Il y a déjà un diagnostic, qui dit que le personnel est insuffisant, que sur le volet défense et sécurité et sur celui du développement, il nous faut des ressources humaines plus pointues, plus professionnelles. Nous allons nous atteler à cela. Dès que cet audit sera terminé, il sera présenté au Conseil des ministres qui prendra les décisions qui siéent.
Mais, en attendant, sur des domaines aussi essentiels que la capacité de gérer comme il faut les ressources que nous avons, sur la capacité à rendre compte, les ministres ont pris des mesures conservatoires qui nous ont permis d’avoir un auditeur interne, un responsable de passation de marchés, et bientôt, d’autres mesures vont suivre.
Nous avons notamment une dimension développement, pour laquelle, il nous faut une unité de coordination qui devra faire en sorte que dans les quatre axes stratégiques de notre action, à savoir les domaines des Infrastructures, de la Résilience et du développement humain, de la Gouvernance, de la Défense et sécurité, nous ayons les cadres qu’il faut pour mener à bien la mise en œuvre du Programme d’investissements prioritaires pour lequel les fonds ont été annoncés très récemment (le 6 décembre dernier à Nouakchott).
Il s’agit donc essentiellement de renforcer la capacité de notre organisation au niveau des financements, des ressources humaines (parce que vous pouvez disposer de tous les moyens financiers du monde, mais si vous n’avez pas suffisamment d’hommes qu’il faut pour faire tourner la machine, cela ne se passera pas bien). C’est tout cela qui a été discuté avec les chefs d’Etat, et avant eux, avec les ministres, pour que nous avancions vers une structure, un Secrétariat permanent du G5 Sahel plus performant.
Lefaso.net : Dans cet espace en proie à des attaques terroristes, des conflits inter-communautaires, avec leur cortège de victimes, de populations déplacées et de milliers d’enfants hors des classes, etc., sur quel levier faut-il s’appuyer aujourd’hui, en priorité ?
M.S.S : La responsabilité première de tout Etat, c’est la sécurisation de sa population. Donc, le levier principal sur lequel il faut s’appuyer, c’est la sécurisation. Nous avons beaucoup parlé de la nécessité de renforcer les capacités de notre Force conjointe. Ensuite, il faut renforcer la résilience des populations en matière d’infrastructures de base (eau, santé, éducation) ; que les enfants puissent retrouver l’école ou que ceux qui y sont puissent se déplacer moins. Je pense que c’est le principal levier sur lequel il faut travailler.
Donc, sécurisation, avec le retour et le renforcement des symboles de l’Etat. Quand vous observez, la première chose que font les terroristes (ou en tout cas, ces bandits), c’est de s’attaquer aux symboles de l’Etat, et l’école en est un. La gendarmerie, la police… sont des symboles de l’Etat. Donc, il faut s’assurer que cette présence est effective. C’est cela qui renforcera davantage aussi la résilience des populations.
Lefaso.net : Vous êtes un averti des institutions internationales. Quel regard avez-vous de la structuration même du G5 Sahel, qui n’est pas différente des organisations africaines existantes, accusées d’être des instruments politiques aux mains des chefs d’Etat que de servir véritablement la cause pour laquelle elles sont créées ?
M.S.S : Je pense que nos chefs d’Etat ont constaté ce qui se passe ailleurs, parce que leurs pays sont membres de plusieurs institutions. Donc, ils ont voulu éviter une bureaucratie supplémentaire. C’est pour cela qu’ils ont mis en place une structure légère qui, maintenant, a besoin d’être renforcée ; parce que les ambitions ont été augmentées, et pour essayer d’éviter les écueils constatés ailleurs.
Je pense que de ce point de vue, il était important qu’ils disent clairement : nous voulons une organisation qui s’occupe de sécurité, de façon spécifique, avec notamment une Force conjointe qui mène la bataille contre les terroristes, et une institution également qui fait la sécurité par le développement, en apportant aux populations des solutions à tout ce qu’il y a comme besoins essentiels (surtout au niveau des populations les plus vulnérables dans les zones les plus fragiles que sont nos frontières). C’est en cela que le G5 Sahel est unique.
Lefaso.net : N’empêche que nous avons ici également, à l’image des autres institutions africaines critiquées, une « Conférence des chefs d’Etat », qui est l’instance décisionnelle. Cela n’est-il pas une insuffisance qui joue sur l’efficacité du G5 Sahel à répondre aux attentes de ses populations ?
M.S.S : Non, je pense que c’est la marque de la volonté politique de ces Chefs d’Etat qui, malgré tout ce qu’ils ont comme contraintes et calendriers chargés, viennent quand même voir ce qui se passe au niveau du Secrétariat permanent, au niveau du Conseil des ministres et donner des orientations.
A mon avis, c’est essentiellement cela. Nos chefs d’État sont là pour donner l’orientation qu’il faut et c’est un appui essentiel pour le Secrétariat permanent ; parce que ce n’est pas juste une petite machine qu’on a mise là et qu’on oublie.
Lefaso.net : On constate que le volet militaire du G5 Sahel peine à mobiliser des financements, et l’un des défis majeurs, c’est de réussir également à inscrire la Force conjointe sous le chapitre VII de l’ONU. Le piétinement dans les financements de la Force conjointe n’annonce-t-il pas que le combat pour le chapitre VII de l’ONU sera vain ?
M.S.S : Non, pas du tout. Je pense qu’il faut, dans ce genre de situation, marquer sa volonté politique d’avancer et expliquer clairement les enjeux. Aujourd’hui, au niveau du Conseil de sécurité des Nations-Unies, il y a un pays qui, peut-être, a des doutes ou une doctrine qui ne veut pas qu’on aille dans le sens que nous voulons ; tous les autres sont pour notre démarche.
C’est un progrès et il faut continuer à plaider et ensemble, trouver les meilleurs mécanismes pour faire en sorte que les armées africaines, lorsqu’elles vont au combat contre le terrorisme (qui est une responsabilité partagée et mondiale), soient soutenues conséquemment.
Donc, il ne faut pas se décourager et baisser les bras. Si on baisse les bras, cela voudrait dire que nous les déchargeons de leur responsabilité ; ce qui n’est pas normal. Cela voudrait aussi dire que nous-mêmes, ne sommes pas si déterminés comme nous le disons. Donc, nous ne pouvons pas arrêter.
Nous mettrons toujours nos moyens propres, nous renforcerons davantage les capacités opérationnelles de notre Force conjointe, mais nous continuerons également à sensibiliser nos partenaires. Certains vont nous soutenir de manière plus rapide que d’autres, d’autres le feront seulement de manière bilatérale, jusqu’au moment où tout le monde viendra ensemble.
Lefaso.net : Le G5 Sahel peut-il réussir sa mission si son action ne passe pas aussi par un véritable combat pour la bonne gouvernance dans chacun des pays membres ?
M.S.S : La gouvernance fait partie de notre document-cadre de référence la « Stratégie de développement et de sécurité du G5 Sahel » ; y compris le contrôle citoyen, l’implication des jeunes, des femmes, de nos parlementaires, de nos communautés au niveau décentralisé, pour que les Etats soient comptables, redevables auprès des citoyens.
Cette exigence est aussi prise en compte dans la stratégie de la Plateforme des femmes du G5 Sahel, qui a un plan d’action assez précis, y compris leur participation à tout ce que nous faisons. Ça va être le cas aussi avec les jeunes ; une stratégie a été développée, que nous allons discuter et peaufiner avec les jeunes pour définir un plan d’action au niveau des pays et pour tous les jeunes du G5 Sahel (évidemment, ils s’organiseront d’abord).
Donc, effectivement, la gouvernance est la clé, elle est essentielle et fait partie de notre ADN. Mais, la seule façon de s’assurer que la gouvernance est une réalité, c’est de s’assurer que les citoyens sont impliqués dans toutes les étapes de notre activité depuis la phase de réflexion (et c’est ce à quoi nous nous attelons).
Lorsque vous regardez la problématique de la lutte contre la radicalisation, toutes nos stratégies visent à impliquer les différentes composantes de la société, dont les forces les plus vives à savoir, les femmes et les jeunes. Donc, nous sommes d’accord avec vous, la gouvernance est essentielle. Il faut qu’elle soit toujours placée en avant de tout ce que nous faisons.
Lefaso.net : Depuis la conférence de Nouakchott, on observe que le volet développement du G5 Sahel a pris le pas sur le volet défense/sécurité. Doit-on admettre que le G5 Sahel a opéré un revirement ?
M.S.S : Il n’y a pas, comme on le dit, de développement sans sécurité. Mais, j’ajouterai qu’il n’y a pas de sécurité sans développement car lorsqu’il n’y a rien pour les gens sur le terrain, aucune perspective, la tentation est grande de rejoindre les groupes négatifs. Depuis le départ, la stratégie du G5 Sahel a été établie sur la base du Nexus sécurité et développement.
Seulement, l’urgence a fait que le volet sécurité a pris le devant, que la Force conjointe a été mise en place par exemple. Mais, au grand jamais, nous n’avons oublié la dimension développement. Pour réussir, nous devons marcher sur les deux pieds. Il n’y a pas du tout de revirement, il y a simplement une reconnaissance que ce sont deux volets qui doivent être pris ensemble. Il n’y a pas d’autre issue. Cela est vrai dans le Sahel, et c’est aussi vrai ailleurs.
Je peux simplement ajouter qu’aujourd’hui, nous avons aussi répondu à l’urgence sur la dimension développement, qu’un programme de développement d’urgence (PDU) a été mis en place. Ce programme qui coûtera environ 266 millions d’euros va commencer à intervenir au niveau de la fourniture d’ouvrages hydrauliques pour les populations les plus vulnérables et pour le bétail. Un travail important sera aussi mené pour renforcer la cohésion sociale.
Encore une fois, les terroristes travaillent à diviser ; chaque fois qu’il y a un problème lié à une rareté de ressources, ils se glissent et disent que tel groupe est défavorisé par rapport à tel autre. Lorsqu’il n’y a pas de travail de communication, de sensibilisation par toutes les composantes majeures de la société (chefs traditionnels et religieux, femmes, jeunes, etc.), tant que tous ces secteurs ne font pas le travail nécessaire pour préparer les esprits à ne pas tomber dans le piège des terroristes, nous avons un problème.
Voilà en résumé notre programme d’urgence qui commence en ce moment dans chaque pays, avec comme priorités l’eau, la résilience des populations et la cohésion sociale. Donc, il y a eu au niveau sécuritaire une urgence pour mettre en place la Force conjointe et maintenant, nous nous attelons au volet développement (et avec une réponse en urgence pour parer au plus pressé car, comme je le disais tantôt, nous avons par exemple un nombre considérable d’enfants hors école suite à ces attaques, cela exige des réponses urgentes).
Lefaso.net : Dans la même dynamique, quand on parle de développement, d’urgence, on voit tout de suite l’Alliance Sahel.
M.S.S : Absolument, l’Alliance Sahel est un partenaire essentiel aussi ; parce que dès le départ, elle a compris et perçu les préoccupations des chefs d’Etat, de faire en sorte que les populations les plus vulnérables dans les zones les plus fragiles aient accès aux services de base, à commencer par l’eau.
L’Alliance Sahel, ce sont plusieurs membres, dont la Banque mondiale, la Banque africaine de développement, le PNUD et aussi des pays européens. Je pense que nous parlons le même langage, sur la nécessité de l’urgence pour le développement (parce que la sécurité se fera aussi par le développement).
Lefaso.net : Votre message pour l’ensemble des populations de l’espace sahélo-saharien qui s’impatientent.
M.S.S : Que leurs chefs d’Etat sont avec elles, que le Secrétariat permanent est avec elles, nos partenaires nous accompagnent, que nous travaillons à répondre à leurs attentes. D’abord en urgence (nous savons les moments difficiles qu’elles vivent), mais aussi sur le moyen et long termes, pour ce qui concerne les projets de développement plus profonds (relatifs aux routes, au chemin de fer, au transport aérien et concernant tous les projets d’intégration de cet espace G5 Sahel qui est en fait un, de N’Djamena à Ouagadougou). Nous devons faire en sorte que la communauté de destin soit une réalité, perceptible par toutes nos populations.
Mais, nous prenons d’abord en compte l’urgence dans le domaine de la sécurité et des besoins sociaux de base. Nous avons des instructions, et nous nous attelons à cela en collaboration avec nos partenaires, incluant aussi ceux du continent, à l’image de l’UEMOA, le CILSS (Comité permanent inter-Etats de lutte contre la sécheresse dans le Sahel), l’ALG (Autorité de développement intégré de la région du Liptako-Gourma), la CEDEAO, l’Union africaine. Donc, il faut garder espoir.
Nous continuerons à être à leurs côtés et de façon encore plus intense, pour qu’elles sentent davantage la présence de leurs Etats et de leur organisation sous-régionale.
Interview réalisée par Oumar L. OUEDRAOGO
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