L’ancien Premier ministre, Soumeylou B. MAÏGA, a expliqué comment le groupe Etat Islamique en Afrique de l’ouest (EI) est en train d’accroitre son pouvoir dans le sahel, la provenance de leurs ressources (financières et humaines) et pourquoi l’EI veut coûte que coûte contrôler le corridor des trois frontières. Pour lui, c’est grâce aux ressources financières issues des trafics, estimées à 2 millions de dollars par mois, que l’EI recrute des nouveaux combattants en Afrique de l’ouest. Pour ce faire, SBM répondait aux questions de Laurent Correau, un journaliste de RFI. L’interview s’est tenue le vendredi 13 décembre 2019.
Le groupe Etat Islamique attribue l’attaque d’INATES à l’ISOA (Etat Islamique en Afrique de l’Ouest). Est-ce que c’est une revendication qui vous surprend ?
SBM : Pas du tout. Quand on observe les actions qui se sont déroulées ces derniers temps. C’est que l’Etat Islamique a accru sa mobilité, son pouvoir et son accès aux ressources dans cette région. Parce qu’ils contrôlent pratiquement toutes les ressources prélevées sur les trafics de poissons, de charbons et d’autres produits comme le flux migratoire depuis la région du lac Tchad.
RFI: Est-ce qu’INATES fait partie des zones dans lesquelles l’Etat islamique en Afrique de l’Ouest est particulièrement bien implanté ?
SBM : Oui, oui, oui ! On a vu depuis le mois de septembre, il y a une recrudescence des attaques dans la région du TILABERRI. Et, on a vu que dans sa politique de purge de ces espaces qu’il essaie de contrôler, l’Etat Islamique s’en est pris non seulement aux forces gouvernementales mais même aux leaders sociaux comme les chefs religieux, les chefs de village qui peuvent faire obstacle à sa propagande. Eh, le désengagement des forces qui relèvent du G5 dans cette zone était dans un processus de réarticulation. Ce désengagement a pu créer une sorte d’évacuation qu’ils en ont pu profiter.
RFI: Est-ce selon vous, l’Etat Islamique en Afrique de l’Ouest a pu agir seul dans cette attaque d’INATES ?
SBM : D’une manière générale, ce qu’on observe, quand les attaques sont revendiquées par tel ou tel groupe, ils se font en alliance entres les principales organisations. Parce que, le sahel est pour le moment le seul théâtre sur lequel ces organisations coopèrent. Parce qu’elles ne cherchent pas à contrôler des territoires. Ils ont les cibles identiques.
RFI: Ce genre d’alliance a pu opérer lors de l’attaque d’INATES ?
SBM : Quand vous regardez l’importance de l’attaque, la combinaison des armements et tout cela. Cela dénote qu’il y a forcément une coalition. Je pense qu’aucun des groupes en particulier n’a les effectifs nécessaires pour opérer une attaque d’une telle envergure.
RFI: Au moins 71 morts dans l’attaque d’INATES au Niger, il y avait eu 49 morts à INDELIMANE côté malien, le nombre des victimes se compte désormais par dizaine. Comment est-ce que vous expliquez ce changement d’échelle dans le bilan des combats entre groupes djihadistes et forces gouvernementales ?
SBM : Je crois que le changement d’échelle est dû en grande partie au fait que les groupes terroristes se sont renforcés considérablement. Non seulement en termes de combattants, en termes de ressources, en termes d’encadrements. Ils reçoivent des renforts de combattants étrangers qui proviennent d’autres fronts. En particulier, on voit bien que la tactique utilisée est semblable à celle qu’on a observée sur le front irako-syrien. La deuxième chose, c’est qu’ils ont pu complètement s’intégrer dans l’économie de la région de cet espace en développant des nouvelles routes de trafics. En ne s’imposant aux populations qui se sont retrouvées précarisées par l’allègement progressif des dispositifs étatiques. Cette économie de trafic, qui est totalement imbriquée dans la logique terroriste et puis des ressources importantes, est une importante base de recrutement.
RFI: Qu’est-ce qui fait Soumeylou Boubeye MAÏGA que les groupes djihadistes parviennent à augmenter leurs recrutements dans les zones dans lesquelles ils opèrent ?
SBM : Ben ! Ils ont beaucoup de ressources. Que ce soit les armes, la drogue, les flux migratoires qui se développent dans cette zone. D’après les estimations qui sont faites, ils rapportent à peu près 5 millions de dollars par mois. Sur lesquels, rien que la province Ouest africaine de l’Etat islamique, eux ont un revenu net de 2 millions de dollars par mois. Et, comme dans ces zones, il y a une grande précarité économique notamment. C’est quand même des ressources importantes pour procéder à des recrutements.
RFI: Est-ce que pour vous, il y a cohérence dans le choix des localités qui ont été ciblées par ces groupes ? Est-ce que vous diriez, comme certains, que les djihadistes creusent une sorte de couloir dans cette zone des trois frontières dans lesquelles ils essaient de se mouvoir en toute liberté ?
SBM : Quand vous regardez l’évolution de la cartographie des violences au Burkina, elle avait évolué progressivement jusque vers sa frontière avec le Bénin. Parce que tous les trafics qui ne pouvaient plus passer par le nord du Niger essaient d’ouvrir un nouveau corridor pour déboucher sur l’est du Mali ou emprunter le centre du Mali pour longer le fleuve et remonter par Ber, Tombouctou et même par Beni notamment. Je crois que l’interconnexion avec les trafics est fondamentale dans la résilience des groupes. Les trafics ont besoin d’un environnement de violence et de pagaille pour pouvoir prospérer.
Soumeylou Boubeye MAÏGA merci
SBM : Non, c’est moi qui vous remercie.
Transcrite par Sory Ibrahim TRAORÉ