Les Autorités de la Transition appellent tous les citoyens à scruter l’horizon pour pouvoir gravir ensemble et avec succès la montagne de défis qui se dresse devant le Mali. Dans ce cadre, la relance de l’économie malienne, durement éprouvée par la pandémie de coronavirus avant d’être plombée par la mesure d’embargo de la Cédéao, doit être au premier rang des priorités, comme le souligne l’expert Modibo Mao Macalou qui dégage en même temps des pistes d’action, à travers cette interview qu’il nous a accordée.
Aujourd’hui-Mali : L’embargo sur le Mali que vient de lever la Cédéao, quelle en a été votre appréciation ?
Modibo Mao Macalou : En 1975, c’est le Traité de Lagos qui créa la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest, en abrégé Cédéao, qui a pour objectif de promouvoir la coopération économique et politique entre les quinze Etats membres. La Cédéao avait suspendu le Mali de tous ses organes de décision “avec effet immédiat” après les évènements politiques du 18 août 2010 qui ont abouti à la démission du Président Ibrahim Boubacar Kéïta.
Et elle avait décidé “de la fermeture de toutes les frontières terrestres et aériennes ainsi que de l’arrêt de tous les flux et transactions économiques, commerciales et financières à l’exception des denrées de première nécessité, des médicaments, du carburant et de l’électricité, entre les [autres] pays membres de la Cédéao et le Mali”, invitant “tous les partenaires à faire de même”.
En attendant le rétablissement effectif de l’ordre constitutionnel, le Mali était donc suspendu de tous les organes de prise de décision de la Cédéao, avec effet immédiat, conformément aux articles 1 (e) et 45 (2) du Protocole additionnel sur la Démocratie et la Bonne Gouvernance, et les dispositions de la Charte Africaine sur la Démocratie, les Elections et la Gouvernance adopté en décembre 2001, qui a établi la volonté d’ériger des principes politiques forts comme l’opposition de la communauté à toute accession au pouvoir par des moyens anticonstitutionnels.
C’est une bonne nouvelle que cet embargo soit levé par la Cédéao. Mais est-ce que cet embargo n’est pas une contrainte à transformer en opportunité, notamment en identifiant de meilleures actions à poser à l’avenir en vue de la souveraineté économique du Mali ?
Le Mali possède une diaspora très importante à l’extérieur, environ quatre millions de personnes sur les vingt millions d’habitants et son économie est très dépendante du commerce extérieur. Selon la Bcéao, en 2018 les transferts reçus de la diaspora se chiffraient à 565 milliards Fcfa et trois (3) principaux produits dominent les exportations du Mali, à savoir l’or non monétaire (69,7%), le coton fibre (13,6%) et les animaux vivants (5,4%).
Les exportations d’or non monétaire se sont accrues de 212.64 milliards Fcfa (ou 18,1%) en 2018 en atteignant 1388 milliards Fcfa. Les exportations de fibre de coton se sont, pour leur part, chiffrées à 271 milliards Fcfa en 2018, en augmentation de 47 milliards Fcfa ou 21,2% par rapport aux réalisations de l’année précédente. Les exportations d’animaux vivants sont ressorties à 108 milliards Fcfa, pratiquement au même niveau que l’année 2017. Ces exportations de bétail sont constituées essentiellement de bovins et d’ovins à destination des pays côtiers de la sous-région. La Côte d’Ivoire et le Sénégal, principaux destinataires de ce produit, absorbent respectivement 25,5% et 41,2% des exportations d’animaux vivants. Le port de Dakar absorbe 75% des importations et exportations maliennes et le Burkina Faso constitue un marché important pour les produits maliens.
Avez-vous l’impression que la question économique soit bien prise en compte dans la Charte de la Transition ?
Je ne crois pas que parmi les huit missions énoncées dans la Charte de la Transition du 1er octobre 2020, en son article 2, que la question de la relance de l’économie et les conditions d’obtention d’une croissance économique inclusive soient mentionnées ou prises en compte. De nombreuses études empiriques suggèrent qu’une croissance économique forte, soutenue et équitablement partagée dans un pays est un des meilleurs moyens pour augmenter les revenus des populations, améliorant ainsi leur pouvoir d’achat et leurs conditions de vie. Aussi, une politique économique cohérente, vigoureuse et efficace pour relancer la production, la consommation et les investissements est inhérente pour parvenir à stabiliser le climat social.
Quelles sont les grandes faiblesses de l’économie malienne à combler urgemment ?
Le Mali est un des plus vastes pays d’Afrique. Il est semi-désertique, avec une faible densité de la population. Le Mali possède une économie spécialisée très peu transformée (l’or, le coton et les animaux vivants) constituant environ 90% des exportations et très vulnérable aux chocs exogènes (fluctuations des prix des produits de base, conséquences du changement climatique, et insécurité). Ces facteurs, conjugués à une croissance démographique parmi les plus élevées au monde, favorisent l’insécurité alimentaire, la précarité et l’instabilité.
La dépendance aux exportations des produits de base affaiblit les leviers macroéconomiques, suscitant des tensions et des compromis entre les politiques de renforcement de la croissance et les politiques de stabilisation.
En conséquence, et comme il est souvent préconisé, diversifier l’économie et entreprendre des changements structurels profonds exigent la mobilisation d’importantes ressources longues pour financer le développement.
Selon la Banque Mondiale, ces facteurs, conjugués à une croissance démographique parmi les plus élevées au monde (environ 1% en 1960 et 3% en 2019), favorisent l’insécurité alimentaire, la précarité et l’instabilité. L’indice de développement humain (IDH) des Nations Unies classe le Mali au 182e rang sur 188 pays en 2019.
Quelles doivent donc être les priorités de la Transition pour apporter un changement notable au plan sociopolitique?
L’apaisement du climat socio-politique est une donne importante car elle permet d’amoindrir le risque politique. La mise en place récente d’un gouvernement de 25 membres après presque quatre mois sans gouvernement est un signal positif. Il est important de renforcer le capital humain en offrant des emplois aux jeunes qui constituent la majorité de la population, près de la moitié de la population malienne ayant moins de 14 ans. Il doit s’agir d’emplois décents et durables afin d’améliorer la productivité et la compétitivité, en renforçant la demande intérieure, en diversifiant la production et l’exportation des biens et services à plus forte valeur ajoutée, en améliorant l’accès aux services sociaux de base, en renforçant la protection sociale, tout en réformant la règlementation du travail.
Il était impératif que les sanctions de la Cédéao fussent levées le plus rapidement possible pour permettre aux Autorités maliennes de relancer l’économie à travers des mesures économiques (budgétaires et monétaires) appropriées afin d’améliorer les conditions de vie des populations.
Selon vous, quel est le rôle dévolu au secteur privé pour la relance économique ?
Selon la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Bceao), le taux de croissance du Produit Intérieur Brut (PIB) au Mali est soutenu par les investissements publics des secteurs primaire (développement rural) et tertiaire (commerce et services), …) soit 39,3% du PIB et tertiaire (commerce et services) soit environ 36,7% du PIB en 2018.
En 2014, le taux de croissance du PIB qui était de 7,1 % a atteint 5,3 % en 2017, puis 4,7 % en 2018, et enfin 5,6 % en 2019. L’accumulation du capital physique et l’accroissement de la capacité de production de l’économie constituent l’un des moyens de parvenir à une croissance tirée par les exportations.
A terme, il s’agira d’aller vers une transformation structurelle de l’économie en élargissant la base productive de l’économie puis de transformer une partie importante de la production nationale pour établir une économie à base industrielle. Surtout, mettre l’accent sur la réallocation des ressources les plus productives vers des secteurs à forte intensité d’exportation et bien intégrés dans les chaînes de valeur mondiales semble être une condition essentielle à la croissance globale de la productivité.
En parlant de secteur privé, on pense aussi à la filière coton qui traverse de grosses difficultés. Quel plan de relance faudrait-il pour la filière coton ?
Le coton est le deuxième plus important produit d’exportation pour le Mali (14%), après l’or (80%) et les animaux vivants (7%) en 2018, selon la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest. C’est une culture stratégique pour le Mali car elle constituait (15)% du PIB du pays en 2018 et représentait 271 milliards Fcfa en termes de recettes d’exportation. La production de l’or blanc fait vivre environ cinq millions de personnes, soit environ 1/4 de la population malienne.
En 2020, la pandémie de la Covid-19 a interrompu les chaînes de valeurs mondiales en ralentissant le commerce mondial et les activités économiques dans le monde. Le gouvernement du Mali doit revoir son plan de soutien aux différents secteurs économiques au Mali en accordant une place de choix au secteur du coton, à travers un plan de relance de la filière cotonnière. En effet, le gouvernement du Mali doit aider à relancer la filière cotonnière au Mali car suite à la Covid-19, depuis le début de l’année 2020, les cours sur le marché mondial du coton ont baissé d’environ 25%, suite à une baisse mondiale de la demande et une baisse du prix du pétrole. Parmi les mesures que pourraient prendre les autorités maliennes, nous préconisons des soutiens directs aux centaines de milliers de familles qui produisent le coton en améliorant le prix du kg au producteur à 260 Fcfa contre 250 Fcfa initialement proposé par le gouvernement du Mali. Nous suggérons aussi que les subventions soient aussi accordées pour les intrants aux cotonculteurs en tenant compte des réalités économiques. Le gouvernement du Mali pourrait aussi étudier la création d’un fonds pour appuyer l’investissement dans la transformation du coton localement.
Votre mot de la fin?
En réalité, les principales priorités en matière de développement sont la simplification de la règlementation, l’instauration d’un véritable Etat de droit, l’amélioration des infrastructures, le renforcement des capacités de production, l’exploitation des possibilités de diversification des exportations et l’identification des secteurs présentant un potentiel élevé de valeur ajoutée et de chaîne des valeurs.
Le financement de l’industrialisation et de la transformation économique et sociale est très onéreux et exige en priorité des ressources intérieures importantes pour faire face aux coûts de financement élevés. Les recettes publiques et l’épargne privée constituent les principales ressources financières intérieures au Mali. Il y a lieu de réduire substantiellement la dépendance du Mali par rapport à l’aide publique au développement (APD) dont les flux sont en baisse, imprévisibles et souvent assortis de conditionnalités qui retardent les taux de décaissement. Aussi, le gouvernement doit améliorer l’efficacité de sa fiscalité, réduire substantiellement les flux illicites de capitaux vers l’extérieur, mieux capter (ou formaliser) le secteur informel, éliminer les préférences fiscales (exonérations) et améliorer la transparence et l’équité dans la négociation des contrats avec les sociétés multinationales, surtout dans les domaines des télécommunications et des mines.
Réalisée par Amadou Bamba NIANG
Mon cher l’intellectuel, même Dieu ne peut relancer notre économie avec le népotisme!!!
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