“Le RGPH5 a été une opération pourvoyeuse d’emplois durant toute la période”
Quelle est l’importance d’un Recensement Général de la Population et de l’Habitat (RGPH) pour un pays comme le nôtre ? Que disent les données du dernier recensement ? Combien cette opération a-t-elle coûté ? Quels ont été les efforts déployés en termes de ressources humaines pour la réaliser ? Ce sont, entre autres, questions que le Directeur Général de l’Institut National de la Statistique (INSTAT), Dr. Arouna Sougané, a bien voulu répondre. Dans l’interview exclusive qui suit, on apprendra que Bamako devient la circonscription administrative la plus peuplée du Mali et que le nombre d’hommes habitant le territoire national dépassent celui des femmes.
ujourd’hui-Mali : Quelle est l’importance du Recensement général de la population et de l’habitat pour un pays comme le nôtre ?
Dr. Arouna Sougané : Le Recensement général de la population et de l’habitat est une opération statistique permettant de dénombrer l’ensemble de la population et les habitations en vue de fournir aux décideurs des indicateurs pertinents sur l’état de la population, sa structure, sa répartition géographique (par quartier, village, fraction nomade). Une autre importance est que le Recensement contribue à fournir des données permettant de planifier des actions de développement et de suivre leurs mises en œuvre.Le Recensement permet aussi d’évaluer les actions de développement. Pour preuve, nous sommes dans la phase de mise en œuvre des Objectifs du développement durable (ODD). Avec les résultats du Recensement, nous pouvons nous faire une idée sur le niveau de mise en œuvre de ce programme en termes d’éducation, de santé, d’emploi, etc. Il sert aussi aux décideurs à prendre des précautions pour la réalisation des infrastructures sur le plan scolaire, éducatif. Le tout concoure à l’amélioration des conditions de vie et d’existence des populations.
Le premier Recensement général de la population et de l’habitat a été effectué en quelle année ?
Le premier Recensement général de la population a été effectué en 1976. C’était seulement le Recensement général de la population. C’est à partir de 1987 que le volet habitat a été ajouté. Maintenant, nous sommes au 5e Recensement général de la population et de l’habitat (RGPH5).
Le dernier recensement vous a pris combien de temps ?
Depuis 2016, les premières démarches ont commencé dans l’optique de pourvoir réaliser le recensement en 2019. Contrairement à celui de 2009, les Nations unies avaient recommandé que tous les pays basculent vers un recensement numérique. Des pays comme le Cap Vert et le Sénégal, avaient déjà des expériences dans ce domaine. . Nous avons commencé à faire des voyages d’études dans ces pays pour nous enquérir de leurs expériences. C’est à partir de cela que nous avons monté tous les documents y compris le budget pour les travaux de notre recensement. C’est vrai que le résultat global du RGPH5 est disponible mais les travaux continuent toujours.
Nous sommes dans la phase des analyses de ces résultats qui feront aussi l’objet d’une large diffusion.
Que peut-on retenir en termes de résultat de ce recensement ?
Avant d’arriver au résultat, il est aussi important de dire qu’est-ce qu’on peut retenir de sa mise en œuvre. Durant cette opération, l’Institut national de la statistique, s’est fait accompagner par l’ensemble du Système statistique national du Mali.
Dans un premier temps, cette opération a permis de renforcer les capacités opérationnelles des cadres du Système statistique, nous permettant d’avoir une masse critique de cadres compétents capables de mettre en œuvre des opérations de recensement. Cela est un acquis.
L’opération nous a aussi permis d’avoir beaucoup de matériels.
S’agissant du résultat, nous avons pu dénombrer plus de 22 millions de personnes. Ce résultat n’est pas loin des prévisions des Nations unies ou de la Direction Nationale de la Population (DNP) qui avaient presque prédit les mêmes chiffres. Pour être précis, nous avons eu 22 395 499 d’habitants sur l’ensemble du territoire national. Ce résultat a été obtenu auprès de trois groupes.
Le premier groupe est composé de personnes qui vivent dans des ménages ordinaires ; le second groupe comprend les sans domiciles fixes que nous appelons la population flottante ; le dernier groupe représente la population qui se trouve dans les ménages collectifs dont les hôpitaux où on garde les grands malades. C’est tout cela compris qui fait 22 395 499 de personnes, y compris les étrangers vivants au Mali, parce que le Recensement général de la population et de l’habitat concerne toutes les personnes vivant sur le territoire durant une période donnée. Ces personnes peuvent être des nationaux ou des étrangères pour la simple raison que ces étrangers utilisent les services sociaux du pays.
Ce résultat a confirmé la jeunesse de la population malienne. Au moins, 53,6 % de la population malienne est jeune et ont moins de 17 ans. La tranche d’âge de 0 à 4 ans représente 18 %. Ce qui veut dire que 18 % de la population malienne ont besoin de pédiatres. Au niveau des autorités sanitaires, on doit songer à former plus de pédiatres pour s’occuper de ces enfants.
Les 0 à 15 ans représentent 47,2 % de la population. Ce qui confirme que la population est extrêmement jeune.
Tous les autres recensements avaient montré que les femmes sont plus nombreuses que les hommes. Au dernier, le contraire s’est produit. Si les gens suivent un peu l’évolution,
Du premier recensement de 1976 à celui de 2022, l’écart s’est considérablement rétrécit entre les hommes et les femmes. La proportion des femmes est passée de 55,7 %, 52,48 % et 51,49 % de la population lors des précédents recensements.
Le tout dernier Recensement a révélé que les femmes représentent 49,7 % et les hommes 50,3 %. Ce changement était prévisible parce qu’à la naissance, il a plus de jeunes garçons que de jeunes filles. Par le passé, les jeunes garçons subissaient plus la mortalité infantile que les jeunes filles. Aussi, l’espérance de vie des femmes était plus élevée que celle des hommes. Ces deux phénomènes justifiaient qu’il y avait plus de femmes que d’hommes. Mais avec l’évolution de la médecine, la mortalité infantile a baissé, ce qui a permis de stabiliser la population masculine.
Autre explication : le Mali est un pays de migration. Par le passé, ce sont les hommes qui émigraient ; les femmes étaient moins candidates à la migration. Aujourd’hui de plus en plus des maliennes sortent hors du pays, soit pour rejoindre leurs maris soit pour aller à la recherche du bien-être. Aussi, le Mali reçoit de plus en plus d’étrangers et ce sont des hommes qui viennent généralement dans notre pays. De nos jours, nous avons aussi les agents de la Minusma dans notre pays. Et dans ces contingents, il y a plus d’hommes que de femmes.
Par ailleurs, nous sommes en période des crises qui a entrainé des réfugiés. Des Maliens sont partis hors du pays pour leur protection et dans les camps de réfugiés, il y a plus de femmes que d’hommes. Ce sont ces facteurs réunis qui font de nos jours que les hommes sont plus nombreux que les femmes sur le territoire national.
A travers les données à votre disposition, est-ce que de nos jours, vous êtes en mesure de dire le nombre d’étrangers qui vivent sur le territoire national ?
Pour le moment, nous avons des résultats globaux à notre disposition. Ces résultats sont en phase d’analyse.
Du dernier recensement à celui effectué récemment, la population a augmenté de combien pour cent ?
La population malienne a augmenté du dernier recensement à maintenant de 3,3 % par an.
Pourquoi les Maliens de l’extérieur n’ont pas été pris en compte ?
La méthodologie même d’un recensement ne sied pas à cela. Les recensements concernent la population vivant sur le territoire national à un moment donné. Donc, les Maliens de l’extérieur ne font pas partie.
Lors des recensements dans les autres pays, nos compatriotes sont pris en compte dans leurs statistiques. Comme nous sommes dans le recensement 2020 des Nations unies, il se trouve que presque beaucoup de pays sont en train de réaliser ou ont déjà réalisé leurs recensements. C’est le cas notamment pour le Burkina, la Côte d’Ivoire, le Niger, la Guinée, la Mauritanie, le Sénégal. Avec les données de ces pays, on peut connaitre facilement le nombre de nos compatriotes qui y vivent.
Est-ce qu’au terme de ce processus vous avez une idée sur les localités les plus peuplées du pays ?
Quand on terminait ce recensement, il a coïncidé avec le nouveau découpage administratif. Avant ce découpage, c’est Sikasso qui était la région la plus peuplée du Mali. Mais avec le nouveau découpage, Sikasso a été scindé en trois régions : Bougouni, Koutiala et Sikasso. Et, il se trouve que les deux cercles les plus peuplés de la région de Sikasso ne font plus partie de cette entité régionale. Du coup, elle ne sera plus la zone qui compte le plus grand nombre d’habitants.
Il se trouve que Bamako, qui a pris une bonne partie du cercle de Kati, devient la circonscription administrative qui a le plus grand nombre d’habitants. Sinon, lors du recensement de 2009, Sikasso était en tête avec 2 751 155 habitants, suivi de Koulikoro avec 2 304 237 de personnes ; ensuite venait Ségou avec 2 242 874 d’habitants. C’était les trois régions les plus peuplées. Après, on retrouvait Mopti et Kayes.
Bamako venait juste après Kayes avec 1 776 000 habitants. Les régions de Tombouctou, Gao et Kidal suivaient.
Avec le nouveau découpage, la population de Bamako se chiffre à plus de 3 millions d’habitants. La capitale devient désormais la circonscription administrative la plus peuplée du pays. Dès que nous allons finir avec le travail, nous serons en mesure de donner le chiffre exact. L’augmentation de la population de Bamako s’explique surtout par le fait que la ville a pris une bonne partie des communes périphériques qui se trouvaient par le passé dans le cercle de Kati.
Combien de personnes ont été déployées sur le terrain pour le dénombrement?
Je vous avoue que le recensement a été vraiment une opération pourvoyeuse d’emplois durant toute la période. Les travaux préliminaires ont commencé en 2016. En 2018, nous avons recruté un certain nombre de jeunes, plus précisément 120 personnes pour les travaux de digitalisation. Pendant la cartographie, nous avons utilisé 350 jeunes pour le Sud du pays et 200 jeunes pour le Nord, sans oublier que nous avons aussi recruté plus de 500 jeunes au sud du pays et plus de 200 au nord comme contrôleurs.
Les chefs d’équipes de recensement étaient au nombre de 4 500 personnes et les agents recenseurs 27 000 sur l’ensemble du territoire national.
En tout, on peut estimer à plus de 34 000 agents le nombre de personnes recrutées durant le processus du RGPH5.
Et le coût de l’opération ?
Au départ, on avait fait un budget de 25 milliards F CFA mais à la date d’aujourd’hui, ce sont plus de 22 milliards F CFA qui ont été utilisés. L’Etat a contribué à hauteur de 35 % à ce budget. A côté de l’Etat, il y a des partenaires bilatéraux et multilatéraux. Parmi les bilatéraux, nous avons la Suède, les Pays-Bas, la Norvège, le Japon, l’Allemagne, la Suisse. Pour les multilatéraux, il y a UNFPA, qui est le chef de file des PTF, la Banque mondiale à travers le Projet d’amélioration du Système statistique national du Mali. L’Unicef et l’UNHCR nous ont aussi épaulés.
Au plan technique, l’USAID a contribué. Elle n’a pas fait de contribution financière mais elle a pris en charge l’appui du bureau du recensement des Etats-Unis. Afristat et la CEA nous ont aidés dans les travaux préparatoires et nous avons bénéficié du soutien de l’Agence nationale de la statistique et de la démographie du Sénégal. Sans oublier que nous avons été épaulés par le bureau central du recensement du Cameroun et des universitaires des Etats-Unis.
Bref, nous avons été accompagnés par beaucoup de spécialistes.
A quand le prochain récemment ?
Conformément aux recommandations internationales, les pays en développement comme le nôtre doivent faire un recensement tous les 10 ans. Pour des raisons diverses, il a malheureusement eu des décalages d’un an, voire deux ou trois ans par rapport à cette prévision. C’est pour cela que le premier recensement eu lieu en 1976, le second en 1987, le troisième en 1998, le quatrième en 2009. Le cinquième a été bouclé en 2022.Si on s’en tient aux textes, le prochain recensement se fera en 2032.
Quels sont les défis auxquels vous avez été confrontés durant le recensement?
Nous avons eu à faire face à de nombreux défis notamment la situation sécuritaire du pays. L’idéal aurait été de faire le recensement numérique sur toute l’étendue du territoire national, mais compte tenue de la situation sécuritaire et en vue de garantir l’intégrité physique des agents, nous avons scindé le pays en deux parties. Une partie a été faite avec le numérique et l’autre de façon classique.
A ce défi, s’ajoute la situation sociopolitique du pays qui a rendu difficile la mobilisation des ressources. C’est pour cela qu’il y a eu beaucoup de reports. Car à chaque étape du processus, il fallait batailler dur pour la mobilisation des ressources tandis que chaque date et chaque étape compte.
Je profite de cette occasion pour saluer l’engagement patriotique du gouvernement de Transition qui s’est investi pour la concrétisation de ce projet.
D’ailleurs, nous sommes toujours à la recherche de financements pour les autres étapes, notamment le rapport d’analyse.
Sur le plan technique, nous avons été confrontés à beaucoup d’incompréhensions de la part de certains jeunes agents recenseurs. C’est vrai que nous avons recruté les jeunes mais compte tenu des difficultés financières, on ne pouvait pas payer le montant auquel beaucoup aspiraient. C’est pourquoi certains ont commencé la formation et ont refusé d’aller sur le terrain. Des attitudes qui ont joué un peu sur nous mais nous sommes parvenus à surmonter ces défis car beaucoup d’autres jeunes ont compris qu’il s’agissait d’un sacrifice et se sont donnés à fond. Et le résultat que nous avons obtenu est apprécié par beaucoup de spécialistes du domaine.
Quand nous avons eu les premières données, nous les avons mises à la disposition des spécialistes. Ces derniers les ont appréciées et ont attesté qu’elles pourront servir efficacement de base pour l’élaboration des politiques pour les prises de décisions. Nous avons même eu un trophée de la part de l’organisme qui développe les logiciels de cartographie pour la qualité de notre travail. Cette structure a témoigné que nous faisons partie des meilleurs pays qui ont fait un bon usage de ses outils. C’est juste pour vous dire que malgré les défis, nous sommes arrivées à de meilleurs résultats. Comme on le dit souvent la fin justifie les moyens. C’est le lieu pour moi de saluer tous les acteurs à tous les niveaux, des agents de terrain, les forces de sécurité, les agents du BCR, sans oublier les journalistes avec les messages de sensibilisation qui ont permis aux populations d’adhérer au recensement et d’atteindre ce résultat.
Réalisé par Kassoum Théra
Well done!
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