Le professeur Oumar Kanouté est membre du Mouvement patriotique pour le renouveau (MPR), et est aussi dignitaire du régime du général Moussa Traoré. Dans cet entretien qu’il a bien voulu nous accorder dans ce contexte de cinquantenaire, le professeur Kanouté nous livre son jugement sur les différentes Républiques que notre pays indépendant a connu jusqu’ici. Il s’insurge contre les accusations faites contre le régime du général Moussa Traoré, mais apprécie l’avènement de la démocratie au Mali.
Quel jugement portez-vous sur les 50 ans du Mali ?
Oumar Kanouté : Vous savez 50 ans dans la vie d’une Nation, c’est extrêmement important. S’agissant plus particulièrement du Mali, en jetant un regard rétrospectif sur ce parcours, on se rend compte qu’il y a eu des hauts et bas, des forces et des faiblesses, des réussites et des échecs. Nous avons connu trois Républiques et chacune d’elle a eu à faire des choses très importantes tout comme chacune d’elle a connu aussi des imperfections. Le plus important, c’est de voir qu’il y a une continuité dans l’évolution de la nation. A toutes les époques, notre peuple a prouvé qu’il appartenait à une nation contrairement à beaucoup d’autres Etats. Nous avons une grande histoire, une grande civilisation, une tradition très solide qui, à chaque épreuve arrive à nous conduire à la cohésion. Si nous avons quelque chose dont on peut être fier pour ces 50 ans, c’est d’avoir réussi à bâtir une grande nation.
Comment expliquez-vous l’avènement de la deuxième République ?
O. K. : Vous savez qu’il est vrai qu’en un moment donné, il y a eu une opinion dominante. Et les uns et les autres essayent toujours dans le respect de la cohésion de ne pas mettre l’huile sur le feu et d’accepter certaines choses. Il est indéniable que ce qui est arrivé le 19 novembre 1960 répondait une réalité économique et politique du moment. Il est clair qu’au moment où les militaires prenaient le pouvoir la situation était extrêmement difficile dans le pays. Si vous voyez que le peuple a suivi c’est qu’il y avait des difficultés évidentes dans le domaine économique et politique. Nous en avons pour preuve le comportement de la milice qui a beaucoup sévi sur la population. Il y avait des centres collectifs qui ne répondaient pas du tout à l’esprit des collectivités. Il y avait aussi la situation économique avec la création du franc malien avec tout ce que cela comportait comme perturbations de l’économie et qui a conduit d’ailleurs à une dévaluation sauvage de 50%. Donc ça veut dire qu’il y avait une situation économico-politique extrêmement difficile surtout lorsque la situation a amené les autorités à suspendre l’Assemblée nationale et autres. Ça veut dire qu’il y avait une situation exceptionnelle qui justifiait l’arrivée des militaires au pouvoir.
Quel jugement faites-vous du bilan de ces militaires au pouvoir ?
O. K. : Il y a une confusion qu’on crée lorsqu’on dit que les militaires sont restés au pouvoir de novembre 1968 à mars 1991. Nous nous ne pouvons pas faire cette lecture là. Il y a eu un régime exceptionnel : celui du Comité militaire de libération nationale qui est allé du 19 novembre 1968 au 31 mars 1979. Et en 1979 il y a eu la création effective de l’Union démocratique du peuple malien (UDPM). A partir de l’adoption de
C’est vrai que c’était un régime à parti unique, mais c’était plus un régime militaire. C’est cette lecture que nous nous faisons. Il faut dire que les réalisations faites par la deuxième République sont vraiment énormes et je voudrais apporter la précision au niveau d’un point : on a accusé la deuxième République d’avoir détruit le tissu d’entreprise de l’Etat. Il n’y a rien de plus faux. En réalité dès les accords franco-maliens de 1967, il y avait dans ces accords signés par le régime socialiste du président Modibo Kéita une clause qui prévoyait la liquidation des sociétés et entreprises d’Etat déficitaires au-delà de 5 ans.
Donc en 1970 toutes ces sociétés et entreprises d’Etat déficitaires devraient être liquidées comme prévu par les accords. Mais les militaires en venant au pouvoir ont dit que non nous ne liquiderons pas les sociétés et entreprises d’Etat, au contraire nous allons essayer de les réhabiliter. Ils ont dit qu’il y a des sociétés et entreprises d’Etat qui sont stratégiques, même si elles sont déficitaires, il faut essayer de les maintenir. Et c’est ce souci qui les a amené à créer ou recréer si vous voulez un ministère de tutelle des sociétés et entreprises d’Etat en 1973 alors qu’en 1972 ils auraient dû les liquider. Pour ne pas les liquider il a été prévu dans le gouvernement un département spécifique chargé des sociétés et entreprises d’Etat. Et lorsque les syndicalistes ont fait une proposition, les autorités de l’époque ont dit que c’est très simple.
Elles ont pris un syndicaliste qu’elles ont mis à la tête de ce département en la personne du secrétaire général adjoint de l’Union nationale des travailleurs du Mali (UNTM). A partir de là on ne peut plus dire qu’il y avait une volonté manifeste de liquider les sociétés et entreprises d’Etat, au contraire si vous faites la part vous verrez que sous ce régime il y a eu plus de sociétés et entreprises d’Etat créées en tout cas au quota que sous la première République.
Donc nullement on ne peut dire qu’il y a eu volonté de liquider les sociétés et entreprises d’Etat, mais c’est quand ces sociétés et entreprises ont commencé à devenir de véritables fardeaux pour le peuple, en ce moment il y a la vérité économique qui est têtue et il a fallu en ce moment trouver une solution. Je tenais à faire cette précision parce que j’entends dire ça et là que les militaires ont détruit le tissu économique du pays. Ce n’est pas vrai, c’était décidé plutôt.
Comment avez-vous apprécié l’avènement de la démocratie ?
O. K. : L’avènement de la démocratie multipartite s’expliquait aussi par la réalité de l’époque parce que si vous voyez l’évolution des 50 ans, sous la première, la constitution prévoyait le multipartisme mais c’était l’heure du temps où dans les pays africains on pensait qu’il fallait le parti unique pour éviter le parlementarisme oiseux à l’occidental et se concentrer sur le développement. L’ennemi à l’époque c’était le sous-développement et il fallait que toutes les forces de la nation se retrouvent pour faire front commun et consolider la jeune République. C’est pour cette raison que les autorités de l’indépendance avaient demandé que tous les autres partis viennent se fondre dans l’Union soudanaise RDA.
Donc si le multipartisme était inscrit dans la constitution, il ne l’était pas dans la pratique. Sous la deuxième République les militaires n’ont pas dit que tout ce que la première République était mauvais. Mais ils ont dit que puisque nous venus dans un contexte de crise sociopolitique, faisons en sorte qu’il y ait une réconciliation nationale, redressons la situation économique et à partir de ce moment retourner à une vie constitutionnelle normale. On comprend que les militaires ont conservé tout ce qui était bon de la première République et corrigé ce qui était mauvais.
C’était plutôt un correctif qu’une mise en cause et c’est pourquoi quand vous faites une étude comparative entre la première et la deuxième République, vous verrez qu’il y a plus de similitudes que de divergences. Ainsi, pour ne pas se retrouver dans la même situation que l’Union soudanaise RDA qui avait inscrit le multipartisme dans la constitution alors que ce n’était pas le cas dans la pratique, les autorités militaires ont estimé qu’il fallait mettre dans la constitution le parti unique. Mais après la chute du mur de Berlin, il est évident que c’est le modèle du multipartisme qui allait s’imposer et le Mali ne pouvait pas rester en marge de cette réalité.
Les autorités de l’époque avaient même fait une analyse allant dans ce sens, mais ne pouvant pas brusquer les choses elles étaient dans l’attente du prochain congrès de l’UDPM pour valider le projet de multipartisme, dont le débat avait été fait depuis janvier 1991, et procéder à une révision constitutionnelle pour adopter le multipartisme. Donc le passage à la troisième République était inéluctable mais c’est la tournure violente que cela a occasionné qui est regrettable.
Quelle appréciation après 19 ans de pratiques démocratiques ?
O. K. : Vous savez que les conditions dans lesquelles l’Adéma a hérité le pouvoir du CTSP étaient particulières. C’est un parti qui avait dès au départ la majorité absolue au parlement. Pendant le premier mandat d’Alpha il y a eu une opposition qui a joué son rôle et on avait dit qu’on était sur la bonne voie. Mais avec les élections de 1997 la machine s’est grippée. Il y a eu la création par la suite du COPPO qui ne reconnaissait même plus les institutions de
Vraiment, on peut dire que ce chao a été une tache noire dans l’évolution de la démocratie dans ce pays. Il y a eu trop de violation de droit et c’est ce qui explique le retour d’ATT aux affaires car, il faut reconnaître que vers la fin du second mandat d’Alpha, les uns et les autres se regardaient pratiquement en chiens de faïence. Les partis politiques n’étaient plus des adversaires mais des ennemis. Et ATT a été la bienvenue avec son discours de consensus qui a été un paradigme et qui est conforme à toutes les valeurs du Mali.
Quel jugement sur la célébration du cinquantenaire ?
O. K. : Bon j’ai entendu certains dire pourquoi fêter le cinquantenaire alors qu’on aurait du construire des écoles, des centres de santé. Je dis attention : mettre une croix sur ces manifestations on enlève une grande part dans la symbolique de l’évènement. Je pense que c’est une bonne chose de marquer de manière durable les 50 ans de notre indépendance. Même dans notre société il y a certaines de ces grandes dates qu’on rend mémorables et cela permet à la société de se pérenniser. Je pense que seule une calamité pouvait empêcher de célébrer le cinquantenaire. Ceux qui verront aussi le centenaire feront autant et je souhaite que jusqu’à la fin du monde que rien n’entrave la célébration d’aucune tranche de 50 ans de notre parcours.
Comment vous entrevoyez l’avenir du Mali ?
O. K : Personnellement je ne suis pas d’un optimisme béat, mais je crois en ce pays là. Il est vrai qu’avec 2012 qui s’approche et qui marquera la fin du règne de celui qui a réussi à rassembler tout le monde, on a des inquiétudes si toute fois nous allons renouer avec les démons de 1997 ou bien si nous allons tirer le maximum de leçon de cette expérience pour poursuivre l’œuvre entamée en 2002. Je crois que l’avenir du Mali réside en cela. Si nous arrivons à résoudre cette équation nous relèverons le défi et pour cela il faut lancer un appel à la classe politique pour qu’on mette le Mali et son intérêt avant tout. Ce Mali de grande civilisation que Dieu nous a gratifié de sol et sous-sol riche et des hommes entreprenants ne demande qu’à conjuguer ces atouts pour sa prospérité. Et pour ça il y a de l’espoir pourvu que les calculs politiciens ne viennent tout foutre en l’air.
Entretien réalisé par A. D