Le Procureur général à propos du procès de Amadou Haya Sanogo et autres : « TOUT EST FIN PRET »

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Le Procureur général près la Cour d’appel de Bamako, Mamadou Lamine Coulibaly

Quarante heures avant l’ouverture du procès de l’ancien putschiste Amadou Haya Sanogo et autres à Sikasso, nous avons recueilli les impressions du Procureur général près la Cour d’appel de Bamako, Mamadou Lamine Coulibaly. Dans notre entretien, le magistrat a apporté certaines précisions de taille concernant le bon déroulement de ce procès, notamment le choix de Sikasso pour abriter la session historique, les charges d’accusation retenues contre le Général Sanogo et ses compagnons, les dispositions prises pour sécuriser le déroulement de ces assises.

L’Essor : Aujourd’hui, est-ce que toutes les conditions sont réunies pour l’ouverture du procès de Amadou Aya Sanogo?

Mamadou Lamine Coulibaly: Je vais être très clair et très affirmatif. Techniquement et juridiquement, toutes les conditions sont réunies pour le bon déroulement de ce procès. Toutes les formalités préalables obligatoires sont observées. Il s’agit notamment de la citation des accusés, du tirage au sort des assesseurs, de la notification de l’arrêt de mise en accusation des accusés, de la notification du procès verbal de tirage, du dépôt des dossiers au greffe du tribunal du lieu où doit se tenir la session de la Cour d’assises. Toutes ces formalités sont observées sur le plan professionnel et juridique. Je peux vous assurer qu’on est fin prêt pour ouvrir ce procès.

L’Essor : Pourquoi ce procès doit-il se tenir à Sikasso quand on sait que c’est à Bamako que se sont déroulés les faits?

M L C : On a ouvert hier lundi une session de la Cour d’assises à Bamako. Comme on ne peut pas faire deux sessions au même endroit, nous avons donc décidé d’ouvrir une session supplémentaire de la même Cour d’assises à Sikasso. Nous avons choisi cette ville parce que c’est la capitale de la Région administrative la plus peuplée, après Bamako. Puisqu’il faut rapprocher la justice des justiciables, on a dit que Sikasso est le meilleur endroit après Bamako pour tenir ce procès.

L’Essor : Ne pensez-vous pas que le choix de Sikasso est plutôt politique que juridique?

M L C : Je ne suis pas politique. Je suis magistrat et Procureur général.

L’Essor : Qu’est-ce qui est reproché à Amadou Aya Sanogo et à ses co-détenus?

M L C : Amadou Aya Sanogo et autres sont accusés d’enlèvement et de complicité d’enlèvement, d’assassinat et de complicité d’assassinat. Ils sont ainsi renvoyés devant la Cour d’assises.

L’Essor : Le parquet est-il suffisamment armé pour qu’on assiste à un procès équitable?


M L C :
Nous disposons de tous les indices, de tous les éléments de preuves nous permettant de faire un procès équilibré. On parle souvent du procès équilibré entre le parquet (c’est à dire l’accusation) et la défense (l’accusé). Nous nous engageons pour un procès équilibré et civilisé. Dans un procès, le dernier interrogatoire, c’est à la barre. L’accusation va apporter ses preuves, la défense va apporter ses preuves à décharge et la Cour sera là pour trancher. C’est ça le procès équilibré. A la date d’aujourd’hui, nous estimons que nous avons suffisamment des preuves et le jour venu nous allons les démontrer à la Cour.

L’Essor : Certains Maliens pensent que ce procès va être un procès politique comme on l’a vu dans le passé. Qu’en dites-vous ?

M L C : Les infractions reprochées à Amadou Aya Sanogo et autres sont des infractions de droit commun. Ce ne sont pas des infractions politiques et la Cour d’assises n’est pas une juridiction politique. Donc, il n’y a rien de politique dans ce procès. Nous avons affaire à des infractions de droit commun qui seront jugées par la Cour d’assises de Bamako en session supplémentaire et en transport à Sikasso.

L’Essor : Le procès qui commence le 30 novembre peut prendre combien de jours?

M L C :
On ne peut pas dire que le procès va prendre 10, 20 ou 40 jours. On peut seulement garantir que nous serons très respectueux des droits de la défense. Nous allons faire en sorte que les accusés et leurs avocats aient tout le temps nécessaire. La partie civile sera largement attendue. Tout comme la défense. Donc le procès prendra le temps qu’il faut. Il y a une date d’ouverture mais il n’y a pas de date de clôture formelle.

L’Essor : Après l’ouverture du procès, peut-on s’attendre à son ajournement comme l’indiquent certains observateurs ?

M L C :
Nous prévoyons tous les cas de figure. Les avocats de la défense ont le droit de demander le renvoi. Il faudra qu’ils arrivent à convaincre la Cour pour l’obtenir. Et si le Parquet a des indices attestant que cette demande de renvoi ne doit pas prospérer, il va produire des éléments. La Cour va trancher. Je voudrai que les gens comprennent que l’essentiel pour le Parquet est d’observer toutes les formalités préalables pour le bon déroulement du procès.

L’Essor : Quelles sont les dispositions prises pour sécuriser la tenue du procès?

M L C : Nous avons eu une réunion de coordination avec le ministère en chargé de la Sécurité afin que toutes les dispositions soient prises pour que le procès se passe bien. Il faudra donc sécuriser le lieu du procès, les hôtels et toute la ville de Sikasso. Toutes les forces de sécurité sont mobilisées à cet effet. Le  procès se tient dans la salle Lamissa Bengaly qui a une capacité d’accueil de 1.550 places.
L’Essor : L’audience étant publique, quelles sont les conditions d’accès à la salle du procès?

Mamadou Lamine Coulibaly:
L’accès à la salle est strictement subordonné à un badge d’identification. Le numéro du badge correspond à une place assise dans la salle. Il y aura une fouille minutieuse à l’entrée. C’est une question de sécurité et nous devons veiller à la sécurité de tous ceux qui vont faire le déplacement pour assister à ce procès.

L’Essor : Vous attendez-vous à un éventuel débordement, notamment de la part des supporters de l’accusé Amadou Aya Sanogo?

M L C : Pour nous, ceux qui viennent à ce procès sont des Maliens et on peut compter sur leur sagesse. On a le droit d’aimer. On a le droit de supporter. Mais on a aussi l’obligation d’être respectueux des lois et règlements. C’est ça l’unicité dans la diversité et c’est ça le Mali.

L’Essor : Est-ce que le parquet est suffisamment préparé pour gagner ce procès?

M L C : Nous n’organisons pas les Assises pour gagner ou perdre un procès. Le parquet représente la société envers laquelle il a l’obligation de protection. Le parquet ne perd donc pas parce que la société ne peut pas perdre. Quelqu’un qui commet un comportement déviant, la société doit prouver que ce qu’il a fait est inadmissible. Puisque toute la société ne peut pas réagir au même moment, ce pouvoir est délégué au procureur. Celui-ci, au nom de la société, assure la poursuite pour que la Cour d’assises entre en voie de condamnation contre l’accusé. C’est ça le travail du parquet et nous l’assumerons pleinement.

Propos recueillis par
M. KEITA

RAPPEL DES FAITS, COMPOSITION DE LA COUR D’ASSISES ET IDENTITE DES PREVENUS

A la suite de la mutinerie au camp Soundiata Keita de Kati le 22 mars 2012, des militaires se sont dirigés sur le Palais de Koulouba, siège de la Présidence de la République. Cette mutinerie s’est transformée en coup de force et a contraint le président Amadou Toumani Touré à présenter sa démission. Une junte militaire conduite par le capitaine Amadou Haya Sanogo a proclamé la suspension des institutions de la République et a institué un Comité National pour le Redressement de la Démocratie et la Restauration de l’Etat (CNRDRE). L’accord de Ouagadougou pour la sortie de crise, signée le 6 avril 2012, a constaté la démission du Président Amadou Toumani Touré et pris acte de la désignation de M. Dioncounda Traoré, président de l’Assemblée nationale, en qualité de président de la République. Du 30 avril au 1er avril 2012, le Régiment des commandos parachutistes a, à son tour, tenté un coup de force contre les membres du CNRDRE, composés en grande partie de « bérets verts ». C’est à la suite des violents affrontements qui s’en sont suivis que 21 « bérets rouges » ont été retrouvés ensevelis dans deux charniers situés à Diago.
Sur instruction du Procureur Général près la Cour d’Appel de Bamako, le Procureur de la République près le Tribunal de première instance de la Commune III du District de Bamako a ouvert une enquête qui a abouti à l’information judiciaire et à l’inculpation de 28 militaires, dont Amadou Haya Sanogo, pour enlèvement de personnes, assassinat et complicité. Une ordonnance de transmission des pièces au Procureur général est intervenue le 10 février 2015. Les infractions retenues à l’encontre des accusés, tous sous mandat de dépôt, à l’exception d’Ibrahima Dahirou Dembélé, Mohamed Issa Ouédrago et Ibrahima Boua Koné, sont réprimées par les dispositions des articles 199, 200, 240, 24 et 25 du code pénal. Sur les réquisitions du procureur Général près la Cour d’appel en date du 23 juillet 2015, la Chambre d’accusation de la Cour d’appel de Bamako, par son arrêt n°585 du 22 décembre 2015, a ordonné un non-lieu à suivre à l’égard de huit 8 personnes et mis en accusations 18 personnes (dont une décédée) renvoyées devant la Cour d’assises.

La Cour d’assises devant juger Amadou Aya Sanogo et autres est présidée par Mahamadou Berthé. Il est assisté de deux conseillers en la personne de Boureima Gariko et Taïcha Maiga. Ces magistrats sont assistés de quatre 4 assesseurs tirés au sort.
Liste des accusés et chefs d’inculpation
Enlèvement et assassinat :Fousseyni Diarra dit Fouss, Mamadou Koné, Tiémoko Adama Diarra, Lassana Singaré, Cheickna Siby et Issa Tangara.
Complicité d’enlèvement et d’assassinat : Amadou Haya Sanogo, Bloncoro Samaké, Amassongo Dolo (décédé), Simeon Keïta, Oumarou Sanafo dit Kif Kif, Soïba Diarra, Christophe Dembélé, Amadou Konaré, Mohamed Issa Ouédrago et Ibrahim Boua Koné
Complicité d’assassinat : Yamoussa Camara et Ibrahim Dahirou Dembélé.

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