« La CMA joue au dilatoire et elle sait bien qu’elle ne peut pas aller loin parce que ce sont ses parrains qui lui disent de signer »
Le professeur Younouss Hamèye Dicko, président du Rassemblement pour la démocratie et la solidarité (RDS), nous a accordé, vendredi dernier, à Badalabougou, une interview portant sur l’accord paraphé d’Alger. Il a notamment indiqué qu’il était clair que la Coordination des mouvements de l’AZAWAD (CMA) devait parapher l’accord, pour son propre intérêt. Il a ajouté : « La CMA joue au dilatoire et elle sait bien qu’elle ne peut pas aller loin par ce que ce sont ses parrains qui lui disent de signer. »
Le Canard Déchaîné :Quel est le point de vue du RDS sur l’Accord d’Alger paraphé par les parties sauf la CMA ?
Pr. Younouss Hamèye Dicko : Nous avons beaucoup parlé de l’accord paraphé d’Alger. Depuis le 14 novembre, lorsqu’on a présenté les éléments pour l’accord de paix au Mali, le RDS était peut-être le premier parti à avoir lancé officiellement, à travers une déclaration, que l’élément constituait une bonne base de négociation, tout en exposant les points qu’il voudrait voir améliorés dans l’accord. Tous les gens qui sont intervenus sont plus ou moins intervenus dans ce sens. Lorsqu’en décembre, nous avons reçu les éléments paraphés, nous avons estimé que c’est toujours une bonne base de négociation. Nous avons vu dans le texte des revendications phares de notre parti. A savoir, l’élection d’un gouverneur, entre guillemets, c’est-à-dire l’élection du chef de l’exécutif de la région. Cela nous donne satisfaction en tant que tel.
L’élection au suffrage universel ?
Oui, au suffrage universel. Parce que tant que cela n’est pas fait, cela va être revendiqué. Nous voulons couper court à toute revendication dans ce sens. Nous sommes convaincus, dans la situation actuelle du Mali, qu’on ne peut plus continuer avec des gouverneurs nommés qui ne savent même pas ce qui se passe dans la région. Il faut des grands cadres maliens de l’administration, des personnes de la société locale, pour pouvoir négocier et créer les conditions de développement de ces régions. Donc, il faut absolument des gens élus comme chefs des régions pour faire face efficacement à la demande sociale. L’argument qu’on peut nous opposer : «mais il a tous les pouvoirs » ! Il a tous les pouvoirs, mais seulement dans la région. Il y a les pouvoirs d’Etat qui sont là aussi pour contrôler. Nous sommes partis jusqu’à demander que le même président élu par la population locale soit désigné comme représentant de l’Etat. Evidemment, beaucoup de gens y verront une malice, mais en vérité, c’est aussi pour le coincer à respecter l’Etat et ses prérogatives. Vous savez, le maire, il est élu, mais il représente aussi l’Etat. C’est de l’Etat qu’il relève, l’Etat peut le chasser si ça ne marche pas. Le président élu dans une région, l’Etat peut le suspendre, un jour. Vous savez, les doyens des facultés sont élus, mais ils représentent l’Etat dans la faculté. L’Etat peut les relever à tout moment, s’ils ne répondent pas à ce que l’on souhaite pour le fonctionnement de l’établissement. Donc, ce n’est pas la première fois qu’un élu représente aussi l’Etat dans son exercice, dans son ressort. Même si ce n’est pas le cas, il est temps, parce qu’il y a une demande de liberté des populations qu’il faut satisfaire et on ne peut le faire qu’avec un exécutif local élu. De toutes façons, c’est un exercice : il est élu à Kayes, à Sikasso aussi, à Koulikoro, etc. etc., à Ségou, à Mopti, à Gao, à Tombouctou. Nous pensons que c’est une grande avancée politique et démocratique. La deuxième chose que le RDS a appréciée aussi, c’est le traitement qui a été fait de l’AZAWAD. Pour la première fois, il y a une position du gouvernement malien sur le mot AZAWAD dans le texte. Il ne fallait pas qu’on laisse le mot couler comme s’il s’agit du Karta ou du Wassoulou… ce n’est pas la même chose. Je réitère que le mot AZAWAD est devenu une revendication territoriale et politique et dans ce sens là, nous ne reconnaissons pas ce mot AZAWAD. Au début de la rébellion, beaucoup de gens sont passés par-dessus, parce qu’on pensait que c’était comme le Karta, le Kénédougou, etc. et qu’il s’agissait de simples développements. Aujourd’hui, il ne s’agit plus d’un simple développement, il s’agit de créer un Etat sur notre territoire et ça, il faut que les gens en prennent conscience. Donc, c’est la première fois que dans un accord, l’Etat malien prenne conscience que ce mot a une connotation totalement dangereuse pour l’unité nationale et qu’il sera mis en débat devant le peuple malien qui tranchera. Dans ce sens là, nous pensons que c’est également une avancée et nous avons satisfaction dans notre réplique. Maintenant, concernant ce qu’il y a dans le texte, beaucoup de gens disent que le texte est mauvais, qu’il viole la constitution… il ne viole pas la constitution, parce que la constitution n’est pas concernée. Tout ce qui est dedans n’a rien à voir avec le texte de la constitution. Le sénat dont on parle… on avait déjà prévu qu’on allait créer un sénat dans le projet de constitution qui existait. Si nous voulons appliquer ce qu’il y a, soit nous le ferons par la loi et les décrets, c’est-à-dire, soit par la voie réglementaire, soit, nous allons changer de constitution, mais cela est du ressort du peuple, vous ne pouvez pas changer la constitution, par l’accord. Tant que le peuple n’a pas voté une nouvelle constitution, vous ne pouvez pas dire que la constitution actuelle est violée. Donc si on veut appliquer certaines choses, il faut une nouvelle constitution. Si la voie réglementaire ne peut pas donner satisfaction, la constitution donnera satisfaction, soit par rapport à ce qui est dedans, soit par rapport à une nouvelle constitution. Aujourd’hui, nous pensons que la constitution n’est pas violée parce qu’il n’y a rien dans ce texte qui nous oblige, de façon formelle, à violer la constitution, sauf peut-être lorsqu’on nous dit de faire un sénat et ça, nous l’avons prévu. Nous avons prévu aussi une décentralisation approfondie. Dans ces conditions là, l’ensemble des éléments qui se trouvent dans l’accord paraphé ne constitue pas une violation de la constitution ou un frein au développement du Mali. Qu’on le veuille ou pas, si ce projet paraphé était signé, ce serait une avancée pour notre pays, parce que nous avons besoin de paix. Tout le monde a besoin qu’on signe un accord et un accord signé doit être pratiqué. C’est dans la pratique qu’on verra des choses qu’on n’avait pas vues, c’est évident. Je retiens un mot du ministre des Affaires étrangères qui dit que ce n’est pas un accord, mais que c’est la paix. Ce sont les acteurs qui feront que la paix soit établie. C’est dans la mise en œuvre qu’on verra ce qui doit être mis en œuvre ou pas. On verra tout de suite ce qui est dans l’accord et qui viole la constitution, à ce moment là, il y aura ceux qui diront non, cela viole la constitution. Si c’est le cas, on sera obligé d’attendre qu’on change la constitution. Même si vous prenez les armes ou tout ce que vous voulez, vous ne pouvez pas le faire, tant que la constitution n’a pas changé. Il faut qu’ensemble, nous trouvions les solutions pour cela. Mais ce n’est pas pour ça qu’on doit bloquer le fonctionnement d’un pays, mettre en danger l’intégrité territoriale du pays, parce que plus ça dure, plus ça risque d’être irréparable. Donc, il faut trouver les voies et moyens pour que les gens puissent mieux se parler, pour avancer ensemble. Le RDS pense que ce préaccord est un bon présage, un bon positionnement pour continuer à construire la paix et le développement de notre pays.
Pourtant, le gouvernement du Mali a rédigé 12 pages d’observations dont la médiation n’a pas tenu en compte, qu’en pensez-vous ?
Je n’ai pas vu les recommandations que le gouvernement a élaborées, mais vous savez très bien que nous avons tenu des table-rondes ici et que chacun de nos partis a fait des propositions. Toutes ces propositions ne sont pas réapparues dans le texte de préaccord. L’essentiel est là-dedans et pour le reste, je comprends bien que celui qui est médiateur, lorsque chacun apporte ses propositions, si cela empêche d’avancer ou si cela constitue un autre écueil pour une partie, qu’il soit obligé de trouver le dénominateur commun entre les revendications. Ces dénominateurs communs relèvent de détails qui peuvent d’ailleurs être résolus dans la mise en œuvre de l’accord. Sinon, il est impossible de mettre tous les détails dans un accord qui est un cadre et je pense que c’est ce qui est là, malgré les peurs, parce que ce sont des peurs, puisque vous savez très bien que jamais le commandement de l’armée ne sera bicéphale. Si le commandement de l’armée doit être bicéphale, ce sera proportionnellement à la représentation sociale de chacun dans le pays. On ne peut pas penser que dans un camp de l’armée malienne, il y ait d’un côté un Bambara ou un Sonhraï et de l’autre, un Touarègue. Si vous nommez un Touarègue, seul, dans un camp, c’est parce qu’il a la valeur militaire qu’il faut, un arabe seul, dans un camp, c’est parce qu’il a la valeur militaire, un peul seul, un Sonhraï seul, un Bambara seul, un Sénoufo seul, etc. etc., mais il n’est pas imaginable que ce que certains disent soient comme cela, ça ne peut pas être comme ça. Cependant, il est important que l’on tienne compte de notre diversité. Il est plus intéressant que si un conflit éclate dans la région de Sikasso, qu’on y envoie des gens qui connaissent bien le terrain et peut-être qu’il serait bon d’avoir un Sénoufo qui prenne le commandement, pour rétablir la paix dans la zone. Ce n’est pas du racisme, c’est une évidence que tout le monde connait. Dans toutes les armées du monde, quand il y a un conflit, on envoie quelqu’un qui connait le terrain, parmi les officiers. On n’envoie pas quelqu’un qui ne connait rien du terrain. C’est évident, ça.
La CMA a-t-elle la possibilité de refuser de signer l’accord ?
Ce n’est pas dans leur intérêt de continuer à mener ce petit jeu, puisque personne ne veut qu’on se paye sa tête, en pensant qu’il soit possible que tout le monde soit d’accord que le texte ne soit pas bon et qu’on signe. Cela est impossible, car, tout le monde ne peut pas être d’accord que le texte est mauvais et qu’on le signe. Nous, qui sommes les plus concernés, nous pouvons trouver que le texte soit mauvais, mais que nos partenaires ne trouvent pas qu’il soit mauvais. Nous ne sommes pas seuls, aujourd’hui, le problème malien n’appartient pas seulement au Mali. Il a échappé à la souveraineté du Mali. Il est dans plusieurs mains. Notre rôle, c’est d’empêcher que ces mains là ne l’emportent. Nous allons nous battre, avec nos ongles, s’il le faut, pour que notre pays ne nous échappe pas. Mais aujourd’hui, nous partageons la responsabilité avec d’autres, avec la communauté internationale. La CMA joue au dilatoire et elle sait bien qu’elle ne peut pas aller loin par ce que ce sont ses parrains qui lui disent de signer. Alors, si ses parrains lui disent de signer et qu’elle ne signe pas, c’est la communauté internationale qui va s’attaquer à ses parrains et à elle-même. Pour nous, notre pays, c’est notre pays. Je pense à nos frères de la CMA, parce que jusqu’ici, nous nous réclamons tous, Maliens, même si dans le jargon, on se traite de tous les noms d’oiseau, nous sommes Maliens. Ce sont donc nos frères et il est clair qu’ils doivent signer pour leur propre intérêt. De toutes façons, le Mali sait parfaitement où il va et le Mali va se défendre. Je crois qu’ils ne peuvent pas continuer leur dilatoire, parce que ça ne leur rapporte strictement rien d’abord. Ensuite, ç a ne ferait que leur nuire davantage, par rapport au peuple malien, dont ils sont partie intégrante et par rapport à ceux qui les ont soutenus jusqu’ici. Comme on dit : force reste à la loi et la loi, c’est le Mali.
Propos recueillis par Baba Dembélé