L’ancien président de l’Assemblée nationale de Côte d’Ivoire, le Pr. Mamadou Koulibaly, était venu à Bamako pour l’édition spéciale des «Migrances», placée sous le thème «le défi migratoire et le FCFA». Dans cette interview, le président du parti LIDER donne ses impressions sur le Franc CFA. Il s’exprime aussi sur la vie de son parti mais également la libération de Laurent Gbagbo.
Le Wagadu : Pourquoi faut-il sortir du franc CFA ?
Koulibaly: Le franc CFA ne permet pas aux gouvernements actuels de résoudre les questions de développement. D’abord, cette monnaie ne permet pas de financer l’investissement de longues périodes. À titre d’exemple, les comptes des banques centrales mettent l’accent sur le financement de courtes périodes. Elles financent les biens de consommation. Or, l’installation des entreprises est fonction de l’investissement.
Le taux d’intérêt est beaucoup plus élevé pour les entreprises privées que les Etats. Cela décourage les entrepreneurs privés à faire de l’investissement. Dans ces conditions, il n’y a ni entreprise encore moins de création d’emploi et les jeunes se retrouvent en difficulté.
Mais le point le plus choquant est lié au fait que les pays africains, avec une productivité faible, ont été depuis toujours arrimés à une Europe (que ce soit avec le franc français ou l’Euro) très productive, moderne, avec une main-d’œuvre qualifiée et des entreprises performantes. Comment vous voulez que la parité fixe entre des gens hyper performants avec des rendements élevés et des gens peu performants et mal gouvernés puisse conduire à un entrepreneuriat en Afrique ? Non ! Et même en Europe, aujourd’hui, ça se constate.
À titre d’exemple, quand vous mettez dans le même panier les pays comme la Grèce, l’Italie l’Espagne et le Portugal, qui ont un rendement du capital faible et de productivité faible, vous les mettez en arrimage fixe à travers l’Euro, Deutsche Mark ; en réalité, l’Allemagne forte, vous brisez complètement la dynamique de ces économies du sud de l’Europe. Les entreprises vont s’installer en Allemagne et puis les chômeurs et les déficits font se retrouver de l’autre côté. Nous vivons cette situation en Afrique depuis l’instauration du Franc CFA.
Le Wagadu : Est-ce qu’on peut dire que le franc Cfa prône une domination ?
Koulibaly: Il a été conçu pour ça. Si vous créez les monnaies et que les structures économiques sont telles que vous n’avez pas besoin d’imposer par décret ou quoi que ce soit, les entreprises choisissent naturellement de s’installer en Europe et viennent chercher les matières premières en Afrique. Elles en font ainsi de la valeur ajoutée. Vous avez une logique coloniale : aller chercher des matières premières en Afrique pour venir améliorer les conditions de vie des Européens. Vous n’avez pas besoin de faire autre chose. La structure de la zone franc CFA encourage cela. Cette situation permet de financer le commerce mais pas l’investissement.
Qu’est-ce que vous voulez que les jeunes fassent dans ces conditions ? Ils vont là où il y a ces entreprises. L’Amérique est trop éloignée, ce n’est pas aisé. L’Asie est trop éloignée. Mais traverser le Sahel, la forêt, le Sahara et la méditerranéen pour aller là où les entreprises sont installées, est beaucoup plus facile. C’est ce que les jeunes font. Et c’est ce qui est déplorable avec le franc CFA.
Le Wagadu : En quoi consistent les états généraux sur le FCFA
Koulibaly: Ils consistent à organiser les sociétés civiles dans les Etats africains, des décideurs dans tous les pays pour leur expliquer en langue locale avec des schémas simples, pour leur dire, entre nous, ça suffit maintenant. Que dans les années 50, on a pu dire à nos parents que cette monnaie a été instaurée pour nous aider et nous sauver. Mais en 2020, où nous voyons que les mêmes systèmes d’exploitation ne marchent pas en Europe. En témoigne la crise grecque. Pourquoi voulez-vous nous maintenir dans un système qui ne marche pas chez eux ?
Ces états généraux servent à parler à la classe politique européenne, à la société civile, aux marchés de toutes nos capitales. Les structures de la zone franc CFA sont telles que les investissements se font en Europe et les matières premières sont pompées en Afrique. Ce qui empêche toute possibilité de créer des emplois.
Avec le FCFA surévalué par rapport au Cédi ou au Naria, aucun entrepreneur n’a intérêt à venir produire ici. Parce qu’il ne sera pas compétitif. Alors que si on brise ce CFA, qu’on a notre monnaie, qu’elle soit commune ou individuelle, faible ou peu importe. On la gère nous- mêmes, quelles qu’en soient les contraintes du jour, comme le dollar et le yen sont gérés.
La valeur du dollar change à chaque heure. Et c’est ce changement qui permet à des entreprises de faire des choix stratégiques, d’investir et puis de créer des emplois. Nous voulons que d’autres viennent trouver des solutions à nos problèmes. Mais les solutions qu’ils nous donnent n’optimisent pas notre problème, mais optimisent le leur. Nous sommes des contraintes autour de leur problème qu’ils utilisent dans la question. Mais l’objectif recherché est de maximiser le niveau de vie de leur population.
Le Wagadu : Qu’est-ce qu’il faut faire pour sortir du FCFA ?
Koulibaly: Dans la structure actuelle, seuls les chefs d’Etat peuvent décider. Si vous voulez que ceux-ci décident, il faut obliger tous les candidats à la présidence de la République à s’inscrire dans leur programme pour ou contre le CFA. Et puis, les populations vont savoir que monsieur x est pour ou contre le CFA. Et le président une fois élu doit mettre en route la procédure de dénonciation.
Parallèlement à cela, on peut dessiner les nouvelles monnaies, trouver leur nom et écrire les statuts de banque centrale. Si on est seul, il n’y a pas de problème. Si on est trois ou quatre, on fait un traité d’union. Mais la grosse contrainte c’est que si on fait une union de trois, quatre, cinq pays, la monnaie unique ne peut pas accepter cinq déficits budgétaires.
Le Wagadu : Est-ce que le Mali seul peut décider de sortir ?Koulibaly: Si, la Suisse avec cinq millions d’habitants a sa monnaie. Le Japon avec plus de deux cent millions d’habitants a sa monnaie. Le tout est de savoir c’est qu’on veut. Si vous avez votre monnaie, vous gérez votre budget correctement. La monnaie n’est pas liée au fait que vous nombreux ou pas. Elle s’adapte toujours à votre richesse.
Les pays qui sont seuls à avoir leur monnaie sont deux fois plus nombreux. L’Afrique compte plus d’une cinquantaine d’Etat et ce sont seulement quinze pays qui partagent le CFA. Les autres ont tous leur monnaie, ils ne sont pas plus malheureux comme nous. Et d’ailleurs, quand on regarde les performances, les Français investissent plus au Ghana, au Nigéria qu’en Côte d’Ivoire et au Mali. La monnaie ghanéenne est faible, oui, mais elle permet au Ghana de vendre. Idem pour le Nigéria.
Nous sommes arrimés à l’Euro qui est certes forte, mais ne nous permet pas de vendre. Les Allemandes vendent parce qu’ils sont compétents, qualifiés, dynamiques et productifs. Qui est fou pour venir construire une usine de transformation de l’or au Mali et ne pas pouvoir être capable de vendre à l’extérieur ? Il vaut mieux construire en Allemagne. C’est plus rentable avec cette monnaie de prendre le coton au Mali et transformer en Europe, que de construire une usine de transformation sur place.
Le Wagadu : Deux mots sur la politique intérieure de la Côte d’Ivoire. Comment se porte le parti LIDER et que pensez-vous de la libération de Laurent Gbagbo ? Est-ce que vous êtes en contact avec lui ?
Koulibaly: Le parti LIDER se porte très bien et est en progression. J’espère que sa montée en puissance va conduire à mon accession à la présidence de la République. Je suis en contact avec le président Laurent Gbagbo et je suis même parti le rencontrer. Sa libération, je pense que c’est ce qu’il y avait de mieux à faire. Elle est en retard de sept ans parce qu’il n’aurait jamais dû être là-bas. Si Ocampo n’avait pas été un procureur truand, si Ouattara et ses amis n’avaient pas fait des pressions et des arrangements pour le faire partir. Il n’aurait jamais quitté la Côte d’Ivoire. Il y a eu vice de procédure depuis le début. Il y a eu manquement à tout le processus. Vivement qu’il revienne et qu’il se remette dans le jeu politique.
Le Wagadu : Etes-vous prêt à retrier la Côte d’Ivoire du franc Cfa au cas où vous seriez élu président de la République ?
Koulibaly: Ma position est connue. J’ai ouvert la campagne en 2000. J’avais déclaré que si Gbagbo Laurent gagne, on réglera l’histoire du FCFA. Je le répète depuis. L’avantage est que les Français connaissent mon point de vue sur la question. Ils savent que le jour où Koulibaly sera président de la République, il retirera la Côte d’Ivoire du FCFA. Et je le réitère.
Je n’ai d’autre ambition que ça : finir avec cette servitude et cette moquerie. Le FCFA est moralement insupportable, politiquement inique, socialement inadapté et indigne. Il ne faut pas qu’on dise que les hommes et les femmes ont accepté de se faire rouler dans un système qui n’a ni tête ni queue. Et tout le monde le sait. Ça va me coûter ce que ça vaudra. D’autres ont été tués et ce n’est pas pour autant que je vais arrêter. Rien ne m’arrêtera sur ce chemin. Et peu importe les conséquences.
Propos recueillis par Abdrahamane SISSOKO
Source : Le Wagadu