La corruption au sein des universités, la baisse de niveau des étudiants et la qualité de l’Enseignement supérieur, étaient des sujets au cœur de notre discussion avec Pr. Idrissa Soiba Traoré, spécialiste de science de l’éducation, Recteur de l’université des lettres et des sciences humaines de Bamako (ULSHB). L’interview s’est déroulée ce jeudi 20 mai 2021 à Kabala.
Mali Tribune : Quelle est la lecture que vous faites du niveau des élèves et la qualité de l’enseignement supérieur ?
Pr Idrissa Soiba Traoré : La baisse de niveau des étudiants est à relativiser car dans chaque génération il y a des bons et des mauvais élèves. Le Mali est rentré dans le cadre de l’école française bien avant les indépendances et durant cette période il y avait des mauvais élèves. Sous le régime de Moussa il y en avait même s’il est dit aujourd’hui qu’ils étaient plus performants que les élèves actuels. De nos jours, on peut constater qu’il y a aussi des meilleurs élèves. Ce qui est constat d’ordinaire c’est qu’il y a plus de mauvais élèves depuis 1991. De mon point de vue personnel, l’école a perdu ses traits de noblesses pendant les années 1994. On constate qu’au Mali, l’école fonctionne mais elle n’est pas efficace. Elle est censée donner les savoirs qu’il faut, à l’apprenant qu’il faut et au niveau qu’il faut. Il y a aussi un paradoxe, en réalité le niveau des élèves doit monter car aujourd’hui les nouvelles technologies de l’information et de la communication offrent un éventail de sources de connaissances aux enfants. Mais ils ne les exploitent pas pour des fins judicieuses. Sur l’internet, il y a une panoplie de savoirs à travers lesquels on peut accéder aux savoirs.
Mali Tribune : Selon vous, qu’est ce qui favorise cette baisse de niveau des étudiants ?
Pr. I. S. T. : Il y a les années scolaires tronquées, les effectifs pléthoriques, la corruption et le non engagement des étudiants. C’est difficile à juger parce que pour être dans l’enseignement supérieur, il faut avoir des pré acquis. Par exemple, en tant que professeur d’université, on ne peut pas comprendre qu’un étudiant ne parvienne pas à faire un accord au participe passé parce que pour l’enseignant, l’étudiant, après avoir été formé au niveau du fondamental et du secondaire, doit maîtriser ces petites notions. Après mes enquêtes, je peux dire que beaucoup d’enseignants du fondamental, secondaire et même supérieur ne sont pas qualifiés. Les élèves ne sont pas bons parce qu’il y a des enseignants aussi qui ne sont pas bons. Souvent on ne se pose pas ces questions. Chaque fois qu’on parle de baisse de niveau des élèves, on jette l’anathème sur les apprenants et ce n’est pas normal. Il faut avoir un jugement objectif qui nous permet de nous poser la question sur la capacité réelle des enseignants à transmettre la connaissance. Nos apprenants trouvent beaucoup de difficultés parmi lesquelles les années non achevées, disons même qui sont tronquées. Cela peut avoir un impact sur le niveau des étudiants. Un autre facteur lié à la baisse de niveau des élèves est l’effectif pléthorique. Il est plus facile pour un enseignant de s’occuper d’un public qui n’est pas très large tels que 25 où 20 personnes. En master ici, on n’a que 15 étudiants dans la classe.
Dès que l’effectif est réduit, on peut donner la plénitude de nos moyens et on peut contrôler tout le monde. Nous pouvons aussi mettre en place un système de médiation pour ceux qui ont des difficultés, arrivent à se hisser au même niveau des autres étudiants.
Mali Tribune : Les étudiants ne voient pas pratiquement leurs copies d’examen après les corrections d’où ils ignorent ce que l’enseignant leur reproche concrètement, qu’en dites-vous ?
Pr. I. S. T. : Oui par ce qu’on ne fait pas d’évaluation formative. Avec un seul devoir ou évaluation par trimestre, on ne peut pas régaler le niveau d’un étudiant. Il y a ce qu’on appelle l’évaluation formative et l’évaluation sommative. L’évaluation formative est une appréciation qui est formelle c’est-à-dire que le professeur vous évalue sans prendre en compte les notes. C’est un devoir qui permet à l’enseignant de donner des conseils aux étudiants. Si on faisait cette évaluation, les enseignants pouvaient apprécier et remettre les copies à chacun pour pouvoir discuter avec les étudiants autour de leur feuille. Normalement, avec le système LMD, le temps de travail personnel pour les apprenants doivent être axé absolument sur ça ou les travaux dirigés (TD). Par exemple, en tant qu’enseignant, je relève les erreurs et j’ouvre toute une discussion autour de cela pendant 1 heure. Il arrive que des étudiants puissent se reconnaître dans les explications et qui peuvent poser les questions. Ne pas avoir accès aux feuilles d’examen, est un problème extrêmement compliqué, mais c’est la loi des examens. Ce qu’il faut faire en amont, c’est de faire une première évaluation qui permet aux étudiants de voir et corriger leurs erreurs. C’est l’évaluation sommative qui note réellement l’étudiant.
Mali Tribune : Pensez-vous réellement qu’il sera possible de réduire le nombre d’étudiants dans les classes ?
Pr. I. S. T. : C’est possible si on fait de l’éducation une priorité et un cheval de bataille. Il y a des nombres qui sont fixés par des organismes comme l’Unesco, c’est 50 au maximum dans les classes. En 1991, quand je faisais le lycée, je ne suis jamais rentré dans une classe de plus de 23 personnes. Aujourd’hui le système du département lettres est un bon exemple. Même si les gens doivent se retrouver dans les cours magistraux avec un effectif pléthorique, il faut qu’il y ait beaucoup de travaux dirigés (TD) pour que les gens se retrouvent avec un effectif réduit. Cela permet de retravailler ce qui a été fait en collectif. La pléthore dans un cours magistral n’est pas une condamnation car on peut se rattraper avec des travaux dirigés. Mais lors des TD, il faut impérativement des effectifs raisonnables. Il y a des étudiants qui peuvent même se décourager et d’autres qui sont asthmatiques pourront par peur refuser de rentrer en classe. J’insiste sur la question de la pléthore. C’est possible, même si on doit faire une sélection à l’entrée. Au Mali on permet d’orienter tout le monde dans l’enseignement supérieur et ce n’est pas normal. La qualité se construit et ne se décrète pas. Ce n’est pas une décision gouvernementale qui permettra aux gens d’avancer, on veut la qualité, il faut qu’on y mette du prix. On met le chou et la salade ensemble, finalement ça ne fera meilleur ménage. Ceux qui ne sont pas bons vont contribuer même à influencer ceux qui sont bons.
Mali Tribune : Quelles sont les solutions idoines que vous proposez pour que cette baisse de niveau ne perdure pas dans 10 ans après ?
Pr. I. S. T. : Que les étudiants apprennent à travailler en équipe surtout en l’absence des professeurs au lieu de jouer sur WhatsApp. Ils peuvent former des groupes de 15 personnes chez un camarade pour réviser et s’exercer sur les différentes leçons. Que les autorités mettent aussi à la disposition des étudiants les moyens nécessaires pour qu’ils puissent étudier. Il est arrivé des années où nous avons fait les examens sans que les étudiants puissent toucher à leurs trousseaux alors que cette allocation est destinée à acheter les petits matériels pour commencer les cours. Aussi équiper les salles pour permettre un libre accès à l’internet et que nous les sensibilisons afin qu’ils l’utilisent en bon escient pour avoir un contact permanent avec le savoir. A travers l’internet, les étudiants peuvent approfondir le cours de l’enseignant.
Il y a aussi lieu de construire et d’équiper la bibliothèque universitaire du Mali. Les étudiants doivent consulter les documents de la bibliothèque. On ne peut pas étudier sans lire ni s’exercer. Ils doivent faire preuve de responsabilité en terme de construction du savoir et qu’ils sachent que l’essentiel pour eux est d’étudier et d’avoir un diplôme non un simple papier. C’est un papier lorsqu’ils utilisent les moyens détournés pour l’avoir.
Nous avons une masse critique d’enseignant qui a les compétences nécessaires et qui rivalisent a fortiori avec les pays de la sous-région. Il y a beaucoup d’enseignants chez nous qui ont été évalués par Cames et qui avancent en grade. C’est difficile de leur faire trop de reproches.
Il faut toutefois qu’on construise un bon soubassement, de fondamental jusqu’au secondaire. Pour cela il faut choisir des bons enseignants à la base. J’ai fait ma thèse sur la décentralisation et à un moment donné les maires, au lieu de recruter les enseignants de qualité, ils se sont mis à recruter leurs parents et certains n’avaient même pas de certificat d’études fondamentales. A défaut des connaissances nécessaires on ne peut pas enseigner. Il faut mettre un accent sur le recrutement des enseignants de qualité et faire un test de connaissances pour enlever tous les mauvais de notre système. C’est l’enseignant le plus doué qui doit être mis en première année fondamentale.
Il faut que les années scolaires puissent être achevées, qu’on puisse mettre fin aux grèves intempestives. Il y a un devoir de la part du syndicat mais aussi de la part du gouvernement pour qu’ils puissent rester dans les actions de médiation pas des exaltions de rupture. Les effectifs doivent être raisonnables dans les classes. L’intelligence n’est pas congénitale et chaque fois qu’on s’intéresse au savoir on va s’enrichir. Il n’y a pas un miracle celui qui ne travaille pas, il échoue.
Fatoumata Kané