Professeur d’Enseignement Supérieur, Chercheur, Journaliste, Ecrivain, Fondateur de l’Université Mandé Boukary, qui mieux que Cheibane Coulibaly pouvait attirer notre attention pour se prononcer sur l’épineuse question de l’Education ? La recherche de solution de crise passe par des préalables, selon lui : le réalisme qui demande une définition précise des contours de la crise et des enjeux les plus cruciaux, la conscience claire des capacités réelles des différents groupes qui financent l’école et donc le courage d’admettre que l’Etat –providence, c’est bien fini, indique –t-il. Mais le gros du problème ne relève t-il pas d’une crise de confiance entre syndicats et décideurs ? Cheibane se prononce sans esquiver.
Il faut, enfin, souligner que pour l’enseignement supérieur public, les grèves des enseignants ont trouvé que la situation de l’année universitaire était déjà bien compromise, principalement pour les premières années (les nouveaux étudiants).
Ces précisions apportées, on ne peut que déplorer les conséquences des grèves des enseignants du public sur l’année scolaire et universitaire. Il est triste que le manque de confiance entre les autorités maliennes et les syndicats des enseignants ait amené ce durcissement. Les leaders et les militants des syndicats savent parfaitement que toutes leurs revendications ne peuvent pas trouver de solutions immédiatement et pour certaines d’entre ces revendications, même pas à moyen terme. Les autorités maliennes ont aussi conscience que si un minimum de revendications – minimum acceptable par les syndicats – n’est pas satisfait, on ne sort pas du blocage.
Les deux parties n’ont pas confiance dans l’intégrité l’une de l’autre. Or l’expérience de la lutte de l’ANC, surtout lors des négociations finales avant les élections démocratiques, montre que quel que soit l’éloignement des points de vue des adversaires, le fait de croire à l’intégrité l’un de l’autre permet de trouver des solutions et d’avancer.
Y a t- il moyen de faire en sorte que les syndicats croient en l’intégrité de l’Etat et que ce dernier croit à l’intégrité des leaders syndicaux ? C’est la grande question aujourd’hui.
Les syndicats d’enseignants revendiquent, entre autres, l’alignement des salaires des enseignants de l’enseignement supérieur et des chercheurs de l’éducation sur ceux de leurs homologues de la sous région, l’indemnité de logement et l’intégration des enseignants contractuels dans la fonction publique de l’Etat et non des collectivités. Quels sont vos points de vue?
Ces revendications sont légitimes mais cela ne les rend pas réalistes et réalisables à court ou moyen terme. Les syndicats maliens, bien que disposant de militants qui sont des cadres très compétents, n’entreprennent généralement pas d’études sur la situation économique réelle du pays, la composition du budget, les possibilités réelles de réaménagement budgétaire, l’impact socio-économique des grèves sur l’ensemble de l’économie nationale, etc. L’expérience des syndicats allemands est très instructive à ce sujet.
Pour en revenir aux revendications dont vous avez parlé, si l’on écoute certains économistes, la satisfaction de ces revendications ressemble à la recherche de la quadrature du cercle. Ces économistes préconisent une réduction du nombre de fonctionnaires afin que ceux-ci aient des salaires intéressants. Ils recommandent qu’il n’y ait pas de licenciements mais que pour deux fonctionnaires qui vont à la retraite, un seul soit remplacé. Une telle démarche exclut d’emblée l’intégration de tous les contractuels dans la fonction publique de l’Etat.
Cette fonction publique de l’Etat attire beaucoup de Maliens, malgré la faiblesse des salaires, non pas parce qu’elle procure « la sécurité » mais pour deux autres raisons moins avouables, celles-là : elle assure l’impunité pour tous les comportements contraires à l’éthique du travail et surtout elle offre les occasions de profiter de la rente que la gestion de l’Etat procure aux différents agents de l’administration. Sans verser dans la provocation, si les mêmes opportunités d’impunité et d’enrichissement illicite sont créées au niveau de la fonction publique des collectivités, l’on assisterait à un autre scénario.
Que pensez-vous de la gestion faite par l’Etat de ces multiples grèves?
La gestion faite par l’Etat de ces grèves a jusqu’ici été une des raisons non seulement de leur multiplication mais également de leur durcissement. J’ai été membre de plusieurs commissions de médiation entre les syndicats d’enseignants et les autorités en charge de l’enseignement. J’avoue ma grande déception : bien souvent l’Etat n’envoie pas de véritables négociateurs capables de prendre des décisions et bien plus souvent l’Etat n’honore pas les engagements pris, de sorte que nous, les médiateurs, nous avions parfois le sentiment d’être complices d’un jeu qui cherchait à flouer les syndicats.
Cela fait qu’il est difficile aujourd’hui de trouver des arguments pour que les syndicats aient foi en l’intégrité des équipes chargées de l’administration scolaire et universitaire.
C’est pourquoi nous autres médiateurs, parents d’élèves, etc. demandons aux syndicats d’accorder une chance à la nouvelle équipe installée suite au forum sur l’éducation, d’accorder une nouvelle chance à l’école publique malienne. C’est pourquoi aussi je leur répète ce proverbe, bien de chez nous: « Si pour chaque tort du berger, tu rases le parc, tu finiras par ne plus avoir de troupeau ».
La recherche de solution de crise passe par des préalables :
1 – le réalisme qui demande une définition précise des contours de la crise et des enjeux les plus cruciaux, la conscience claire des capacités réelles des différents groupes qui financent l’école et donc le courage d’admettre que l’Etat –providence, c’est bien fini.
2 – le pragmatisme qui demande de sortir des dogmatismes idéologiques surannés mais mortels aujourd’hui – qui ont bercé les jeunes âges de certains d’entre nous – et de ne pas verser dans le cynisme criminel du libéralisme tous azimuts.
Ce n’est pas l’école malienne qui est en crise, c’est l’école publique malienne qui est en crise. Une des raisons fondamentales de cette crise de l’école publique est incontestablement le fait, comme le dit l’ancien Premier ministre français Laurent Fabius, que l’Etat-providence se paupérise et qu’il ne peut plus être « …un coffre fort ouvert à l’accroissement des dépenses ».
L’équipe qui gère aujourd’hui l’école malienne a le courage de reconnaître qu’il n’est pas possible d’intégrer tous les enseignants contractuels à la fonction publique d’Etat. Ceci est à mettre à son crédit et peut servir de fondement à son intégrité. Elle devra avoir le courage de dire aussi que l’Etat malien n’a plus les moyens, pour différentes raisons, d’accorder une bourse à tous les bacheliers et qu’il faut définir des critères clairs et consensuels d’attribution de l’aide de l’Etat aux étudiants.
Le pragmatisme nous pousse à l’analyse des expériences d’autres pays. Pour garder ses jeunes Assistants d’enseignement supérieur, la Guinée voisine, où les salaires sont plus bas qu’au Mali, a eu la stratégie suivante : les Assistants ont un salaire pendant le semestre au cours duquel ils assurent des enseignements à l’université d’Etat ; pendant l’autre semestre ils ont une indemnité et gardent certains avantages de leur statut de fonctionnaire (mise à disposition d’un bureau à l’université d’Etat, accès à la bibliothèque, etc.). Mais ils sont dispensés d’enseignement dans cette université et pendant ce semestre, ils peuvent donc donner des cours dans les universités privées ou faire le consultant pour des études et recherches au profit des ONG ou autres structures de recherche.Il n’y a pas de recettes en la matière mais voilà quelques éléments qui peuvent aider à trouver des pistes de solutions.
Propos recueillis par Hadama Fofana