Les Premières Dames de l’Afrique de l’Ouest se rencontrent dans notre pays en vue d’évaluer les efforts des gouvernements dans le cadre de la protection de la santé de la femme et de l’enfant. A quelques jours de l’ouverture de cette rencontre combien importante pour le continent, nous avons rencontré le Professeur Amadou Dolo, gynécologue obstétricien, Chef du service gynécologie du CHU Gabriel Touré du Mali. Il est aussi le point focal national de Vision 2010. Dans cet entretien exclusif, il nous fait le point sur la lutte contre la mortalité maternelle et néonatale engagée par le Mali. Et livre quelques appréciations sur Vision 2010. Lisez plutôt!
Le Pouce : La problématique de la mortalité maternelle et néo natale reste une préoccupation essentielle. Quels sont les efforts accomplis dans ce sens par le Mali ?
Pr Amadou Dolo : Comme vous l’avez dit, c’est une question prioritaire dans notre pays et dans la politique de développement de notre pays. Parce que si les niveaux de mortalité se maintiennent, notre développement sera complètement compromis. Car, si nous voulons nous développer, nous devons, prioritairement, nous charger de cette question. C’est pour cela que tous les secteurs de la vie publique sont concernés, puisqu’ils participent au développement. Et quant il s’agit d’une question de développement, chaque secteur prend sa part .Ce que je veux vous dire, c’est que la multi sectorialité de la lutte contre la mortalité maternelle et infantile, est établie depuis toujours. Il faudrait que quand nous élaborons nos stratégies secteur par secteur, qu’on fasse cas de cette lutte- là. Dans notre pays ce qui a été fait l’a été après que la vision 2010 a été adoptée par les 1ères dames de notre sous région. Pour le Mali, il y a déjà une déclaration de politique générale du Premier ministre devant l’Assemblée Nationale de notre pays pour hisser la question de la mortalité maternelle en priorité politique. C’est une bonne chose. Et bien sûr que cela a des conséquences. Une des conséquences, c’est de mettre les moyens à disposition pour que cette politique puisse être menée. Des moyens financiers, parce que c’est la chose la plus importante. Quand on regarde les budgets de nos pays avant 2001, il y a très peu de pays qui atteignaient des niveaux de 30% de budget national accordé à la santé. Et la question était tellement importante que les chefs d’Etat se sont penchés là- dessus pour dire qu’il faut que le budget de la santé, si nous voulons aller vers le développement, atteigne au moins 15% . Et à la date d’aujourd’hui, nous n’avons pas fait l’évaluation finale mais nous avons très peu de pays qui ont atteint ce niveau de 15%. Pour notre pays le Mali, nous étions autour de 6%, 7% en 2001 et nous sommes actuellement à un niveau de 11% environ. Donc, vous voyez que nous avons fait des progrès extraordinaires. Ça, c’est un aspect. L’autre aspect, c’est que nous avons des dispositions juridiques à prendre pour faire en sorte que ces dispositions puissent promouvoir la santé des populations et plus particulièrement les femmes. Une de ces dispositions c’est de faire en sorte que les filles aillent à l’école. Si possible que la scolarisation des filles soit nettement améliorée. Il faut également que des pratiques traditionnelles comme l’excision qui compromettent la santé, puissent faire l’objet d’une réflexion et d’une décision nationale sur la question. Il faudrait également que nous fassions en sorte que les adolescents qui rentrent dans une vie sexuelle active, puissent avoir les possibilités d’accéder à la contraception. Toutefois, c’est des situations qui sont, tout à fait, importantes. Il y a par rapport aux actions menées dans notre pays, par exemple l’éducation des filles, des bourses qui sont attribuées à des petites filles pour les soustraire des tâches ménagères. Il y a aussi des dispositions qui font que les jeunes filles qui tombent enceintes et qui sont élèves, ne puissent pas être exclues. Par rapport au secteur de la santé, nous avons plus de 1000 centres de santé communautaire. Nous avons une politique de développement de ressources humaines. Il y a même des écoles de formation socio- sanitaires qui se créent et qui sont même décentralisées. Nous avons aussi une politique d’équipement des structures et de mise en place d’un système de référence et de contre- référence qui permet de mettre en relation fonctionnelle des structures de niveaux différents. Parce qu’on peut tomber malade dans les confins de notre pays, mais cela ne veut pas dire que vous ne pouvez pas accéder aux plus hauts spécialistes de notre pays à Bamako. Si le système se déclenche, vous allez avoir droit, très rapidement, à des soins appropriés et de qualité. Ces questions sont diverses, il y a celle de la nutrition, de la vaccination des enfants, de la distribution des moustiquaires imprégnées d’insecticides pour le paludisme, de la distribution des antirétroviraux aux personnes vivant avec le VIH/SIDA. Il ya aussi des dispositions qui permettent de sauver un enfant porté par une mère séropositive. La gratuité de la césarienne qui fait qu’une femme qui a besoin de la césarienne va l’obtenir quand bien même elle n’a pas les ressources financières pour ce faire puisque c’est payé pour elle par l’Etat. Ce qu’il y a lieu maintenant, c’est de procéder à diminuer les retards dans ce domaine. C’est des actions décisives.
Le Pouce : L’organisation de la référence évacuation permet de prendre en charge les insuffisances-obstétricales. Est- ce que cela est une réalité dans les différentes localités de notre pays ?
Pr Amadou Dolo : Elle est palpable. Nous avons la césarienne qui est pratiquée dans les hôpitaux et dans les centres de santé de référence. Notre pays compte à la date d’aujourd’hui, environ 59 centres de santé de référence qui existent dans toutes les régions du pays. Et nous avons délimité des aires sur la base desquelles les centres de santé ont été faits. Autour des centres de santé de référence, nous avons des centres de santé communautaire qui gravitent. C’est quand il y a une difficulté d’accouchement, l’accès au centre de santé de référence est réglé. Il y a le système de référence et de contre- référence. Il y a aussi le système de référence évacuation par la disponibilité des ambulances qui vont jusqu’au niveau du centre de santé communautaire pour acheminer cette femme vers le centre de santé de référence. La grande question reste de la maison au centre de santé. C’est souvent là qu’il y a le retard. Mais partout où il y a un centre de santé de référence, il y a un spécialiste en chirurgie obstétricale pour réaliser dans les délais cette césarienne et les disponibilités de service 24 heures sur 24. Bien sûr que c’est un système qui est mis en place depuis 2005. Il a ses insuffisances. Mais nous sommes en train de les corriger. Tout ce qui concoure à la gratuite de la césarienne est mise en place et ça ne peut que s’améliorer.
Le Pouce : Quelle peut être la contribution des médecins notamment les gynécologues obstétriciens dans la croisade contre la mortalité maternelle et néo natale ?
Pr Amadou Dolo : Les Gynécologues obstétriciens sont au même titre que les autres agents de santé, des acteurs importants dans cette croisade. Les gynécologues obstétriciens d’autant plus que leur secteur d’activité essentielle, c’est la mère et l’enfant, c’est dans ce secteur- là qu’ils évoluent chaque instant, chaque jour que Dieu fait, pendant des mois, pendant des années. Donc ils doivent s’organiser conséquemment pour que ce travail se fasse bien. Malheureusement, nous n’en avons pas suffisamment dans notre pays. Et pour palier cette insuffisance, en 2005, nous avons ouvert au Mali la spécialisation en génécologie obstétrique. Nous avons déjà deux (02) promotions. La 3e sortira dans quelques semaines. Et nous espérons, dans un avenir proche, pouvoir doter tous les 59 centres de santé de référence en gynécologues obstétriciens pour que la couverture en ressources humaines soit satisfaisante. Voilà un peu leur place. Ils sont à un niveau, suffisamment, élevé de technicité. Et une équipe gravite autour d’eux pour pouvoir répondre aux attentes de la population et prendre en charge de façon optimale les urgences obstétricales. Je pense à ce titre, qu’ils sont extrêmement importants. Mais seuls, ils ne pourront rien faire s’ils ne sont pas dans une équipe où chacun joue sa partition.
Le Pouce : Pour le citoyen lambda, qu’est-ce que la Vision 2010 ?
Pr Amadou Dolo : Pour le citoyen lambda, la Vision 2010, c’est qu’on peut décéder au cours de la grossesse et au cours de l’accouchement. Chacun, malheureusement, peut apporter d’exemples dans sa famille et dans son environnement le plus proche. Dans la Vision 2010, c’est de dire que ce n’est pas une fatalité. Si nous nous mettons ensemble et que nous nous organisons, si nous nous donnons les moyens, nous pouvons faire en sorte que cela puisse diminuer de façon très significative et rapidement dans le temps. Et les premières Dames de nos pays nous invitent à cela. C’est ça l’Initiative 2010. Venez, nous allons vous appuyer auprès de nos épouses qui sont les épouses de nos Chefs d’Etat. Nous allons permettre à ce que les gouvernements reçoivent des messages qui leur font prendre des décisions pour que cette catastrophe, cette tragédie, diminue.
Le Pouce : Les efforts accomplis dans la lutte contre la réduction de la mortalité maternelle sont-ils, aujourd’hui, porteurs d’espoir ?
Pr Amadou Dolo : Oui, les efforts accomplis sont porteurs d’espoir. Nous qui sommes dans le secteur de la santé et moi qui suis comme d’autres collègues, gynécologue obstétricien, c’est tous les jours que nous sommes confrontés à cette question. Il y a quelques années quand j’arrivais jeune gynécologue obstétricien en 1983, nous appréhendions beaucoup le service à l’hôpital parce que les moyens étaient généralement absents. L’organisation en place n’était pas d’une efficacité avérée et nous voyions, malheureusement, beaucoup de femmes décéder parce que nous n’avions pas les moyens de faire ce qu’il fallait faire. Aujourd’hui, nous pensons que nos maternités qui étaient de mouroirs sont loin de cette réalité. Très peu de catastrophes surviennent dès lors qu’on arrive dans la structure. Parce que nous sommes organisés conséquemment. Nous avons des moyens assez conséquents pour faire face à la plupart de ces situations. Et nous-mêmes sommes en nombre beaucoup plus important. En 2003, quand je venais à l’hôpital du Point G, il n’y avait que deux gynécologues. Un expatrié et moi. Alors qu’aujourd’hui, dans mon seul service, nous sommes sept (07) gynécologues obstétriciens et deux jeunes qui sont venus se joindre à nous et cela fait neuf (09). Vous voyez que comparaison n’est pas raison. Mais convenez avec moi qu’il y a des progrès qui ont été accomplis.
Le Pouce : Vision 2010 est arrivée à échéance l’année dernière, les résultats engrangés sont-ils suffisants ?
Pr Amadou Dolo : Les résultats ne sont pas suffisants, parce que nous avions dit qu’il faut réduire de 50% la mortalité maternelle et néo natale et de 30% la morbidité maternelle et néo natale. Si nous nous référons aux tendances, nous savons que dans la plupart de nos pays, les résultats ne sont pas suffisants. Mais la tendance est amorcée. Nous sommes à une baisse rapide. Je crois que c’est cela qui est le plus encourageant. Je dirais bravo aux uns et aux autres pour l’effort accomplis, bravo aux premières Dames, bravo à nos gouvernements pour avoir tout mis à l’œuvre pour aller dans le sens de l’accélération. Nous sommes sur la bonne voie, poursuivons ! Si nous n’atteignons pas les Objectifs du Millénaire pour le Développement, nous n’en serons pas très loin. Je crois que le jeu en vaut la chandelle. Il faut maintenir cette flamme et la raviver constamment. Il faut que chaque citoyen s’engage dans la lutte. C’est à cela que nous nous attelons et à cela que vous aussi vous travaillez et je pense qu’il faut prier pour que nos vœux soient exaucés.
Entretien réalisé par
Tiémoko Traoré