Combien de marques de thé sur le marché malien disposent, à ce jour, des autorisations de mise sur le marché ? Comment se font les procédures de contrôle sanitaire des produits alimentaires, en particulier le thé ? Quelles sont les structures habilitées à le faire ? Ce sont des interrogations que se posent les consommateurs maliens depuis « la découverte par l’Institut national en Santé publique (INSP), des résidus de pesticides dépassant le seuil du tolérable sur un échantillon du lot JX403120046 du thé vert de Chine « Achoura ». Le directeur général de l’Institut, Pr. Akory Ag Iknane, dans cette interview, répond à toutes Ces interrogations.
Mali-Tribune : Comment se fait le contrôle sanitaire des produits alimentaires, en particulier le thé au Mali ?
Pr. Akory Ag Iknane : Notre rôle c’est d’assurer la sécurité sanitaire des consommateurs maliens à travers l’évaluation des risques, la communication sur ces risques pour informer largement la population. Cette communication se fait à travers les autorisations de mise sur le marché avec un logo précis. Ce logo certifie que le produit a été évalué, donc propre à la consommation, et qu’il ne court aucun risque, aucun danger pour les consommateurs. Ce n’est pas le thé uniquement, mais pour tous les produits alimentaires.
Le troisième élément c’est la gestion des risques. Cette gestion se fait en fonction du type d’aliment. Si c’est un aliment d’origine végétale, c’est le ministère de l’Agriculture. Si c’est un produit d’origine animale, c’est le ministère de l’Elevage et de la Pêche… L’Institut national en Santé publique assure la coordination de ces structures qui sont chargées de la gestion de ces risques.
Mali-Tribune : Quelles sont les différentes étapes par lesquelles un produit destiné à la consommation, le thé en particulier, doit-il passer avant sa mise sur le marché ?
Pr. A. A. I. : En principe, aucun produit destiné à la consommation humaine ou animale ne doit être mis à la consommation sans être soumis à une autorisation de mise sur le marché. Par contre, on ne peut pas faire une autorisation de mise sur le marché sur des produits comme la viande de mouton qu’on tue pour vendre. C’est le vétérinaire qui doit en principe vérifier avant l’abattage.
C’est toute une procédure d’évaluation qui va se faire. Si c’est une industrie au niveau local. L’unité industrielle est visitée. Nous allons voir pendant toute la chaine de fabrication si les mesures d’hygiène sont respectées par l’usine et même par les employés pour que les germes ne s’introduisent pas.
Après ce contrôle, les gens qui veulent mettre le produit sur le marché pour la consommation au grand public, doivent pouvoir demander l’autorisation de mise sur le marché.
Mali-Tribune : La demande est examinée par qui ?
Pr. A. A. I. : En fonction du conditionnement et du produit, elle est examinée par une commission d’autorisation de mise sur le marché qui comporte toutes les disciplines : des vétérinaires, spécialistes de la toxicologie, l’association des consommateurs. C’est une commission nationale qui valide le produit.
Dans cette validation du produit, il y a en plus une équipe indépendante de nous, qui va faire cette étude-là pour voir si c’est correct. Le consommateur aussi doit nous envoyer l’aliment après une analyse au laboratoire pour dire qu’il est indemne de tout contaminant.
C’est avec tous Ces dossiers que le produit passe devant la commission d’autorisation de mise sur le marché. Même l’emballage est vu au crible pour voir s’il n’y a pas des informations mensongères avant de pouvoir donner l’autorisation. La composition également de l’aliment doit apparaitre sur l’emballage. Les consommateurs ont droit de voir ce qu’ils consomment.
Si la commission valide ce produit, elle fait un rapport. Une décision est ensuite envoyée au ministère de la Santé qui signe l’autorisation de mise sur le marché. Elle a une durée de validité de cinq ans renouvelables.
Même si vous avez l’autorisation de mise sur le marché, on peut aller évaluer sur le terrain pour voir si les normes sont encore respectées. Cette action de contrôle est faite par notre structure. Ce n’est pas parce que vous avez un logo qui montre que le produit est bon pendant le processus, mais les conditions d’hygiènes peuvent changer. Si on s’en rend compte, on peut le retirer sur le marché.
Mali-Tribune : Est-ce que les contrôles des produits importés sont effectués depuis la frontière ou c’est dans les boutiques ?
Pr. A. A. I. : En principe aussi bien pour les médicaments que les produits alimentaires lorsqu’ils rentrent sur le sol malien, d’abord si c’est des produits alimentaires, vous devrez justifier un certificat qui prouve qu’il est consommé là où il a été fabriqué et qu’il n’est nuisible pas là-bas. Si le produit rentre, en principe des échantillons sont faits pour l’analyser avant la consommation.
En son temps, il y a eu une recommandation 2007-07 de l’Uémoa qui préconisait que les structures qui évaluaient les risques doivent aussi gérer les risques. Ça n’a pas été fait au début. Parce que quand je valide le risque et que c’est moi qui te sanctionne à la fois, ce n’est pas éthique. Mais on a vu qu’il y a des problèmes dans beaucoup de pays. C’est pourquoi l’Uémoa a dit que malgré les difficultés, il faut que ceux qui évaluent les risques gèrent aussi les risques pour qu’il ait moins de problèmes. Le Mali n’a pas ratifié cette loi 2007-007 de l’Uémoa.
Mali-Tribune : qu’est-ce qui bloque ?
Pr. A. A. I. : Je ne suis pas de l’administration. Je suis technicien. Notre rôle c’est d’évaluer les risques, de communiquer là-dessus et coordonner la gestion des risques. Mais le fait de le retirer du marché ne nous appartient pas.
Si nous constatons un problème avarié sur le marché, on informe la structure compétente. Si c’est un produit d’origine animale, on saisit le ministère de l’Elevage et de la Pêche. Ce sont eux avec le ministère du Commerce et de la Concurrence qui peuvent retirer le produit en question qu’il constitue un risque pour les consommateurs.
Mali-Tribune : Le marché malien accueille près de 200 marques de thé, est-ce que ces produits ont une autorisation de mise sur le marché donnée par des services de santé et d’hygiène ?
Pr. A. A. I. : En ma connaissance non. C’est pourquoi nous devrons travailler ensemble, communiquer pour protéger les consommateurs. Il n’y a pas mieux que le consommateur pour respecter les choses. Il est mieux qu’il soit bien informé pour qu’il soit lui-même responsable de la décision qui le concerne.
En son temps, on avait demandé, à l’image de la taxe emploi jeune qui était payée par les entreprises, de faire une taxe pour que déjà, au cordon aéroportuaire, que nous ayons un agent, qui, dès qu’un aliment rentre sur le sol malien, prélève l’échantillon, l’analyse pour voir s’il n’a pas de contaminant direct comme des germes. Si c’est indemne, il peut aller à la consommation. Mais, nous continuerons à rechercher les autres contaminants dont l’action n’est pas immédiate dont les métaux lourds…
Si on constate qu’il y a un seuil qui dépasse les normes, on peut aller retirer le produit sur le marché. Ça n’a pas été fait.
C’est pourquoi quand le produit arrive, il y a un échantillonnage qui est fait. Nous n’avons pas le laboratoire, nous sommes contraints d’aller dans un autre laboratoire et il faut payer immédiatement. Les analyses coûtent cher. Souvent, nous n’avons pas de ressources.
C’est pourquoi, nous pensons que les structures qui évaluent les risques doivent avoir les moyens pour faire elles-mêmes l’analyse et rendre rapidement le résultat. Si le produit est indemne, dans les 24h qui suivent, on a les résultats. L’importateur pourra avoir la patience d’attendre ce délai. C’est la meilleure façon de protéger les consommateurs. Ça permet de protéger les populations et aussi de ne pas aussi créer des désagréments pour l’exportateur. Notre rôle n’est pas de bloquer les importateurs ni le revenu des Maliens, mais plutôt de le favoriser.
Au niveau de l’Institut national en Santé publique, nous avons commandé des matériels de toxicologie, on veut remettre en place le laboratoire de toxicologie. Ça existait avant à l’ex-INRSP, il a été supprimé depuis des années.
En même temps qu’il y a des produits suspects, on fait nous-mêmes des échantillons et on analyse. En ce moment, on ne va pas dépendre d’un laboratoire.
On a envoyé des échantillons de 79 qualités de thé au laboratoire central, ça fait plus d’un mois qu’on attend les résultats et pourtant on a payé cash. Et est-ce qu’on peut bloquer les marchandises de quelqu’un pendant un mois ? Ce n’est pas éthique. C’est pourquoi nous voulons que ce laboratoire soit dans notre structure pour évaluer les risques. Nous avons la capacité de donner rapidement le résultat.
Mali-Tribune : Puisque ces laboratoires ne sont pas dans votre structure, comment s’assurer de la fiabilité des résultats qui vous seront remis ?
Pr. A. A. I. : Le problème c’est la lenteur seulement, ça n’a rien à voir avec la fiabilité des résultats. Nous sommes tous des scientifiques. Nous utilisons les mêmes appareils et procédures qui sont utilisés au niveau international. Mais quand ça relève de vous, vous donnez la priorité parce qu’on a conscience de l’intérêt d’avoir un résultat rapidement.
Mali-Tribune : Combien de marques de thé se conforment à votre contrôle sanitaire ?
Pr. A. A. I. : On n’a pas évalué toutes les marques de thé. On fait l’évaluation quand on a eu des suspicions.
Mali-Tribune : Combien ont des autorisations à ce jour ?
Pr. A. A. I. : C’est ça le problème. C’est l’Agence nationale de la Sécurité sanitaire des Aliments (Anssa) qui est habilitée à délivrer les autorisations de mise sur le marché. Elle a intégré l’INSP maintenant. La passation a duré. Il y a eu un feuilleton juridique, la structure ne marchait pas depuis un an et demi. Maintenant que c’est fait, en un laps de temps beaucoup de travaux ont été faits. Nous allons rétablir l’autorisation de mise sur le marché de cette commission et communiquer dessus pour que les gens viennent se mettre à jour.
Nous sommes tous consommateurs, nous qui évaluons et même celui qui vend l’est aussi. Il faut que nous soyons collaboratifs en ce moment il n’y a aura aucun risque. Il y a des choses à payer pour faire l’autorisation de mise sur le marché.
Mali-Tribune : Combien paye-t-on à peu près ?
Pr. A. A. I. : C’est fait en fonction du type du produit. On fait l’autorisation même en fonction du conditionnement. Il y a un décret qui n’a pas absolument été changé. Le plus important n’est pas de payer cher, mais par rapport aux risques, on peut faire courir aux consommateurs. Si c’est fait, tout le monde est à l’aise. Aussi, il faut qu’on communique pour que les gens connaissent le logo de l’Anssa. Assurer la sécurité des consommateurs c’est les consommateurs eux-mêmes, nous tous.
Recueillis par
Kadiatou Mouyi Doumbia