Dans un entretien à bâton rompu, la rédaction de votre hebdomadaire d’informations générales s’est intéressée au chantre de l’instrument traditionnel du Mandé profond, appelé le Donson’goni. Sans langue de bois, l’enfant de Djimbala, dans le cercle de Yanfolila, Madou Sangaré, plus connu sous le sobriquet de Peny-Peny, a brossé la crise multidimensionnelle que traverse notre pays en passant par les dissensions qui minent la confrérie des Donsos. Une crise qui a poussé les plus hautes autorités à écarter les chasseurs et autres joueurs de n’goni aux festivités commémoratives de la fête d’indépendance de notre pays. Suivons son entretien.
Le RAYON :Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?
Madou Sangaré: Je m’appelle Madou Sangaré. Je suis joueur de N’goni, un instrument de musique traditionnel dédié aux chasseurs et aux devins. En langue national, c’est le DONSON’GONI.
Le Rayon : Comment avez-vous épousé cet art ?
M.S : Je suis né dans l’art, mon père fut un grand virtuose de cet instrument traditionnel du Wassoulou profond. Mon père Yaya Sangaré de Djimbala dans le cercle de Yanfolila est connu de toute la sous-région. Ma mère s’appelle Fanta Sidibé. Je suis marié à deux femmes et père de 12 enfants. Je suis musulman pratiquant.
L.R : Dans l’exercice de cette fonction, quelles sont les difficultés auxquelles vous avez été confronté ?
M.S : Je suis né en 1966. Je n’ai connu aucun autre métier. Je n’ai pas eu la chance d’aller à l’école du blanc. De ma tendre enfance à nos jours, je ne fais que ça. Je suis aussi dans l’art divinatoire. J’ai parcouru pratiquement toute l’Afrique et beaucoup de pays d’Europe avec mon instrument de prédilection qu’est le n’goni. Comme tout autre métier, le début est difficile. Avec la force, la détermination et la bénédiction des parents, on peut tirer son épingle du jeu. « Tout travail mérite sa bière ».Aujourd’hui, je peux remercier Dieu et mes parents.
L.R : Dans l’art divinatoire, quels sont les domaines dans lesquels vous êtes adulé ?
M.S : Toute ma vie, c’est l’art de la divination. Sans me flatter, je parviens à satisfaire la majeure partie de ceux qui sollicitent mes services pour quelques besoins que ce soient.
L.R : Nos sociétés se reposent sur la science occulte. Notre pays traverse une crise sans précédent. Selon vous, quel sacrifice peut-on faire aux ancêtres pour conjurer ce mauvais sort ?
M.S : Je prends certains de mes fidèles en témoin. J’ai prédit cette crise multiforme trois ans plutôt avant son déclenchement. Je l’ai vu en songe et je l’ai chanté. J’avoue que jusqu’aujourd’hui, nous ne sommes pas au bout du tunnel. Tout de même, des sacrifices s’imposent. Mais c’est aux décideurs d’approcher les détenteurs de sciences occultes afin de trouver une issue favorable.
L.R : L’hivernage tend vers sa fin, quel sacrifice peut-on faire de façon personnel pour que l’année soit meilleure ?
M.S : Malgré cette insécurité grandissante ayant empêché certains agriculteurs, la pluviométrie a été bonne. A mes adeptes, j’ai déjà dit les sacrifices annuels. L’année lunaire tend vers sa fin. Dans les jours à venir, nous annoncerons les sacrifices pour la nouvelle année.
L.R : Pour assurer la relève, avez-vous des disciples et quelles relations entretenez-vous avec les autres joueurs de Donsogoni du Mali et de la sous-région?
M.S : J’ai à peu près une dizaine de disciples à mes trousses. Avec les autres joueurs de Donson’gonidu Mali et de la Sous-région, ce sont des relations de franche collaboration. Pour preuve, ils m’ont récemment choisi comme président de la nouvelle Association des joueurs de Ngoni. Pas de différends entre nous contrairement aux Donsos. Nous sommes censés accompagner tout le monde.
L.R : Quel intérêt peut-on tirer de votre métier ?
M.S : Comme tout autre métier, c’est l’aspect pécuniaire qui compte. Vous qui êtes journaliste, vous exercez ce métier pour l’argent non ? (rire…). Le monde a évolué sinon, le Donson’gonise jouait pour vanter les exploits des chasseurs habiles. La récompense c’était du gibier.
L.R : Quelle liaison peut-on établir entre un chasseur(Donso) et un devin ?
M.S : Il y’a une grande différence. Le Donso avait pour mission de tuer le gibier, il vivait de la chasse à travers son fusil tandis que le devin prédisait l’avenir et conjurait le mal à travers des rituels. Mais de nos jours des donsos font l’art divinatoire.
L.R : Le rôle du Donsogoni c’est de galvaniser, ragaillardir et de louer les hauts faits des grands chasseurs. De ce fait, pouvez-vous nous dénombrer les différents pas de danse du Donsogoni ?
M.S : Nous avons plusieurs pas de danse. Les plus compliqués sont : le Ntana, le Marassa et le Djandjo. Les deux premiers cités sont chantés pour les braves hommes qui ont bravé la mort, qui ont survécu ou qui ont échappé à la mort ou ceux qui sont sur les champs de batailles et qui sont sous le feu des balles de fusils. Dans ce lot on peut citer les grands chasseurs qui ont abattu des lions ou des diables. Quant au Djandjo, il loue les faits des grands connaisseurs de la tradition ou des us et coutumes. A défaut, toute personne n’ayant pas franchi ces étapes et qui s’hasarde à les danser, s’exposes aux missiles sorciers. Notons qu’ils sont nombreux de nos jours ces braves hommes qui peuvent se trémousser aux sons de ces pas de danse.
L.R : De nos jours le Donsogoni a traversé les frontières des océans, quelles explications pouvez-vous nous donner face à cet état de fait ?
M.S : Cela nous honore du fait que ce métier prenne des dimensions mondiales. Ça atteste que l’art est beaucoup prisé. Mais le plus regrettable est ce conflit d’intérêt qui mine notre confrérie. Pour des raisons inavouées, nous constatons des dissensions entre les Donsos. Toute chose qui explique la non-participation des Donsos aux dernières festivités du 22 septembre. Célébrer la fête nationale sans les Donsos, c’est une toute première dans notre pays où les Chasseurs furent les premiers détenteurs de fusils et les premières forces de l’ordre et de sécurité. Cela nous a attristés et nous tenons à informer l’opinion nationale. Au Donsos, nous formons une seule famille.
L.R : Avec vos nombreuses expériences acquises depuis des années, quel conseil avez-vous à prodiguer à la jeune génération qui veut faire de votre art son crédo ?
M.S :Je leur dis respect et considération envers les aînés (maitres). Sans ces valeurs, notre art est foulé aux pieds. Je suis écœuré de constater que certains joueurs de Ngoni n’ont même pas de maitre.
L.R : Notre entretien arrive pratiquement à terme. Pour une paix durable et une cohésion nationale, quel message avez-vous à lancer à l’endroit du peuple malien ?
M.S :Nous sommes une vieille nation où le dialogue a toujours pris le dessus sur toutes les formes de querelles. Les plus hautes autorités doivent s’asseoir autour d’une même table pour dialoguer afin de trouver un heureux dénouement. Qu’ils songent aux pauvres et oublient leurs propres égos. Qu’ils pensent à l’intérêt commun. Comment peut-on avoir la paix dans un pays où le détournement de dénier public devient monnaie courante ?
Propos recueillis par I.K.C
Source : Le RAYON