L’ambassadeur du Niger au Mali et en Guinée Conakry, M. Moumouni Mamoudou, vient de publier un ouvrage intitulé “Contribution à la modernisation de l’apprentissage des métiers au Niger”. Edité par la nouvelle maison d’édition malienne, Figuira Editions, ce livre vise à sensibiliser sur l’importance socioprofessionnelle et économique de l’artisanat dans son pays et en Afrique. Enseignant de carrière, notamment de l’enseignement technique, M. Mamoudou est l’une des figures de proue de ce secteur dans son pays. Il a aussi occupé de hautes fonctions comme celle de secrétaire général de la présidence du Niger de 2010 à sa nomination ici au Mali il y a deux ans. Celui qui s’invite désormais sur la table des écrivains a bien voulu nous accorder un entretien exclusif autour de son ouvrage. L’Ambassadeur nous parle également des liens d’amitié et de coopération qu’entretiennent nos deux pays.
Aujourd’hui-Mali : Bonjour, veuillez nous présenter votre ouvrage “Contribution à la modernisation de l’apprentissage des métiers au Niger”
Moumouni Mamoudou : Cet ouvrage vise à une prise de conscience tant au Niger que dans les pays africains par rapport à l’artisanat et la valorisation de nos produits locaux en passant surtout par l’apprentissage des métiers à travers la formation professionnelle. L’artisanat est un secteur que, nous estimons, un grand vivier non seulement d’emplois, mais aussi un bassin économique et social dans nos pays. L’artisanat est un grand secteur régulateur.
Quand vous regardez les statistiques dans la plupart des pays africains dont le Niger, un pays où plus de 80% de la population sont des artisans. Nous, Africains, devons nous intéresser à l’artisanat pour notre développement parce que tous les pays qui se disent industrialisés aujourd’hui sont des pays qui ont fait de l’artisanat leur premier pallier pour monter. C’est dans l’artisanat que vous rencontrerez toutes les techniques et le génie créateur des individus, que ce soient des hommes ou des femmes. Ces métiers artisanaux sont devenus comme des poubelles chez nous car on pense que ce sont les personnes qui ne réussissent pas à l’école qui vont apprendre un métier.
L’artisanat dont je parle dans ce livre n’est pas folklorique. Celui dont je parle, sa modernisation va sur deux pans : son introduction à l’école notamment dans les langues nationales et véritablement le mettre sur les rails du dispositif de la formation professionnelle. Deuxièmement, c’est de permettre aux nouveaux artisans qui vont à l’école d’avoir accès au financement comme n’importe qui qui souhaite entreprendre pour rentrer dans un secteur formel.
Peut-on savoir ce qui a motivé l’écriture de cet ouvrage ?
La motivation réelle derrière cet ouvrage vise à sensibiliser sur l’introduction des nouvelles techniques et technologies dans l’artisanat pour connaitre de nouveaux artisans et de leur permettre d’avoir des lignes de crédit pour emprunter afin de partir de l’artisan qui est sous l’arbre et d’avoir un atelier ensuite en faire une petite et moyenne entreprise (PME) moderne. Si vous prenez par exemple aujourd’hui l’Europe, avec l’apparition de la pandémie à coronavirus, les PME sont un grand soutien pour l’économie à travers de petites choses, mais merveilleuses.
Votre livre fournit assez d’informations sur l’artisanat dans votre pays et en Afrique. Peut-on savoir comment vous avez procédé pour sa réalisation ?
Quand vous regardez la page bibliographie, vous avez la liste d’un tas de livres, de documents et d’articles que j’ai eu à éplucher pour en arriver-là.
Le Niger est un des pays africains et vous ne pouvez pas comprendre une telle dimension de l’artisanat au Niger sans regarder ce qui se passe en Afrique, principalement en Afrique Francophone. C’est pourquoi, quand vous regardez, après la motivation vous tombez déjà sur la connaissance de l’artisanat de manière générale en Afrique subsaharienne et au Maghreb. Le Niger sur lequel je me suis plus focalisé est là où la plus grande partie de ma recherche a été menée. L’artisanat est pratiquement le même partout en Afrique. Ce sont des gestes qu’on apprend et qu’on transmet.
L’artisanat à le même problème, mais quand vous lisez la partie africaine, depuis les années 1968, vous verrez que des techniciens de ce domaine ont fait des études et l’une des meilleures études que j’ai eu à considérer concerne celle du Maroc qui est encore aujourd’hui en avance sur tous les francophones en cette matière.
En Afrique de l’ouest, vous avez le Sénégal qui a beaucoup évolué dans ce domaine et cela n’est pas fortuit car le Sénégal était la capitale où les pays de l’Aof se fédéreraient. Le Sénégal avait déjà un grand atout par rapport aux autres pays de l’Aof.
Comment se présente aujourd’hui le paysage artisanal sur le continent africain, selon vous ?
Dans l’espace Uemoa que je connais bien en termes d’artisanat et où l’artisanat a pris une telle importance, un règlement a même été pris. Il s’agit du règlement 01 de 2014 portant code communautaire de l’artisanat et libre circulation des artistes et des produits de l’artisanat d’art. Aussi toutes les fédérations nationales de l’artisanat de nos 8 pays sont retrouvées au Burkina pour produire un document sur l’artisanat qui a été reconnu par nos pays et l’Uemoa. Au-delà de cela, ce qui est un peu inquiétant, c’est que l’artisanat est considéré comme un métier sale ou ce qu’on fait manuellement n’a pas de valeur, donc vous ne pouvez pas mettre assez d’argent dans un secteur qui fait par exemple 25% du PIB au Niger, aujourd’hui. Dans ce pays, l’agriculture est le premier secteur qui fait 41 à 43% s’il pleut bien or personne ne contrôle la pluie.
L’artisanat reste incontestablement un secteur de valeur, notamment en Afrique. Mais malheureusement, notre tradition culturelle est tournée vers la veste et la cravate. Je n’ai rien contre les commis. L’artisanat devient donc secteur peu valorisé où on ne veut pas investir. L’artisanat, c’est comme le secteur de la culture qui n’est pas aussi valorisé dans certains de nos pays or le secteur culturel peut dépasser les mines si on s’y intéresse. L’artisanat a toujours été capable d’absorber le choc depuis que le Fmi et la Banque mondiale ont commencé à restructurer nos économies. Il n’y a pas eu de perte d’emplois dans l’artisanat. Il y a eu même des progrès du point du vue de l’apprentissage parce que les écoles ne répondaient pas aux aspirations des familles.
Quel est, selon vous, le chemin à suivre pour le rayonnement du secteur artisanal en Afrique ?
Je pense qu’il n’y a pas un chemin véritablement à suivre. C’est juste une question de prise de conscience des décideurs et des artisans eux-mêmes. Cependant, à travers ce que j’ai lu et les voyages que j’ai eu à faire à travers l’Afrique, je pense que nos artisans sont très bien organisés. Tout ce qui leur manque, c’est le savoir pour pouvoir discuter sur la même table, d’égal à égal avec les dirigeants. Ce sont ces complexe et clivage qui existent aujourd’hui.
Vous verrez dans un pays en Afrique un bureau artisanal régional où les artisans n’ont pas toutes les connaissances nécessaires. Ce que les gens oublient, c’est qu’on est artisan même si on a un Brevet de technicien supérieur, mais nos élèves qui sortent des collèges techniques avec un BP ou un Cap, pensent qu’ils ne sont pas artisans. Les métiers d’artisanat, même en France sur qui nous inspirons, s’arrête au Bts. Chez nous, vous demandez à celui qui a un BP ou un Cap, il vous répond qu’il n’est pas artisan. C’est dommage !
Dans votre ouvrage, vous avez évoqué des modèles d’apprentissage des métiers artisanaux, notamment le dual allemand et l’apprentissage par ou en alternance. Lequel est le plus adapté chez nous à votre avis ?
Ces deux modèles cités sont pratiquement ceux qui font légion dans tous nos pays francophones. On a toujours vu, selon le financement par exemple dans les pays comme le Mali, le Benin et le Burkina qui avaient des financements structurés dans le domaine, ils avaient des financements suisses qui s’inspirent du modèle dual allemand qui, si on le définit en français, signifie le contre, mais les Français ont trouvé subtilement le mot Alternance qui veut dire aller et revenir. Ces modèles se rejoignent au fait par exemple le Dual veut qu’on parte de l’école vers l’entreprise et de l’entreprise vers l’école, ce qui permet à l’apprenant de faire la théorie pratique au même rythme d’avancement.
Avez-vous un message à l’endroit des dirigeants africains par rapport à l’artisanat ?
Je dirais que l’Afrique a beaucoup d’atouts dont les plus grands sont la jeunesse et les matières premières. Il faut que nous soyons nous-mêmes. Il faut que nous arrachions notre indépendance industrielle en donnant une plus-value à ce que nous avons au lieu de l’exporter de manière brute, que ce soit l’uranium, le coton, le cacao, le café, entre autres.
Par exemple, au Niger, on ne connait pas le cacao, mais s’il y avait un système croisé de commerce entre les pays africains ou sous forme de troque qui se faisait, nous allions nous-mêmes consommer beaucoup de nos produits locaux. Aujourd’hui, si nous avons la banane en pagaille à Bamako, c’est parce que la banane produite dans nos pays africains ne répond pas aux normes de ce que l’Union européenne veut. C’est pourquoi, nous avons la chance de manger beaucoup de fruits. Sinon, c’est dans les supermarchés seulement qu’on les trouvera et imaginez le prix là-bas.
Imaginez que la Côte d’Ivoire amène de la banane au Niger et au Mali pour prendre du bétail en échange. Imaginez qu’on adopte ce système dans tout l’espace Cédéao, ce serait une grande force de frappe.
Nous avons aussi une préoccupation qui peut déranger notre industrie. Il s’agit de l’électricité qui fait 30% du coup des industries. Ce qui est difficile dans nos pays. L’électricité est donc un paramètre important à prendre en compte dans nos pays car l’artisanat et l’industrie ne peuvent marcher sans l’électricité. Il y a quand même une volonté, un sursaut à prendre ou à préserver au niveau de nos plus grands décideurs. Il faut aussi faire une grande sensibilisation à l’endroit de nos communautés. Cela commence par l’école où il faut inculquer des valeurs d’être nous-mêmes car on ne peut pas être entrepreneurs si on n’est pas surs de nous-mêmes. On doit savoir que ce n’est parce que qu’on a de gros diplômes qu’on ne peut pas pratiquer des métiers artisanaux. Il y a beaucoup de domaines en Afrique qui ont besoin d’être explorés, notamment dans l’artisanat. Aussi, tant que l’agriculture n’est pas mécanisée et devient une grande valeur de notre économie, on peut oublier le développement. Le premier produit de l’artisanat, c’est l’agriculture. Nous avons tout pour réussir dans l’agriculture dans nos pays et nous avons tout pour faire des excédents de productions, mais malheureusement on a tous faim parce que ces secteurs qui devaient nous aider ne sont valorisés. Il faut y prendre conscience.
Avez-vous d’autres projets d’écriture ?
Celui qui a reçu doit, à mon avis, donner aux jeunes générations. C’est ce que la tradition africaine exige de nous. C’est pourquoi, je suis en train de devenir écrivain dans un domaine qui est la formation professionnelle où le livre qui est le manuel est très rares. Je suis encore sur quelques trois manuscrits pouvant contribuer dans ce secteur.
En tant qu’ambassadeur du Niger au Mali pouvez-vous nous dire comment se portent les relations entre les deux pays ?
Je peux dire que le Mali et le Niger sont un même pays. Les deux pays ont toujours cheminé ensemble et aujourd’hui nous partageons les mêmes communautés. Nous travaillons ensemble dans toutes les organisations. Je ne me sens même pas étranger au Mali parce que je suis moi-même originaire de Gao et aujourd’hui nous avons environ 6 000 Nigériens qui sont ici Au Mali. Nos deux pays ont en commun plusieurs instruments juridiques dont une grande commission mixte de coopération et beaucoup d’autres volets socio-économiques et politiques lient les deux pays.
Réalisée par Youssouf KONE