Parlant des mouvements estudiantins de 1960 à nos jours, le secrétaire Général de l’Amical des Anciens Militants et Sympathisants de l’Union Nationale des Elèves et Etudiants du Mali (A.M.S-UNEEM) est revenu sur la vie du mouvement et notamment sur celle du leader martyr Abdoul Karim Camara dit Cabral. Selon lui, il faut une commission de réhabilitation et de réparation pour la génération Cabral.
Le Républicain : Pouvez nous situer le début du mouvement estudiantin ?
Oumar Arboncana Maiga : Le début du mouvement estudiantin peut se situer sous la période coloniale, parce que les premiers mouvements datent de cette période là. Mais pour ce qui est du Mali indépendant, il y avait l’union des scolaires du soudan. Il y a eu en 1974 ce qu’on a appelé l’Union Nationale des Etudiants du Mali. En effet, dans un premier temps, nos ainés ont pensé que le mouvement estudiantin ne devrait pas s’ouvrir aux lycées et aux établissements fondamentaux. Mais c’est à la suite de certaines grèves que les étudiants ont vu la nécessité de s’ouvrir aux secondaires, par ce qu’ils sont les plus nombreux.
Et pour qu’une revendication porte, il est important qu’il y ait le plus grand nombre. Au tout début, dans les années 70, les étudiants se comptaient par centaines mais, dans la même foulée, les lycéens et les secondaires se comptaient par milliers. Entre deux cent ou trois cents personnes et quatre milles ou cinq milles personnes, le calcul est vite fait. Une mobilisation de plus de cinq milles personnes ça fait sens et quand deux cents ou trois cents personnes sortent dans la rue, on ne peut pas dire que ce n’est pas important, mais souvent ça peut frôler le ridicule. Cette vision ou cette réalité stratégique a amené les leaders estudiantins à transformer en 1977, l’UNEM en l’UNEEN en incorporant les secondaires.
Qu’est ce qui a prévalu pour passer de l’UNEM à l’UNEEM ?
Nous nous sommes dit que l’enseignement c’est un tout. On va du premier cycle, second cycle, au lycée, à l’enseignement supérieur et les grandes écoles. Donc, on ne peut pas sectionner et dire que tel ordre d’enseignement ne doit pas être intéressé par des questions d’enseignements d’écoles de formations. Et c’est comme ça qu’après les écoles fondamentales se sont retrouvées aussi dans l’UNEEM, mais on a jamais voulu que les enfants du premier cycle rentre dans les grèves par ce qu’ils sont trop jeunes. Je crois que c’est une volonté démocratique et une volonté de pouvoir porter haut et fort le message des revendications des élèves et étudiants en son temps qui a amené les leaders à transformer l’UNEM en UNEEM.
Apres l’incorporation du secondaire, quel a été l’ampleur du mouvement ?
Oumar Arboncana Maiga : L’incorporation du secondaire dans le mouvement a permis l’amplification des actions de grèves pour des revendications justes. C’est ce qu’on appelait à l’époque l’armée rouge du mouvement estudiantin, parce qu’ils étaient les plus nombreux, ils étaient beaucoup plus jeunes, plus motivés. On se battait aussi pour l’amélioration des conditions de vie de ces lycéens qui étaient à l’internat. D’ailleurs, qui demeure aujourd’hui une de nos revendications forte par ce que le système d’internat est un système démocratique qui permet à tous les enfants du Mali qui méritent d’être boursier de se retrouver dans un même espace. Pour d’abord se connaitre entre eux, gommer les différences et créer des amitiés fortes qui demeureront certainement pour toute la vie. Quand les jeunes ne se connaissent pas, ils ne peuvent pas déceler les qualités des uns et des autres, dans ces conditions difficiles et en tirer les compétences de demain. Il faut qu’il y ait des lieux où les apprenants apprennent à se connaitre, à s’estimer en tant que frère d’un même pays, en tant qu’amis et créer des relations très fortes qui vont durer toute la vie. On se battait pour l’amélioration des conditions de vie dans les internats et cela intéressait très fortement ces lycéens. Cette armée rouge a permis au mouvement des années 78 d’avoir de l’ampleur, surtout avec la grève de Boniface Diarra. En 1980, avec l’assassinat de Abdoul Karim Camara dit Cabral, les lycéens ont apporté beaucoup de fougue juvénile et ils ont apporté beaucoup de courage. C’est aussi le lieu de féliciter les femmes de Bamako qui nous ont fortement soutenu et qui ont été aux cotés des étudiants et des élèves pour la justesse de leurs mots d’ordre. Et elles ont toujours dis qu’elles mourront où leurs enfants se trouveront. Elles ont vraiment fais preuve de courage et d’abnégation et cela devrait être écrite en lettre d’or dans les anales de notre pays.
Pouvez-vous nous parler de Abdoul Karim Camara ?
Cabral, c’est un homme que j’ai connu très intimement. Au lycée, nous étions dans le même dortoir et nous avions partagé ensemble durant deux ans. Après, nous nous sommes retrouvés à l’école normale supérieure où il faisait philosophie et moi lettre. Et pendant les quatre années, Abdoul Karim et moi nous avons vécu dans la même chambre, on a toujours été ensemble à l’ENSUP. C’était un jeune homme. Je le dis par ce que quelqu’un qui est mort à l’âge de 25 ans n’a pas eu le temps de vieillir. Il est pour moi l’incarnation d’une jeunesse éternelle. C’était quelqu’un de très modeste, très respectueux, il ne haussait pas le ton et il n’était pas un extrémiste. C’était une personne très raisonnée et très raisonnable, il avait beaucoup de considération envers ses amis et ses professeurs. C’était un étudiant très brillant et attentif. Sincèrement, moi avec qui il a vécu quatre années dans une chambre, nous n’avons jamais eu la moindre altercation, nous ne nous sommes jamais disputés. Nous étions trois dans la chambre N° 304. Et nous nous retrouvons généralement jusqu’à trois heures du matin dans cette chambre qui était considérée comme le lieu de l’effervescence intellectuelle. Les gens venaient de partout et ça bouillonnait d’idées. Nos lectures étaient centrées sur les pensées de Mao, de Lénine, de Castro, ainsi que la révolution Vietnamienne… et ont partageait le même rêve, celui de changer et de transformer le Mali afin de le rendre meilleur, plus beau, plus juste. Et pour qu’il soit un pays véritablement démocratique où tous les enfants (fils de paysans, fils de cadre ou de ministre…) ont les mêmes chances et les mêmes possibilités pour que notre pays puisse compter dans le concert des nations sur le plan sous régional, africain et mondial.
Plus de trente ans après les événements de Mars 1980, la question de la tombe de Cabral se pose toujours, quelles sont vos impressions à ce sujet ?
Nous disons honnêtement que l’assassinat de Cabral a été un coup mortel et fatal. Et au delà de cet assassinat, il y a eu aussi une entreprise que l’on peut considérer plus que fasciste, c’est-à-dire la fermeture des écoles supérieures pendant deux ans. Chose qui a entrainé l’exode de beaucoup d’étudiants, surtout ceux qui étaient les principaux leaders. Ils étaient pourchassés, en quelque sorte recherchés partout en Afrique. Et on leur a refusé le savoir. Par ce que ceux qui étaient membres du comité directeur (soit un peu plus de 290 à l’époque et plus de 90% de ce nombre a définitivement eu le destin brisé) n’ont pas pu achever leurs formations. Certains étaient en quatrième année et ils ont été pourchassés. On leur a refusé même des certificats de fréquentations pour leur permettre d’aller étudier ailleurs. Et quant ils venaient chercher ou faire chercher par leurs parents, on leur refusait ce certificat. Tout ce gâchis nous est arrivé lors des événements de 1980. Non seulement le principal leader estudiantin a été assassiné, de même que les premiers responsables ont été, aussi, assassinés dans leurs carrières. Et nous sommes dans cette situation jusque là aujourd’hui.
Revendiquez-vous, que justice soit faite ?
A l’AMSUNEEM, nous pensons qu’on doit se pencher sur ces années 1980. Surtout en ce moment où on parle de commission de Dialogue, de justice et de réconciliation. Ces années de plomb qui ont détruit, brisé les carrières de milliers d’étudiants et d’élèves de ce pays. Il faut se pencher sur cette question. Et nous disons à ce niveau que nous souhaitons qu’il y ait une commission de réhabilitation et de réparation pour la génération Cabral. C’est normal, puisqu’on dit que la nouvelle commission va se pencher sur les questions de 1960 à nos jours. Disons que c’est le lieu de faire rentrer cette question de la génération UNEEM dans le débat, car elle fait entièrement partie des questions de justice et de réparation. Pour nous, c’est une exigence et une demande très forte. Une demande d’équité, de justice mais au delà, c’est pour permettre, comme cela a été fait en France où les héros (quelques personnes qui ont donné leur sang pour que vive la nation française soixante dix ans après les Aubry) ont été réhabilités et on les à amener au panthéon. Nous disons qu’une jeunesse, un pays, une nation a besoin de référant. Il faut apprendre à la jeune génération que quand on s’engage pour notre pays tôt ou tard ça peut être payant et ça doit être payant. Il faut qu’il y ait des exemples très forts pour amener les jeunes à être encore plus patriotes, plus engagés. La paye ne doit pas être simplement pécuniaire. Il doit avoir d’une manière ou d’une autre une reconnaissance. La reconnaissance aussi, c’est une façon de payer et nous pensons que cela est extrêmement important. Aujourd’hui, la jeunesse malienne n’a pas de référant et ça ce n’est pas bon car une nation a besoin de référant et de référence. Elle a besoin de héros et de boussole. C’est pour cela que nous pensons que ramener toutes ces questions à la surface, est une bonne chose. La nation doit réfléchir et se pencher sur ce qu’elle est et sur ce qu’elle veut.
Réalisée par Ousmane Baba Dramé
Les hommes doivent assumer leur destin
Pourquoi ? C’est grave et honteux! Le Mali est devenu une république bananière. Maintenant on nous parler de génération Cabral (que je respecte bien ) vraiment foutez nous la paix. Et la génération AEEM des 20 dernières années !
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