Dans une interview à Jeune Afrique, le Président de la Commission de l’Union africaine fait le bilan du 29ème sommet de l’organisation.
Le siège de l’Union africaine (UA) a retrouvé son calme après deux jours d’ébullition. Lundi 3 et mardi 4 juillet, les chefs d’État et de gouvernement du continent se sont retrouvés à Addis-Abeba pour le 29ème sommet de l’organisation. La réforme de l’UA, adoptée en janvier dernier, a été au cœur des discussions, avec notamment la question de son financement. Les principaux conflits du continent tels que ceux qui sévissent en Libye, au Mali, au Soudan du Sud et en Somalie ont également été abordés. Élu en janvier dernier, Moussa Faki Mahamat en dresse le bilan.
Jeune Afrique: Ce sommet est le premier depuis votre élection au poste de président de la Commission de l’UA. Êtes-vous satisfait de ses conclusions ?
Moussa Faki Mahamat : Oui, dans l’ensemble. Depuis juillet 2016, notre priorité est la réforme de l’UA et notamment son financement. Plus de la moitié de notre budget provient de nos partenaires, c’est une situation qu’on ne peut pas supporter plus longtemps si l’on veut réellement l’autonomie de l’organisation et engager le développement économique du continent.
Sur la question du financement de l’UA, nous avons constaté qu’un tiers des États en ont accepté le principe, certains ont même commencé à modifier leur législation nationale pour s’y adapter.
Il y a cinq mois, lors du sommet de janvier, le principe de cette réforme a été adopté par les Chefs d’État et de gouvernement. Concrètement, sur quoi avez-vous avancé cette fois-ci pour sa mise en œuvre ?
Il a d’abord été décidé de limiter l’ordre du jour de la Conférence des chefs d’État à un maximum de trois thèmes. C’est ce que nous avons fait. Nous avons travaillé sur le thème de l’année, « investir dans la jeunesse », nous sommes revenus sur la réforme avec le président rwandais, Paul Kagamé, et nous avons abordé la question de la paix et la sécurité sur le continent. Nous avons donc respecté les nouvelles dispositions. Il m’a aussi été demandé d’identifier et de mettre en place une unité en charge de la réforme. Des experts ont été identifiés et très bientôt, cette unité va débuter son travail au sein de la Commission de l’UA.
Kagamé, Déby et Condé, la « Troïka »
Sur la question du financement de l’UA, nous avons constaté qu’un tiers des États en ont accepté le principe, certains ont même commencé à modifier leur législation nationale pour s’y adapter. D’autres États ont demandé un peu plus de temps. Donald Kaberuka, qui est mon envoyé spécial, va ainsi travailler avec les États à travers le « comité des 10 » qui vient d’être mis sur pied. Ce comité regroupe dix ministres des Finances désignés par leurs pairs pour avancer sur ce sujet et étudier toutes les questions techniques. L’année 2017 a été considérée comme une année de transition, la mesure ne deviendra obligatoire qu’à partir de janvier 2018.
Sur le reste de la réforme, les débats sont en cours. Nous travaillerons thématique par thématique. Le tout est chapeauté par un trio de chefs d’État : le président rwandais, Paul Kagamé, qui est en charge de la réforme et doit être le prochain à prendre la tête de l’UA, le président en exercice de l’UA, le Guinéen Alpha Condé, et le président tchadien Idriss Déby Itno.
C’est ce que vous appelez désormais la « Troïka »…
Oui, cette troïka a été mise en place. Elle est composée du président en exercice de l’UA, de son prédécesseur et de son successeur. Le but est d’assurer plus de continuité et plus de représentativité.
Faut-il s’attendre à une Commission plus forte à l’avenir ?
La force de la Commission sera le résultat du travail qu’elle aura réalisé. On la jugera sur pièce. Nous avons besoin d’une structure plus réactive, plus efficace, il faut s’en donner les moyens. C’est un processus qui prendra du temps mais c’est l’objectif.
Avec plus de pouvoir aussi ?
Aujourd’hui, en théorie, la Commission a du pouvoir. Ce qu’il faut rendre effectif, c’est l’application des décisions qu’on aura prises. C’est important.
Lors de ce sommet, un certain nombre d’États ont fait preuve de réticence sur cette réforme, notamment sur la question du financement. N’avez-vous pas peur qu’elle soit abandonnée, comme cela s’est vu par le passé ?
Je ne pense pas qu’un pays ait refusé cette réforme. La plupart, même ceux qui s’interrogent, ont demandé plus de temps pour pouvoir procéder à des modifications de leur législations internes. Dans l’ensemble, il y a une unanimité sur la nécessité de la réforme pour que les structures, le financement et les procédures de l’UA puissent correspondre à l’esprit de l’agenda 2063 qui est très ambitieux pour le continent.
Vous avez mis la paix et la sécurité au cœur de votre action depuis votre élection à la tête de la Commission africaine. La Libye, le Soudan du sud, la Somalie… et le Mali qui était l’objet du G5 Sahel dimanche à Bamako. Quelles sont les décisions qui ont été prises par le sommet des chefs d’État pour les résoudre ?
Dans le Sahel, il ne s’agit pas seulement d’un différend entre parties maliennes, mais d’une vraie menace régionale, étant donnée la prolifération des trafics d’êtres humains et de drogues et la présence des mouvements jihadistes qui cherchent à semer le chaos dans cette partie de l’Afrique. Nous avons salué l’initiative du G5 de mettre en place une force de 5 000 hommes. Elle a besoin d’un soutien du continent et de la communauté internationale. Le Conseil de paix et de sécurité de l’UA a adopté le concept de cette opération et l’a envoyé aux Nations unies pour qu’elle fasse l’objet d’une résolution. Cette dernière n’était pas totalement satisfaisante, mais elle constitue un pas important dans la lutte contre le terrorisme.
L’Afrique a décidé de prendre en charge 25% des opérations en territoire africain et que les 75% qui restent soient financées par le Conseil de sécurité de l’ONU.
Le G5 a aussi besoin de financements. Et pour cela, il s’est tourné vers la France et l’Union européenne (UE), pas vers l’Afrique….
Le terrorisme est une menace internationale. Le maintien de la paix et de la sécurité internationale est du ressort du Conseil de sécurité. Nous sommes en discussion avec ce dernier. L’Afrique a décidé de prendre en charge 25% des opérations en territoire africain et que les 75% qui restent soient financées par le Conseil de sécurité de l’ONU pour faire face à ce genre de difficultés. Le débat est en cours. Pour le G5, nous souhaiterions que cette force puisse être financée sur les ressources des Nations unies. Ce n’est pas le cas pour l’instant.
Ne peut-on pas regretter que certaines crises aient été passées sous silence lors de ce sommet, comme celle en RDC, alors que le président du pays, Joseph Kabila, était présent ? L’UE dénonce de graves violations des droits de l’homme, mais l’UA semble silencieuse…
L’UA n’est pas silencieuse. Elle est présente. Il y a quelques semaines, une mission conjointe composée du Commissaire paix et sécurité de l’UA, des représentants des Nations unies dans la région des Grands lacs, de la SADEC (Communauté des États d’Afrique australe) et de la Conférence internationale des Grands lacs s’est rendue à Kinshasa.
Nous savons très bien que l’accord signé fin décembre n’a pas été appliqué, en tout cas en partie. L’objectif de la communauté internationale est de créer des conditions favorables pour la tenue des élections qui ont été prévues. Selon les informations qui nous sont parvenues, entre 50 et 65% du corps électoral a été déjà recensé. La RDC est un grand pays, le contrôle des frontières n’est pas totalement assuré, il y a beaucoup de violence. Ensemble, nous devons l’aider à se doter d’institutions légitimes.
Dans quel délai les élections doivent-elles avoir lieu ?
Ce qui a été convenu c’est la fin de l’année, mais manifestement cela ne semble pas réaliste. Il faudra donc aviser avec la commission électorale et faire en sorte qu’on ne perde pas trop de temps pour arriver à organiser des élections en RDC.
Le prochain sommet aura lieu en janvier prochain. Quelles sont d’ici là vos priorités ?
La réforme de l’UA est un projet majeur. Il faut aussi continuer à gérer les crises du continent, à observer les différentes échéances électorales et à faire en sorte que la commission elle-même soit sous la nouvelle impulsion de la transparence et de la diligence.
Lors de ce sommet, vous avez à plusieurs reprises exhorté l’Afrique à parler d’une seule voix. Pourquoi cet appel ?
Nous sommes un continent qui a une organisation commune, nous avons nos spécificités mais aussi des dossiers qui nous concernent tous. Lorsque les décisions sont prises, il faut les appliquer. Il faut que nous soyons unis pendant les négociations internationales, qu’il s’agisse de la réforme du Conseil de sécurité des Nations unies, des négociations sur le climat, des questions de partenariat… Il faut absolument que le continent puisse parler d’une seule voix. C’est ainsi qu’elle pèsera.