Le potentiel laitier du Mali, les problèmes qui obèrent la valorisation du lait local et les actes posés dans le cadre de cette promotion, tels sont les principaux sujets abordés par le président de l’ONG CAB Demesso et non moins Coordonateur du Projet d’Appui à la Filière Périurbaine de Bamako, Moussa Diabaté, dans la première partie de cette interview exclusive qu’il a bien voulu nous accorder.
Votre ONG, CAB Demesso, a pour ambition la valorisation du lait produit localement. Il se trouve que le Mali est un grand pays d’élevage détenant le cheptel le plus important de l’UEMOA. Pouvez-vous nous parler un peu du potentiel laitier du Mali ?
Il y a un petit rectificatif : le Mali ne détient pas le cheptel le plus important de l’UEMOA ; je pense que nous venons après le Niger. Cela dit, nous avons un cheptel qui est très important parce que, selon les statistiques de la DNPIA (Direction des Productions et Industries Animales) un démembrement du ministère en charge de l’élevage, nous avons plus de 9 millions de bovins et plus de 23 millions de petits ruminants. Nous avons un potentiel laitier de 500 millions de litres de lait par an.
Malgré l’importance du potentiel que vous venez d’évoquer, le Mali continue d’importer du lait ou, si vous voulez, des produits laitiers pour environ 20 milliards de FCFA par an. Comment expliquez-vous ce paradoxe ?
Le paradoxe est bien réel. Non seulement nous avons du matériel vivant, mais nous avons en plus l’espace. Le paradoxe se situerait au niveau des politiques, parce que, jusqu’ici, il n’y a pas eu de politique, ni de stratégies dignes de ce nom par rapport à la valorisation du lait local. En 1980, il y a eu une soi-disant politique laitière et, depuis 2007, il y a eu la stratégie de valorisation du lait local qui a été aussi adoptée par le Conseil des ministres. Mais ce sont des stratégies théoriques qui n’ont pas pu mettre en valeur l’existant. Donc, notre ONG, CAB Demesso, Conseil et accompagnement des initiatives à la base, en partenariat avec Vétérinaires Sans Frontière Suisse, accompagne les producteurs de lait depuis l’an 2 000. Le paradoxe résulte de l’absence de stratégie et de politique réelle au niveau du gouvernement.
Depuis 2013, il y a comme un frémissement dans le sens d’une volonté politique tendue vers la valorisation du lait local. Depuis 2006 à ce jour, nous nous avons, c’es-à-dire l’ONG CAB Demesso et Vétérinaire Sans Frontières Suisse, développé l’organisation de la collecte autour des grandes villes comme Bamako et Ségou. Avec ce travail, nous avons pu partir de 50 litres à plus de 5 000-10 000 litres de lait par jour, une quantité de lait que nous sommes parvenus à vendre. Il y a aussi le fait que, malgré que nous ayons 9 millions de bovins force est de reconnaitre que ce sont des vaches qui sont peu productives, autrement dit qui donnent un litre ou deux litres de lait par traite pour une durée de lactation maximale de 180 jours. Contre 270 jours chez les métisses et qui peuvent donner 15 à 20 litres par traite contre 60 litres pour les races européennes. Il s’agit aussi d’encourager ces éleveurs à produire plus de lait, à valoriser leur production. L’alimentation entre également en ligne de compte. Aujourd’hui, l’alimentation c’est le grossier, le tourteau de coton revenant pus cher dans la mesure où il n’est pas du tout subventionné par l’Etat. Contrairement à l’engrais pour les cultures sèches qu’on subventionne à 50%. L’aliment bétail n’est pas du tout subventionné. Il n’y a pas d’accompagnement non plus au niveau des produits vétérinaires.
Quid du Laboratoire Central Vétérinaire ?
Eux, ils ne font que du vaccin, or il y a tout ce qui est produit vétérinaire, c’est-à-dire les médicaments, des antibiotiques, les traitements quotidiens permanents. Le LCV, c’est la prévention et non le traitement. Par ailleurs, il n’y a pas de suivi ni de contrôle par rapport aux importateurs de médicaments pour s’assurer de la qualité des produits. S’y ajoutent le manque de crédit. Il n’y a pas de confiance au niveau des institutions financières. Celles-ci ne prêtent pas à l’élevage sous prétexte que c’est une activité aléatoire. Le matériel vivant ne peut pas garantir les prêts. Il y a l’équation de l’alimentation et aussi la problématique de la sécurisation des troupeaux qui a tendance à devenir un véritable casse-tête chinois. Il y a permanemment des cas de vol. On a donc ces quatre problèmes sur les bras : l’alimentation, le crédit, la sécurité des animaux et le problème de productivité.
Qu’en est-il de l’amélioration génétique ?
Aujourd’hui, si nous prenons, par exemple, Kasséla, nous avons plus de 80% de métisses. Il est vrai qu’il y a aussi l’apport de ceux qu’on pourrait appeler « les éleveurs de dimanche », c’est-à-dire les grands fonctionnaires qui investissent dans l’élevage et les parcelles. Ils pratiquent l’élevage dans la région périurbaine de Bamako. Nous avons des vaches qui sont vendues à un voire deux millions de FCFA. Voyez-vous, on sort du cadre du Peul. Ce n’est plus une question d’héritage. Ce sont des gens qui ont eu de l’argent parce qu’ils ont occupé des postes et ils investissent dans l’élevage. Ce n’est pas nécessairement qu’ils savent que c’est rentable ; c’est plutôt un moyen de thésaurisation pour eux. Vraiment, aujourd’hui le métissage commence à percer dans la zone périurbaine de Bamako et il y a des élevages qui sont purement métissés à 100%. Si ce n’est pas ce genre d’élevage, la production laitière ne peut pas faire vivre l’exploitation. A moins que ce ne soit la complémentation, car il n’y a pas de pâturage dans la zone périurbaine de Bamako.
Qu’avez-vous fait face à ce problème ?
Quand nous avons identifié ces problèmes, nous nous sommes dit qu’il fallait déjà corriger parce que nous nous sommes partis d’un programme de recherche dont la conclusion est que le lait n’est pas de qualité. Donc, pour améliorer la qualité il fallait augmenter la quantité conformément aux conclusions de la recherche. Si l’on augmente la quantité et que les gens ont suffisamment le lait en ce moment ils n’auront plus le problème d’écoulement. Quand nous avons eu ces résultats de recherche, notre premier travail a été d’augmenter la quantité en vue d’améliorer la qualité. Comment faire pour augmenter la quantité ? Nous sommes partis vers l’organisation de la collecte. Nous avons des zones de production très éloignées des zones de vente. Ce qui nous a amenés à créer des centres de collecte. Parallèlement, nous avons aussi mis à la disposition de ces entités un fonds de roulement qui leur a permis de payer l’aliment bétail. Il y a aussi la mise à la disposition des coopératives des motos…
Yaya Sidibé