À la tête du groupe hôtelier Azalaï, qu’il a fondé en 1994, le Malien Mossadeck Bally vient d’être couronné « Meilleur entrepreneur africain de l’année » au FITA de Tunis. Participant jeudi à Paris au Ve Africa Investments Forum & Awards (AIFA), il nous livre ici les clés de sa réussite et sa vision des défis économiques que l’Afrique doit relever.
APP – Vous venez de recevoir, le 25 mai dernier à Tunis, le « Prix du meilleur entrepreneur africain de l’année ». Votre sentiment ?
Mossadeck BALLY– Je remercie d’abord les organisateurs du FITA 2022 (Financing investment and trade in Africa) et je dédie ce prix, qui m’honore, à tous les collaborateurs du Groupe Azalaï. C’est grâce à eux et à leur travail quotidien que nos hôtels reprennent des couleurs dans les sept pays d’Afrique où nous sommes implantés. Ce Prix, ils le méritent bien !
Il y a un an, j’avais déjà obtenu le Prix décerné par l’Africa Investments Forum et Awards, mais en raison des contraintes sanitaires et de déplacement liées à la pandémie, je n’avais pu venir à Paris. Cette année, les organisateurs m’ont fait l’honneur de me faire remettre le Prix 2022 à mon successeur.
APP-Quels sont les projets du Groupe Azalaï pour 2022 ?
Mossadeck BALLY– Après deux ans de pandémie, qui nous ont contraints à fermer nos hôtels, les affaires et le tourisme d’affaires ont repris, Dieu merci. Nous poursuivons donc en 2022 notre expansion du Groupe Azalaï qui va s’implanter au Sénégal– dont on connaît la stabilité politique– en ouvrant à la fin de l’année un hôtel sur la Corniche à Dakar, et revenir au Burkina Faso où nous allons rouvrir notre hôtel de Ouagadougou, sérieusement détérioré lors des événements de novembre 2014 et la chute du président Blaise Compaoré. Un hôtel aujourd’hui complètement refait et modernisé.
Puis nous prévoyons d’ouvrir bientôt des hôtels à Conakry (Guinée) et Niamey (Niger). Dans les années à venir, nous envisageons d’ouvrir d’autres hôtels à Yamoussoukro et San Pedro, en Côte d’Ivoire, et peut-être à Saint Louis du Sénégal. Ce sont des projets sur lesquels nous travaillons et dont nous vous reparlerons.
APP-Quand on veut investir en Afrique, n’est-on pas confronté à un véritable « risque » ?
Mossadeck BALLY – Un bon entrepreneur est par définition un homme qui sait prendre des risques. Nous, le Groupe Azalaï, nous nous sommes développés dans des pays réputés difficiles : le Mali, le Burkina Faso, la Guinée Bissau, la Côte d’Ivoire qui a connu dix ans de guerre civile…
Le premier point, c’est de régler le problème de la perception du risque. Le Continent présente des opportunités d’investissements, mais souffre d’une mauvaise image. On ne parle jamais des choses qui fonctionnent chez nous, alors même que certains médias occidentaux ne parlent que de terrorisme, d’enlèvements, d’épidémies, de famines ou de corruption….
Ceux qui ne regardent pas France 24 ou CNN –comme les Chinois et les Turcs– viennent s’installer en Afrique et prennent les marchés. Je vous donne un exemple concret : une grosse entreprise turque vient au Mali pour construire un grand hôtel et repart en Turquie, sauf que ses ingénieurs et ses techniciens restent au pays, créent une petite entreprise de travaux publics et raflent tous les marchés. Où sont les entreprises françaises d’électricité, de travaux, de maçonnerie ? Elles n’y viennent pas car elles considèrent que « le Mali est risqué » !
Il y a quelques décennies, il n’y avait pas réellement d’entreprises privées ni de secteur privé. Les grands groupes qui venaient en Afrique contractaient surtout avec les États. Et le grand risque que ces entreprises couraient, c’était de voir leur investissement nationalisé. Mais cela n’existe plus ! Aujourd’hui nos pays se sont ouverts, les marchés se sont libéralisés, nous avons un droit commun dans notre zone francophone – l’OHADA – et donc ce risque n’existe plus… mais les opportunités sont bien là.
Il faut faire effectivement une évaluation du risque, mais le risque en Afrique n’est pas plus élevé qu’ailleurs. L’Afrique, ce n’est pas un problème de risque, mais de perception du risque et celle-ci est bien plus grande que le risque lui-même !
« Tous les grands groupes sont déjà présents, mais où sont les PME françaises ? »
PP-Quels sont donc les vrais problèmes auxquels, en qualité d’entrepreneur africain, vous êtes confrontés ?
Mossadeck BALLY–En réalité, j’ai rencontré plus de soucis dans le financement. En Afrique, uniquement 20% de nos besoins de financement sont satisfaits par le système bancaire. En Europe, c’est en moyenne 100%, en Chine c’est 120%, aux États-Unis 150%. Au Mali, où il n’y a plus une seule banque française, c’est seulement 15% !
Mais pour décrocher et décaisser un financement de Proparco, il faut se lever à 4 h du matin et faire une heure de sport ! Moi, cela va encore car j’ai un groupe solide et structuré, mais la petite Malienne ou Burkinabè qui veut entreprendre et recherche un financement, elle n’y arrivera pas…
L’Afrique, ce n’est pas un problème de risque, mais un problème de financement et de formation car on n’investit pas dans la formation technique et professionnelle. Le Mali, qui est pourtant un pays producteur d’or, n’a toujours pas créé une École des Mines, dans la région de Kayes par exemple.
Nous autres entrepreneurs, nous sommes enfin confrontés à un problème de déplacement car, avec mon passeport malien je peux voyager sans problème dans les quinze pays de la CEDEAO, mais pour tous les autres pays – même africains – il me faut un visa.
Et nous sommes confrontés aussi à un problème de transport et de connexions aériennes. Il est parfois plus facile de venir en Europe et de redescendre en Afrique.
Il nous faut d’abord régler le problème du financement, celui de la formation et savoir comment attirer la diaspora qui a une formation et une expérience pouvant nous être utiles. Des pays comme le Maroc ou le Nigeria le font très bien. Voilà nos vrais challenges.
APP-Quelles sont les recettes de la réussite économique de votre Groupe ?
Mossadeck BALLY– Pendant nos dix premières années, nous sommes restés au Mali, où j’avais commencé par racheter le Grand Hôtel de Bamako, puis en 2004 nous sommes sortis de nos frontières pour aller investir à Ouagadougou (Burkina) et y ouvrir un hôtel.
Dans tous les autres pays africains qui ont suivi, nous avons fait des accords avec des investisseurs locaux en apportant 51% à 60% de fonds propres, car il est très important d’avoir des partenaires qui connaissent mieux l’écosystème et l’environnement que vous. S’agissant des investisseurs européens pouvant s’intéresser à l’Afrique, je pense qu’il faut mobiliser le tissu des PME. Tous les grands groupes sont déjà en Afrique, mais où sont les PME françaises ?
APP-Une dernière question, d’actualité prégnante pour le Mali : qu’espérez-vous du Sommet extraordinaire de la CEDEAO, ce 4 juin à Accra, au Ghana ?
Mossadeck BALLY– J’ai l’espoir que l’UEMOA (Union économique et monétaire d’Afrique de l’Ouest) et la CEDEAO (Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest) lèvent enfin les sanctions et l’embargo dont est victime mon pays, le Mali, depuis janvier dernier. C’est le vœu de tous les Maliens, car l’économie n’a rien à voir avec la politique et ces sanctions font un tort considérable aux entreprises et à l’économie du pays. J’ai vraiment bon espoir.
Entretien exclusif à Paris, par Bruno FANUCCHI
Pour Africa Presse. Paris (APP) @africa presse
Source : www.africapresse.paris
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