Mohamed Amara, Sociologue : « Il y a urgence de clarifier les positions des uns et des autres »

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Selon Dr. Mohamed Amara, Sociologue à l’université de Bamako et auteur de plusieurs livres dont Marchands d’angoisses, le Mali tel qu’il est, tel qu’il pourrait être, (éditions Grandvaux), pense qu’il y a urgence à clarifier les positions des uns et autres pour une lutte efficace contre le terrorisme.

 

Mali-Tribune : Mohamed Bazoum a été investi le 2 avril à la tête du Niger et pour bon nombre d’analystes, le mandat de M. Bazoum s’annonce difficile. Est-ce votre cas ?

Dr. Mohamed Amara : Mohamed Bazoum traverserait des zones de turbulence à cause des crises électorales et le refus de son challenger, Mahamane Ousmane, de reconnaître sa victoire. Par contre, tout dépend de la capacité de Bazoum à avoir une politique d’ouverture vis-à-vis de ses opposants, mais aussi à construire une politique innovante sur des questions de fond comme l’emploi des jeunes et la question sécuritaire qui reste pour moi la priorité des priorités.

 

Mali-Tribune : Selon vous quelle sera la politique sécuritaire de Mohamed Bazoum au Sahel ? Faut-il s’attendre à une continuité ou une rupture avec le système de son prédécesseur ?

Dr. M. A. : Ça sera une politique qui recouvre une dimension géopolitique au regard de ce qui se passe dans la zone des trois frontières et dans le Sud-est nigérien ; et c’était d’ailleurs un des points forts de son discours d’investiture. M. Bazoum a mis l’accent sur l’implication des poids lourds de la région, comme l’Algérie, pour résoudre cette question sécuritaire. Il va y avoir plutôt une politique sécuritaire au niveau de la coopération, c’est-à-dire les capacités d’agir entre les pays du G5 Sahel, et qui va être intensifiée pour traquer les narcoterroristes du l’EIGS et le GISM d’Iyad Agaly.

Il n’y aura pas de rupture avec son prédécesseur. Il ne faut pas oublier que Mahamadou Issoufou n’est que son protecteur. Toute tentative de rupture de Bazoum peut lui coûter cher politiquement.

 

Mali-Tribune : Dans une interview, Bazoum a demandé aux pays partenaires ; notamment la France, de mettre l’accent sur les moyens aériens dans la lutte contre le terrorisme au Sahel. Pourquoi privilégie-t-il les moyens aériens ?

Dr M. A. : Bazoum veut imprimer sa marque. Dans ce cadre, il agit sur les failles de la sécurité dans le Sahel. On sait tous qu’une des failles, c’est le front aérien car nos armées n’ont pas encore un vecteur aérien suffisant pour poursuivre les narcoterroristes. Très souvent, ce sont les armées partenaires, comme Barkhane, qui leur viennent au secours avec leurs avions de combat d’où l’importance pour Bazoum d’intensifier la lutte contre les narcoterroristes sur le plan aérien. Cela suppose des moyens aériens plus importants.

 

Mali-Tribune : En l’espace d’une semaine, 203 civils Nigériens ont été tués dans des attaques revendiquées par l’EIGS. Qu’est-ce qui explique cette recrudescence des attaques contre les civils au Niger ?

Dr. M. A. : Il y a deux hypothèses : la première c’est que les groupes armés terroristes (GAT) sont sous pression des forces spéciales européennes Takuba dont la mission principale est d’accompagner au combat les unités légères de reconnaissance et aussi d’intervention des FAMas par exemple. Cette montée en puissance des FAMa oblige les groupes narcoterroristes à riposter de façon barbare et sauvage pour maintenir leurs positions. Mais jusqu’à quand ?

La deuxième hypothèse est que les attaques contre les civils, intervenant dans un contexte qui est celui de l’élection du nouveau président Mohamed Bazoum, constituent une tentative des groupes narcoterroristes d’opposer les communautés en essayant d’exploiter les contestations post-électorales.

Heureusement, le peuple nigérien a su bien résister à cette tentative de récupération et d’instrumentalisation. Pour l’instant, le pouvoir nigérien a su donner la réplique.

 

Mali-Tribune : Il y a moins d’un mois, 33 militaires Maliens ont été massacrés à Tessit dans une embuscade tendue par l’EIGS. Est-ce que nous pouvons dire que les services de renseignement ont failli à anticiper ces attaques et embuscades ?

Dr M. A. : Le massacre de nos soldats à Tessit intervient au moment où nos militaires gagnent les combats qui leur opposent à ces narcoterroristes dans la Région de Mopti et sur d’autres fronts ; c’est un constat. Par contre, il me semble qu’il ne serait pas pertinent de parler de faillite des renseignements, mais plutôt d’insuffisance de moyens de renseignement humains et techniques sur lesquels doivent travailler les autorités de la transition. D’ailleurs, ce devrait être l’une des missions du vice-président Assimi Goïta. Cette mission ne peut réussir qu’avec le retour effectif des administrations maliennes dans les territoires déjà libérés et récupérés par l’armée malienne.

 

Mali-Tribune : Dans son rapport, l’Onu a accusé la France de commettre une bavure à Bounti lors d’une frappe. Paris conteste. Dans ce contexte, faut-il croire aux deux versions ?

Dr M. A. : Bounti illustre les risques d’enlisement dont la France a peur. Aujourd’hui, la polémique autour du rapport sur Bounti entre la France et la Minusma en dit long pour moi sur les divisions entre nos partenaires. N’oublions pas que la France intervient dans le cadre des résolutions des Nations Unies et à la demande aussi des autorités intérimaires de 2013. Pour sortir de cette polémique, il y a urgence à clarifier les positions des uns et des autres pour une lutte efficace contre le terrorisme et sortir les populations de cette asphyxie qui a trop duré.

 

Propos recueillis par

Ousmane Mahamane

(Stagiaire)

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