Comment vous est venue l’idée d’écrire ?
Début 2012, le septentrion a été attaqué, et en mars, la junte militaire a renversé le président ATT. Immédiatement, j’ai ressenti le besoin d’analyser les causes profondes qui pouvaient expliquer l’effondrement de ce que le monde entier appelait la démocratie malienne. Après le coup d’Etat du 22 mars, l’expression démocratie de façade a fleuri sur toutes les lèvres. Notre démocratie s’était arrêtée aux urnes. Nous avions confié notre pays à des illusionnistes. Dans mon livre, j’explique comment nous, Maliennes et Maliens, avons participé à cette illusion de démocratie, et j’y propose, au fur et à mesure, des solutions pour qu’ensemble, nous puissions créer un Mali, paisible, laïc et digne.
Quelles failles essentielles avez-vous relevées ?
La première est la carence diplomatique de notre pays. En janvier et février 2012, j’ai été stupéfait de constater qu’aucune autorité de mon pays n’était capable de contrecarrer les séparatistes qui justifiaient leurs revendications en falsifiant les réalités socio-démographiques du septentrion. Notre incompétence diplomatique a provoqué une immense incompréhension, une grande frustration chez les gens restés au Nord. Quand les 3 régions ont été entièrement occupées, les gens se sont sentis abandonnés et trahis. Cela a engendré «le chacun pour soi et Dieu pour tous» et donc beaucoup de tensions intercommunautaires. Aujourd’hui encore, la plupart des diplomates maliens méconnaissent les réalités du Nord. Ils ne peuvent pas contribuer à la résolution de cette crise qui perdure. La diplomatie est un métier, il faut y être formé. Le Mali ne peut plus se permettre de nommer n’importe qui à ces postes stratégiques. La deuxième est notre amour du consensus. Nous aimons dire «asseyons nous pour trouver la solution». Nous nous berçons d’illusions, car le consensus atteint est toujours mou. Ce n’est qu’un accord de façade. Nous ne remettons jamais en question ce sur quoi nous nous mettons d’accord. C’est ce qui a contribué à mener notre pays dans le gouffre. C’est ce qui permet au conflit de perdurer. Il faut que les causes du conflit soient discutées et qu’on arrive à un compromis, pas à un consensus. Nous, Maliens, ne sommes pas capables de nous remettre en cause. Quand quelque chose ne va pas, nous cherchons à désigner un coupable. Sans être naïf quant à la France et la Minusma, depuis plusieurs mois, je constate que nous les désignons comme seuls responsables de nos maux. Alors que nous devrions chercher ce qui, dans notre propre fonctionnement sociétal, contribue à l’impasse dans laquelle nous sommes. En tant que Maliens, nous remettre en cause, c’est un peu «perdre notre virilité», c’est-à-dire, porter atteinte à notre fierté. Nous ne supportons pas d’être critiqués, et n’aimons pas nous autocritiquer. Dans notre système scolaire, nous ne recevons aucune formation dans ce domaine. Nous discutons beaucoup entre nous, mais ce ne sont que des discussions de «grin» qui n’entraînent aucun changement fondamental.
Vous soulevez aussi la question de la corruption…
En effet, la corruption gangrène notre système depuis des décennies. Au Mali, tout le monde est corrompu et corruptible. Nous prétendons tous vouloir y mettre fin, mais personne n’est prêt à changer son propre fonctionnement. Au sommet, nos cadres sont des amateurs, incapables de stopper ce fléau. Ils ne savent pas dire non. Ils ont perdu la notion de ce qu’ils peuvent faire, s’interdire de faire et laisser faire. Tant que nos cadres ne seront pas formés au civisme, notre pays ne se développera pas. Notre système scolaire aussi est corrompu. Dès le plus jeune âge, nos enfants apprennent à «se débrouiller». Notre pays ne peut pas évoluer ainsi. Il faut que nous acceptions la sanction. Des organismes indépendants doivent être créés pour contrôler les pratiques dans tous les domaines, les institutions publiques, les hôpitaux, l’école, partout. Après le premier avertissement, celui qui a dérivé doit être sanctionné immédiatement. Notre société ne pourra jamais fonctionner si nous cherchons toujours à échapper à la justice.
Expliquez-nous le poids du «social» ?
Parmi nos fonctionnements, il y en a un qui est tout aussi dévastateur que ce que je viens de citer. C’est ce que nous appelons le social. Ce social pèse très lourd, mais personne n’en parle. Dans notre culture, l’aîné, ou celui qui a réussi, peut avoir à sa charge les cinquante personnes de sa grande famille. Tout le monde attend beaucoup de lui, il subit de nombreuses pressions. Pour y faire face financièrement, beaucoup ne peuvent pas faire autrement que de franchir certaines limites. Les parents ferment tous les yeux. Personne ne critique les pratiques douteuses puisque tout le monde en profite. Celui qui le ferait serait d’ailleurs immédiatement sanctionné socialement. Un pays n’eut pas émergé si les citoyens ne se remettent pas en cause.
Comment faire évoluer cet héritage socio-culturel ?
L’évolution viendrait d’elle-même si la situation économique des individus s’améliorait. Si tous les gens en âge de travailler gagnaient correctement leur vie, chacun pourrait s’assumer financièrement. Il n’exercerait plus de pression sur quiconque. Les mauvaises pratiques disparaîtraient spontanément. Il ne s’agit pas de vouloir faire disparaître la solidarité si chère à nos cœurs, elle prendrait une autre forme. Si tout le monde avait un emploi, chacun cotiserait proportionnellement à son salaire à des caisses de financement de la santé et du chômage temporaire. Nous devons aller vers une mutualisation citoyenne des moyens pour que la charge ne repose plus sur un seul individu par la grande famille. Si tout le monde avait un emploi, chacun paierait des impôts. S’il y avait une vraie volonté politique et surtout une bonne gestion des deniers publics, l’Etat moderniserait le pays, il n’y aurait plus de problèmes d’accès à l’eau, à l’électricité, et des infrastructures seraient construites et entretenues partout. Je reconnais que cela fait beaucoup de si.
Comment expliquez-vous qu’une société aussi respectueuse des principes religieux soit gangrénée par la corruption ?
L’immense majorité des croyants ignorent les fondamentaux de leur religion. Ils n’ont pas réellement conscience que certaines pratiques ne sont pas acceptables, car elles font partie du quotidien depuis trop longtemps. Les leaders religieux doivent être des pédagogues, montrer l’exemple, et surtout rester à l’écart du domaine politique. Nous, Maliennes, Maliens, devons réapprendre à dire, non je ne veux pas faire ça car je ne me reconnais pas dans ces pratiques, peu importe notre religion, ou notre origine culturelle.
La réforme en profondeur de la société prendra beaucoup de temps, n’est-ce pas ?
Oui, ce sera long, probablement une cinquantaine d’années. Vous parlez de réforme, je dirais plutôt une révolution. Pas une révolution par les armes, non. Une révolution où, nous, Maliennes, Maliens, nous mettrons ensemble pour modifier définitivement notre fonctionnement. Nous devons être prêts à nous sacrifier tous ensemble d’un commun accord, afin que nos enfants aient une autre vie que la nôtre. Cette révolution ne pourra avoir lieu que si nous avons un leader qui se mettra au-dessus de la mêlée et travaillera pour le bien-être de toutes les populations. Il nous faut un leader qui nous conduira à ce Mali rêvé. Malheureusement, pour le moment, je ne crois pas qu’un tel leader existe au Mali. Il nous faut quelqu’un de neuf, et chez nous, tout est fait pour que les jeunes n’émergent pas. Au Mali, on prend les mêmes, et on recommence, donc rien ne peut changer.
Ce jeune leader malien existe-t-il à l’extérieur ?
Certainement, car au sein de la diaspora, il y a énormément de compétences. Le changement dont nous rêvons tous ne serait possible que si une ou un de ces jeunes très bien formés prenait les rênes du pays. Ceux qui vivent au Mali dépendent souvent de leurs parents à l’extérieur. Ils ont confiance en eux. Ils connaissent les qualités professionnelles de la seconde génération. Si un jour, un de ces jeunes leur présentait pédagogiquement un programme socio-économique solide pour réformer le pays, ils n’hésiteraient pas à voter pour lui.
Je vous laisse conclure.
Lorsque j’ai écrit ce livre, je ne voulais pas parler des groupes armés ou du coup d’Etat. Je voulais souligner les problèmes profondément ancrés dans notre société qui ont fait le lit de ces crises, et surtout proposer des solutions pour que, à terme, le Mali se porte bien. Je voulais expliquer le big-bang à l’origine de cette crise et lancer ce message au pays tout entier : acceptez d’être Maliens, et de participer à la stabilité de notre Etat pour le bien commun.
Propos recueillis par Françoise WASSERVOGEL
Bonjour mon compatriote,
Merci de ton analyse impartiale, le Mali pourra être construit que par la raison et une remise en question perpétuelle.
Tu es valable mon gars.
Bonjour.
Bonne analyse cher Mohamed Amara.
A ceux qui pensent que Monsieur Amara ne connaît pas le Mali et n’a participé à rien le concernant, je précise qu’ils ont vu tout faux.
Mohamed a non seulement étudié et grandi au Mali avant de poursuivre ses études doctorales en France mais il a travaillé au Mali en tant que journaliste et vient du Mali profond.
Ici, en France, Mohamed n’a jamais cessé de servir le Mali.
Mohamed est l’un des fondateurs du Collectif des Maliens de la Région Rhône-Alpes, CMRA (http://www.cmra.fr/), une association infatigable dans la défense des intérêts du Mali et la recherche de solutions aux problématiques associées.
Il a participé à plusieurs conférences et débats pour apporter le démenti là où le Mali a été mis en cause et à un moment où les autorités maliennes étaient presque inaudibles.
La contribution de cette association, et donc de Mohamed, a été importante dans l’organisation des élections présidentielles ici en France.
Bref, au lieu de vous en prendre à la personne de Mohamed, intéressez-vous à son analyse pour l’enrichir et/ou y opposer vos idées. Cela sera beaucoup bénéfique.
Fraternellement
Dicko
Pas la peine M. Amara de répondre à Mutabor, car il devrait vraiment souffrir, et n’engage aucune discussion sérieuse.
Bye
Nadji
Voila le resultat colonial dans tout son splendeur: France, cette peste mondiale, ce voleur a enseigné que ce qu’il pratiquait. Amara, c’est un illusioniste.
Retour aux source féodales, à notre racine (quelle autre pourrait nous nourrir?), donc vivre notre Foi!, et chasser la peste une fois pour tout!
En réaction aux propos d’Air Tomi, je pense qu’il est plus intéressant de réagir aux propos de Monsieur Amara que de juger de son parcours personnel, sans savoir.
Grâce à son livre, on sait en effet qu’il est né et a grandi au Mali et qu’il y retourne chaque année. On sait aussi qu’il ne veut pas donner une image misérabiliste de son pays. Quant à la question de la bourgeoisie, dans tous les pays il y a en effet toujours une élite dirigeante qui défend ses intérêts tout comme tous les autres milieux sociaux.
Passé ce constat que faisons-nous pour faire changer le pays ?
Voilà une des vraies à laquelle il faut répondre.
Au clavier
Nadji
je pense que cet homme n’a pas encore connu le Mali et n’a participé a aucune election. Ca explique qu’il tape a coté au lieu de voir que le systeme democratique malien a ete dominé de bout en bout par la bourgeoisie qui a seule les moyens de gagner une election, et une marginalisation des forces productives dans le controle de l’etat et des institutions.
La plupart des maux qu’il decrie sont ceux qu’on retrouve avec la bourgeoisie: la corruption, le culte de l’argent, le vol, le gaspillage, le futile, les chimeres religieuses, l’incompetence, la creation de reseaux mafieux etc
Mais on pense autrement dans un chateau que dans une chaumiere, cet auteur n’a jamais connu la misere, je ne le souhaite pas pour lui mais c’est lui qui doit se remettre en cause
Le Mr. a des idées.
Il fait partie de cette caste d’intellectuels qui pensent(bien) et parlent le Mali comme le romancier sénégalais Sembène Ousmane. 💡 💡 💡
Il y a beaucoup de vrai dans cette analyse. Mais notre cher Docteur se trompe lourdement sur deux points :
1. ‘’Malheureusement, pour le moment, je ne crois pas qu’un tel leader (patriote) existe au Mali’’. Si, ce leader existe et il y en a beaucoup au Mali, mais personne ne votera pour eux à cause de tout ce que notre cher Docteur a cité comme complaisance au niveau de la société malienne actuelle devenue dans sa large majorité tributaire de l’argent mal acquis, apatride et mégalomane. Zoumana Sacko l’intègre a eu juste 1% aux élections présidentielles, et il ne dépassera jamais ce score avec la société malienne actuelle.
2. Si un jour, un de ces jeunes (expatrié patriote) leur présentait pédagogiquement un programme socio-économique solide pour réformer le pays, ils n’hésiteraient pas à voter pour lui’’. C’est surtout à ce niveau que notre cher Docteur ignore totalement les réalités maliennes. Personne ne votera pour lui, précisément parce qu’il présente un programme patriotique à des gens majoritairement apatrides.
Tout est dit …C’est toujours un plaisir de lire des gens qui identifient les problèmes du Mali.
Vous avez tout résumé ici: ” Au Mali, tout le monde est corrompu et corruptible. Nous prétendons tous vouloir y mettre fin, mais personne n’est prêt à changer son propre fonctionnement.”.C’est pourquoi moi je propose qu’on retourne à notre ancien système de gestion féodale du bien public.Aujourd’hui si on a perdu toute notion de respect de la chose publique c’est parce que l’Etat qui l’incarne nous a été imposé par le colonisateur.Dès le début le respect du bien public était synonyme de soumission.Maintenant le colon est parti, mais ces pratiques sont restées.Cet acharnement contre l’Etat continue si bien que si tu occupes un certain poste que d’aucuns qualifient de “juteux” et que tu n’arrives pas à faire une certaine réalisation pour soi même on te dit carrément que tu es maudit…parceque tu as réfusé de voler l’Etat… 😥 😥 😥 😥
Merci pour votre analyse critique, qui est bien la réalité au Mali, je crois dur comme fer que vous en conviendrait avec moi, qu’IBK n’est pas l’homme de la situation actuelle du Mali…
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