Dans cette interview, Modibo Mao Makalou, économiste nous explique qu’est-ce qu’une loi de finances ? Pourquoi il y a plus des dépenses budgétaires que des recettes budgétaires ? Et comment combler les déficits budgétaires ? Entretien.
Mali Tribune : c’est quoi une loi de finances ?
Modibo Mao Makalou : c’est la Constitution de février 1992 dans son article 70 qui stipule que l’Etat doit déterminer ses ressources et ses charges. Il est même fait obligation qu’il y ait un équilibre budgétaire, c’est-à-dire que les charges soient déterminées, et que l’on doive aussi déterminer les ressources pour financer ces charges. En réalité, le budget est un acte politique symbolique très fort qui est adopté en Conseil des ministres puis voté par les députés. Il permet à l’Etat non seulement de s’endetter mais aussi de faire face à ses dépenses régaliennes et autres dépenses de fonctionnement et d’investissements. Le budget d’État est un document très important qui contient des priorités nationales dûment définies ainsi que les dotations budgétaires qui correspondent à ces priorités. A travers le budget on peut avoir une très bonne lecture de ce que sont les priorités nationales d’un Etat.
Mali Tribune : les prévisions de recettes budgétaires de l’exercice 2023 s’élèvent à 2199,908 milliards de FCFA tandis que les prévisions de dépenses budgétaires s’élèvent à 2895,903 milliards de FCFA. Comment expliquez-vous cela ?
M.M.M : pour l’instant c’est le projet de loi de finances 2023 qui va être voté par le Conseil National de Transition (CNT) avant la fin de l’année 2022. Donc, c’est une prévision sur ce que seront les charges et les ressources de l’Etat l’année prochaine. C’est dans l’exécution de ce budget prévisionnel qu’on va se rendre compte si les prévisions étaient exactes ou non et on va ajuster à travers l’exécution par ce qu’on appelle une loi de finances rectificative. Le Mali, depuis son indépendance a toujours eu des dépenses budgétaires plus élevées que des recettes budgétaires. Cela conduit à ce qu’on appelle un déficit budgétaire. Lorsque vous dépensez plus que vous n’avez de ressources vous devez emprunter pour combler l’écart ou déficit budgétaire par la dette où plus spécifiquement la dette publique pour l’État. Le budget autorise l’Etat à s’endetter et cette dette publique contient deux composantes : la dette intérieure qui est libellée en monnaie nationale et la dette extérieure qui est libellée en monnaies étrangères ou devises. Le déficit budgétaire dans le projet de loi de finances 2023 s’établit à environ 696 milliards de FCFA tandis que dans la loi de finance rectifiée d’août 2022 le déficit budgétaire était d’environ 665 milliards de FCFA donc cela laisse entendre que la dette publique augmentera probablement en 2023.
Mali Tribune : comment combler les 696 milliards de FCFA de déficit budgétaire ?
M.M.M : depuis l’indépendance en1960, le Mali a toujours bénéficié de l’appui de la communauté internationale. Quand on prend le 1er plan quinquennal, le Plan de Développement, Economique et Social (PDES) sur la période 1961-1965, il y a près de 40 % des apports de ce plan qui venaient de l’extérieur. Avant le début de la crise multidimensionnelle de notre pays en 2012, notre budget national était financé à hauteur d’environ 20% par l’extérieur et près de 60 % pour les investissements publics (écoles, ponts, centres de santé, assainissement, eau potable…) étaient financés par l’assistance extérieure. Donc sans ambages on peut dire que le Mali est un pays dépendant de l’assistance extérieure. Maintenant si cette assistance diminue nous allons devoir emprunter davantage sur le marché monétaire et financier. Alors que l’assistance extérieure contient souvent des dons, prêts concesdionnels, aides budgétaires et autres projets et programmes. Cela fait 10 ans que nous traversons une crise multidimensionnelle qui a beaucoup affecté l’Etat et l’activité économique ce qui fait que les recettes fiscales sont moindres. Ces recettes fiscales sont principalement fournies à hauteur de 90% par les services des Impôts et des douanes. Si l’activité économique est morose, évidemment les recettes fiscales seront moindres. Malheureusement c’est cette étape difficile que nous traversons actuellement avec la résurgence de la Covid-19, la crise en Ukraine et l’inflation.
Pour combler ce déficit budgétaire, il faut changer d’approches. Plus de 90 % de nos exportations sont basés sur 3 produits (l’or, le coton et les animaux vivants), alors que nous ne transformons presque aucun de ces produits, le coton, nous n’en transformons qu’un 1 % et les animaux vivants presque rien non plus. L’idée c’est de transformer la production nationale pour créer de la valeur ajoutée et cela fait que vous allez augmenter vos revenus et créer des emplois afin de permettre l’amélioration des conditions conditions de vie des Maliens
Mali Tribune : en analysant ce budget prévisionnel est-ce qu’on peut dire que le train de vie de l’Etat a été réduit ?
M.M.M : Je constate plutôt l’inverse. Le fonctionnement de l’État est passé de 70% des dépenses budgetaires dans la loi de finances rectificative 2022 à presque 73% dans le projet de loi de finances 2023. Aussi la masse salariale mensuelle de l’État central et des collectivités territoriales qui est presque de 75 milliards et demi de FCFA dans la loi de finances rectificative 2022 a augmenté à presque 81,5 milliards FCFA dans le projet de loi de finances 2023, c’est énorme comme progression de la masse salariale. Je pense que des efforts sont en train d’être faits pour réduire le train de vie de l’État mais c’est loin d’être suffisant. Je pense aussi qu’on pourrait aussi améliorer davantage l’efficacité de la dépense publique en rationalisant certaines dépenses budgétaires et en améliorant la gouvernance économique et financière.
Mali Tribune : le Mali n’a pas pu atteindre son objectif de mobilisation de 40 milliards de FCFA sur le marché financier de l’UEMOA. Pourquoi ?
M.M.M : Nous avons toujours eu d’excellentes relations avec les investisseurs de la sous-région. Par an le Mali emprunte environ 1000 milliards de FCFA sur le marché sous régional financier et monétaire. Nous avons été exclu de ce marché durant la période des sanctions du 9 janvier 2022 au 3 juillet 2022. La levée des sanctions a laissé des séquelles non négligeables qu’il faut essayer de combler maintenant. Nous avions à l’époque tiré la sonnette d’alarme pour qu’on évite ces sanctions à tout prix. Vous savez, l’argent n’aime pas le bruit et les investisseurs veulent être rassurés et ce sont les dirigeants politiques qui peuvent rassurer les investisseurs par leurs actes et paroles. Ce n’est pas parce que l’argent manque mais si les investisseurs n’ont pas voulu donner cet argent au Mali, malgré la hausse de la prime de risque pour le Malije pense que c’est pour donner un signal car l’année dernière avant les sanctions on empruntait à moindre coût. Maintenant la prime de risque a augmenté, malgré cela, on ne nous a pas fait confiance cette fois-ci et cela peut être lié au climat politique délétère et les incertitudes liées à la vie politique malienne. Les investisseurs aiment être rassurés que l’Etat va tenir ses engagements.
Propos recueillis par
Ousmane Mahamane