Modibo Mao Makalou, Economiste : « L’objectif du gouvernement, c’est de s’assurer que les consommateurs aient accès à des produits de grande consommation à moindre coût »

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Aujourd’hui, le malien lambda croise le fer avec le quotidien pour subvenir aux besoins vitaux avec cette hausse du prix des denrées de première nécessité. Qu’est-ce qui explique cette hausse généralisée des prix ? Comment y faire face ? Les mesures prises par le gouvernement sont-elles efficaces ? Modibo Mao Makalou, économiste nous livre son analyse. Entretien.

Mali Tribune : Au Mali, le taux d’inflation a atteint les 8,3% au mois de juin 2022 selon les statistiques. C’est quoi l’inflation et quelles sont les causes de cette inflation ?

Modibo Mao Makalou : Tout d’abord l’inflation, c’est la hausse généralisée et durable des prix à la consommation pour les biens et services. Ce n’est pas juste une hausse spontanée ou momentanée il faut qu’elle soit durable pour l’ensemble des biens et services. Cette inflation est mesurée par l’indice harmonisé des prix à la consommation des ménages (IHPC). Cet indice est mesure statistiquement l’inflation au sein de l’Union Économique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) qui est indicateur phare parmi les critères de convergence macroéconomiques pour harmoniser nos politiques économiques c’est-à-dire la politique monétaire et fiscale. Au niveau de ces critères de convergence, nous avons des critères de premier  et de second ordre et l’un des critères les plus importants, c’est de fixer le seuil de l’inflation au sein de l’UEMOA à 3%. C’est-à-dire que l’inflation ne doit pas dépasser 3% pour les 8 pays de l’Afrique de l’Ouest qui partagent le Franc CFA. En décembre 2021, l’IHPC était à 6% donc 2 fois le seuil maximum autorisé. Selon les dernières statistiques de la BCEAO, en juin 2022 la moyenne de l’inflation dans l’UEMOA pour les 8 pays, c’est 7,5% donc deux fois le seuil maximum fixé. À l’intérieur de cette fourchette la moyenne la plus faible, c’est le Bénin avec 2% d’inflation en juin 2022 et le Burkina qui a le taux d’inflation le plus élevé qui est de 13,5%.

Les causes de cette inflation, ce sont surtout les conséquences de la Covid-19. En 2020, nous étions sortis de la pandémie sanitaire de la Covid-19. Mais après il y a eu une résurgence de la pandémie surtout en Chine qui est le plus grand exportateur au monde. Aujourd’hui les pays sont interconnectés et la Chine étant l’usine du monde, la production mondiale a été ralentie et cela avait perturbé le commerce mondial. Quand l’offre diminue par rapport à la demande le prix des marchandises augmente sans compter aussi les coûts du transport qui ont augmenté.  Notons par ailleurs que 80% des marchandises dans le monde sont transportées par fret maritime. En février 2022 nous avons eu aussi la guerre en Ukraine. L’Ukraine et la Russie sont des importants acteurs au niveau du commerce mondial notamment en ce qui concerne les céréales, les deux pays exportent 20% du maïs au niveau du monde et 30% du blé presque 50% de l’orge au monde et près de 70% d’huile de tournesol. En plus de cela la Russie est l’un des principaux acteurs au niveau des prix de l’énergie, elle est le premier exportateur mondial de pétrole. Il y a environ 8 millions de baril que la Russie met sur le marché mondial tous les jours et qui ne sont pas disponibles sur le marché. En même temps pour le gaz la Russie est l’un des premiers exportateurs mondiaux et 2e producteur de gaz au monde. La Russie est aussi le premier producteur mondial d’engrais azoté et le deuxième producteur mondial d’engrais phosphaté. Ainsi les sanctions impactent les exportations russes en diminuant l’offre mondiale ce qui renchérit les produits en sus du coût élevé du  fret maritime. Le prix du carburant est determinant dans le coût d’inflation de la plupart des pays parce qu’il influence directement le prix de l’énergie, du transport et de l’alimentation. Les aliments, même s’ils sont produits localement, l’utilisation des moyens de transport des zones des productions aux zones de consommation doit être prise en compte. Je pense que tout ceci peut contribuer à expliquer la hausse généralisée des prix dans le monde en général et au Mali en particulier.

Mali Tribune : est-ce que les mesures prises par le gouvernement sont efficaces pour faire face à cette inflation ?

M.M.M : Ce sont des mesures d’accompagnement qui ont été prises, pour le moment il n’y a pas de plan de riposte  contre la hausse es prix. En réalité, c’est le Conseil national des prix qui avait déjà pris des mesures le 6 avril 2022 de plafonner le prix du sucre à 600f et le gouvernement avait accordé une subvention de 14 milliards pour que le sucre puisse être rendu disponible aux Maliens. Malheureusement cette mesure n’a pas été efficace parce que le sucre se trouve à 800 F CFA ou plus sinon il est indisponible c’est-à-dire qu’il existe un risque de pénuries de sucre. Donc le gouvernement a pris lors du Conseil des Ministres du dimanche 7 août 2022 des mesures d’ajustements en vue de réaffecter les quotas qui n’ont pas été utilisés et de les attribuer à d’autres opérateurs. Mais je pense que ce n’est pas la bonne approche car elle me paraît inadaptée et inadéquate. Le Conseil National des prix par ailleurs est un excellent cadre de concertation. Mais au niveau de l’approvisionnement du pays je pense que nous sommes dans un système libéralisé des prix et que le secteur privé devrait agir en fonction de ses moyens et capacités, c’est-à-dire qu’il faut éviter à tout prix éviter les oligopoles. Il faut que le marché soit assez ouvert qu’on demande à toutes les sociétés privées qui sont habilitées à importer et qui ont la capacité d’importer d’approvisionner le marché. D’abord il faut évaluer les stocks disponibles et voir quelles sont les commandes en cours et ce travail doit être fait par le gouvernement pour évaluer la consommation dans les 6 mois à venir pour les produits de grande consommation. Ensuite on réunit l’ensemble des acteurs pour voir comment au sein du Conseil national des prix on peut mettre en place un plan d’actions (qui peut faire quoi, à combien, quand, où et comment) ? Et en fonction de cela on répartit les tâches et missions dans un cahier de charges transparent. Il faut que ça soit une procédure entièrement transparente pour permettre de faire le suivi et l’évaluation.

À court terme, il faut importer mais de manière ouverte, en suivant la loi de l’offre et de la demande. Plus l’offre augmente plus les prix baissent. Mais si vous accordez seulement un oligopole à quelques-uns, l’offre ne va pas être suffisante pour compenser la demande et évidemment les prix vont continuer à augmenter. L’objectif du gouvernement, c’est de s’assurer que les consommateurs aient accès à ces produits de grande consommation à moindre coût. Parce que ce sont des ressources publiques qui sont engagées pour faciliter ces importations à travers des subventions et exonérations fiscales et il faut que ces mesures bénéficient à l’ensemble des opérateurs économiques en fonction de leurs capacités de même qu’à l’ensemble de la population. Mais il faut que ce mécanisme de lutte contre la vie chère soit évalué de manière objective et transparente.

 

Propos recueillis par

Ousmane Mahamane

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