Modibo Mao Makalou, Économiste : « L’Etat du Mali est un Etat crédible du point de vue économique et financier »

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Visite de Paul Henri Damiba au Mali ; libération des 3 soldats ivoiriens sur le 49 ; Qu’est-qui fait que le Mali jouit encore de la confiance des investisseurs de la zone de l’UEMOA malgré toutes les velléités et craintes qui pourraient subvenir en dépit de la levée des sanctions de la Cédéao ? Modibo Mao Makalou, économiste livre son analyse. Entretien.

 Mali Tribune : Paul Henri Damiba a choisi le Mali pour sa toute première visite officielle hors de son pays. Pourquoi ?

Modibo Mao Makalou : généralement, les premières visites officielles à l’étranger sont non seulement très symboliques mais très importantes pour les chefs d’Etats. Certains choisissent des pays voisins avec lesquels ils ont de très bonnes relations diplomatiques ou économiques. Ici, nous voyons que malgré les nombreux voisins du Burkina, c’est le Mali que le Président de la Transition du Burkina a choisi pour sa première visite et c’est avec le Mali que le Burkina partage le plus de difficultés au niveau sécuritaire. Donc, je peux comprendre aisément le fait que le Président Paul Henri Damiba ait aussi décidé d’endosser le costume de médiateur et de diplomate pour essayer de convaincre le Président de la Transition du Mali de revenir sur sa décision de quitter le G5-Sahel et aussi de coopérer avec le Burkina et le Niger qui ont lancé une coalition le 22 août 2022 pour lutter contre le terrorisme étant donné que l’épicentre de la lutte contre le terrorisme au Sahel, c’est le Mali qui est en même temps frontalier avec le Burkina Faso et le Niger dans la zone du Liptako-Gourma qui regroupe les trois frontières. Évidemment, pour rendre plus efficace cette lutte contre le terrorisme, le Mali a besoin d’être présent aux côtés du Burkina Faso et Niger. Certainement, eu égard aux bons rapports qu’entretiennent les Présidents Damiba et Goïta, il a voulu prendre son bâton de pèlerin ; diplomate et médiateur pour venir expliquer à son frère d’Armes le bien-fondé de réintégrer cette lutte transfrontalière.

Pour le moment il n’y a pas eu de réactions. Mais on n’a pas entendu de « non » catégorique non plus. Je pense que ce serait judicieux que nous rejoignons cette coalition mais pas dans n’importe quelle condition. J’imagine que si le Mali devrait réintégrer, le Mali va poser ses conditions et requérir une certaine autonomie de décision des pays sahéliens dans la lutte contre l’insécurité sur leurs territoires car  le Président Goïta a toujours insisté sur l’intégrité et la souveraineté du territoire. Puisque la lutte sécuritaire est transfrontalière, il faut beaucoup de coordination au niveau des pays. Je pense aussi que les pays voudraient avoir beaucoup plus d’autonomie et une marge de manœuvre pour adopter les politiques idoines.

Mali Tribune : dans la foulée de cette visite de Damiba, le Mali a libéré 3 des 49 militaires ivoiriens arrêtés. Est-ce un bon signe d’un dénouement heureux dans cette affaire ?

M.M.M : oui ! C’est un signe de décrispation. Je pense quand même que tout cela a été fait à travers la procédure judiciaire. La justice a donné son accord pour faire libérer à titre humanitaire trois (3) dames militaires de la Côte d’Ivoire parmi les 49 personnes qui étaient inculpées et écrouées au Mali. Je trouve que cela va dans le bon sens parce que, nous avons tous assisté à cette conférence de presse au ministère des Affaires étrangères du Togo où se trouvait également le ministre directeur de cabinet du Président de la Côte d’Ivoire qui a quand même exprimé des regrets et le ton qu’il faut à mon avis qui correspondrait à ce que les autorités maliennes demandaient pour que ce genre d’incident ne se reproduise plus. Nous allons dans le bon sens même si la procédure suit son cours et que les négociations sous l’égide du Médiateur Togolais se poursuivent. J’imagine que les autorités maliennes sont prudentes et ne vont pas s’immiscer dans une procédure judiciaire qui suit déjà son cours. Mais elles vont quand même pour des raisons de bon voisinage ou d’Etat faire de leur possible pour qu’il y ait un dénouement heureux. Mais tout dépendra des termes de la négociation, des exigences et griefs  des 2 pays  et du talent du médiateur du Togo.

Mali Tribune : est-ce que d’une manière Bamako ne sert pas de cette affaire pour persuader Abidjan à plaider sa cause pour d’obtenir la levée des sanctions politiques et diplomatiques ?

M.M.M : il y a 149 personnes qui sont sanctionnées au Mali. La totalité des membres du CNT plus les 28 membres du gouvernement. A l’exception du Président de la Transition et le ministre des Affaires étrangères l’exécutif et le législatif sont sanctionnés. Au niveau diplomatique, je crois que les ambassadeurs de la Cédéao ont regagné leurs postes. Mais, il reste que le Mali est interdit de siéger au niveau des instances de décision de la Cédéao. Je pense que c’est de cela qu’il s’agit. L’ancien Président Nigérian Goodluck Jonathan qui est le Médiateur de la CEDEAO était à Bamako la semaine dernière pour suivre le processus transitoire. Il y a eu aussi la réunion du Groupe de Soutien international à la Transition du Mali à Lomé. Il me semble que le chronogramme avance même s’il y a quelques petits retards au niveau de la préparation des élections surtout pour ce qui concerne l’Organe unique de gestion des élections. Je ne vois pas des points de blocages pour le moment et on peut s’attendre à ce que l’ensemble des sanctions politiques et diplomatiques soient levées sous peu si le chronogramme de la Transition est bien accepté.

Mali Tribune : après l’emprunt de 277 milliards de FCFA, le Mali vient de lever 31, 6 milliards de FCFA auprès des investisseurs de la sous-région, qu’est-ce qui fait que le Mali jouit encore de la confiance des investisseurs de la zone de l’UEMOA malgré toutes les velléités et craintes qui pourraient subvenir en dépit de la levée des sanctions de la Cédéao ?

M.M.M : L’Etat du Mali est un Etat crédible du point de vue économique et financier. N’eussent été les sanctions le Mali ne se serait jamais retrouver avec une notation financière souveraine dégradée.

Le Mali avait emprunté près de 900 milliards en 2021 et était à jour jusqu’à la date des sanctions de la CEDEAO et de l’UEMOA le 9 janvier 2022 pour les remboursements des emprunts contractés sur le marché financier et monétaire de l’Union Monétaire Ouest Africaine (UMOA). Les sanctions économiques financières et commerciales ade la CEDEAO et de l’UEMOA avaient exclu le Mali du système financier et monétaire du marché sous-régional. Cela a fait que le Mali ne pouvait ni rembourser ni d’obtenir des nouveaux prêts. Et cette situation a perduré du 09 janvier 2022 au 03 juillet 2022 c’est cela qui avait affecté affecté la trésorerie et  la crédibilité du Mali. Ce n’était pas un défaut de paiement mais plutôt un défaut de paiement technique ou partiel cause par les sanctions. Tous les Etats se refinancent sur le marché des capitaux à commencer par la première puissance économique au monde, les États-Unis. C’est dans la logique des finances publiques qu’on recourt à l’endettement publique pour financer les déficits budgétaires, c’est-à-dire lorsque les ressources budgétaires sont inférieures aux charges budgétaires. Ainsi, le déficit budgétaire est comblé par des emprunts pour par l’assistance extérieure (aide publique au développement). C’est la dette publique qui permet de financer les activités et le déficit de trésorerie de l’Etat soit à travers la dette publique intérieure et/ou la dette publique extérieure. Toutes les dettes contractées en Franc CFA font partie de la dette intérieure. C’est normal qu’après avoir été absent pendant 6 mois sur le marché des capitaux, que les premiers emprunts du Mali aient servi à rembourser l’intégralité des paiements qui étaient échus pendant les sanctions de la CEDEAO et de l’UEMOA. Après avoir régularisé la situation des paiements échus et des intérêts de retard, les investisseurs se sont de nouveau prêts à mettre des fonds  supplémentaires à sa disposition parce qu’ils savent que l’Etat va tenir ses engagements puisque les sanctions économiques, financières et commerciales ont été levées. Nous pouvons donc conclure que le retour du Mali sur le marché financier et monétaire de l’UMOA permet de renforcer l’efficacité du marché des capitaux et l’intégration économique et monétaire au sein de l’UMOA.

 

Propos recueillis par

Ousmane Mahamane

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